Dans son dernier éditorial de Képi Blanc n° 457, le général de Saint Chamas, COMLE, en remet une couche sur le code d’honneur du légionnaire : respect des lois et règlements, camaraderie, etc.
Comme en politique, le problème vient du décalage entre les mots, les discours et la réalité.
L’évangile : Extraits : II. Chaque légionnaire est ton frère d’armes, quelle que soit sa nationalité, sa race ou sa religion. Tu lui manifestes toujours la solidarité étroite qui doit unir les membres d’une même famille.
III. Respectueux des traditions, attaché à tes chefs, la discipline et la camaraderie sont ta force le courage et la loyauté tes vertus. »
Et le général de conclure : « Notre code d’honneur traduit véritablement le savoir-être légionnaire. Dès lors, un vrai légionnaire se reconnait à la manière dont il applique chacun de ces articles. »
La réalité renvoie, hélas, non pas à de nobles sentiments, mais à ce qu’il y a de malsain, de mauvais dans l’homme. A cet égard, la lecture de la plainte déposée par François H nous laisse abasourdis.
Que raconte aux gendarmes cet ancien pompier volontaire, qui voulait servir son pays dans une unité d’élite : violences gratuites dès son incorporation en raison notamment de sa nationalité française, brimades, abus d’autorité, menaces, corvées illégales, consommation forcée d’alcool, prise de drogues pour tenir le coup et finalement incitation à la désertion.
Tous ces délits ont été commis, selon sa plainte, tout au long de son parcours de légionnaire depuis le Fort de Nogent, en passant par Castelnaudary, pour finir à Nîmes après 9 mois de services.
Revue de détail
Le Fort de Nogent
En juin 2011, François H rejoint le centre de présélection Nord (C.P.N.) localisé au Fort de Nogent à Fontenay sous Bois. Ce centre regroupe les candidats en provenance ou non des postes d’information légion étrangère (PILE) de leur zone géographique : Paris, Lille, Strasbourg, Lyon, Bordeaux, Nantes). Avec d’autres candidats à l’engagement, François H passe une quinzaine de jours dans ce centre, en attente d’être mis en route vers le Centre de sélection et d’incorporation (CSI) d’Aubagne. Tant qu’Ils n’ont pas signé leur contrat, les candidats à l’engagement ne sont pas des militaires soumis à la discipline du règlement. Il faut néanmoins les commander pour la vie courante : nettoyage des chambres et des communs, repas, déplacements etc. Le style de relation avec les candidats doit être celui d’un professeur avec son élève. Il est donc recommandé à l’encadrement de leur donner l’impression d’être accueillis dans une famille soudée qui leur ouvre les bras, leur manifestant de la chaleur humaine, une certaine forme de réconfort et de la camaraderie…De ce point de vue, François H ne va pas être déçu. Pris en grippe dès son arrivée par un caporal-chef travaillant au mess sous-officier, François H reçoit de celui-ci de nombreux coups de poings et coups de pieds sans motif apparent: « il me disait de faire quelque chose puis me donnait un contre ordre juste après. Il se mettait à me frapper, sans se justifier » « Au Fort de Nogent, je n’étais pas le seul à me faire frapper, il y avait quasiment tous les français d’origine qui se faisaient frapper. Concernant les engagés venant d’autres pays que la France, ils n’avaient pas de problèmes ».
Ah les Français d’origine, transformés souvent en Canadiens de Toronto ! Ils représentent 30% des effectifs de la Légion étrangère. Ils sont mal vus des autres, les vrais étrangers, qui prétendent qu’ils n’ont rien à faire à la Légion. Mais ils sont indispensables au système Légion, car ce sont eux qui vont apprendre les rudiments de français aux étrangers. Pour le Groupement de recrutement de la Légion étrangère (GRELE) « le français demeure le cœur de cible et une attention toute particulière doit lui être réservée dixit le Mémento pour le recrutement dans lequel on peut lire :
« Compte tenu des viviers potentiels de recrutement et de la concurrence sur le marché de l’emploi, il faut capter le jeune de 18 à 30 ans, du niveau classe de troisième à baccalauréat, et au-delà, candidats potentiels à un engagement.
Les militaires ne renouvelant pas leur contrat dans le régime général doivent être approchés. Ils sont souvent déçus par ce que l’Armée de terre leur a apporté, nous devons être en « embuscade ».
Très souvent les valeurs que nous véhiculons sont celles qu’ils étaient venus chercher en s’engageant, sans pour autant concevoir qu’ils avaient leur place à la légion étrangère (victimes du « mythe »). Leurs aspirations sont susceptibles de nous intéresser.
On ne peut pas dire que l’accueil réservé à François H au Fort de Nogent relève d’une application stricte des directives données par le chef d’état-major du commandement de la Légion étrangère dans le mémento sur le recrutement !
4°Régiment étranger à Castelnaudary.
En juillet 2011, François H rejoint le 1er régiment étranger à Aubagne où tout se passe bien : épreuves de sélection réussies, signature du contrat, perception du paquetage puis mise en route sur le centre d’instruction de la légion étrangère à Castelnaudary.
Dans cette formation, François H effectue ses 6 mois de classes à la 2ème compagnie où il devient rapidement la « tête de turc ».
A l’officier de police judiciaire il déclare :
« J’ai commencé à être harcelé par un caporal nommé…., qui s’en prenait un peu à tout le monde. Cependant j’étais le seul à subir des violences physiques. En effet, il passait dans les rangs, ivre, regardait les engagés volontaires et disait « toi je t’aime pas », puis il se mettait à frapper les engagés qui ne lui plaisaient pas. » « De temps en temps, quand j’avais besoin de passer dans une chambre pour aller demander quelque chose à un camarade, il courrait vers moi et me mettait des coups de pieds pour me repousser. Il me salissait mon képi et mes effets, et me regardait en rigolant… »
Il poursuit :
« j’ai également été frappé par un caporal d’origine française, le….En effet, pendant mes classes, il arrivait ivre, nous faisait subir des positions d’entraînement interdites qui nous faisaient souffrir inutilement. Il s’agissait par exemple de nous mettre les bras dans le dos, avec uniquement la tête et les pieds qui touchent le sol, ce qui entraîne des vives douleurs cervicales. Dès qu’on tombait, le caporal…nous remettait des coups de pied pour qu’on se remette en position. » « Il me menait la vie dure car j’étais français d’origine… »
2°Régiment étranger d’infanterie à Nîmes
Ses classes terminées, François H est muté au 2°Régiment étranger d’infanterie (2°REI) à Nîmes où il est affecté après sa formation spécifique initiale à la deuxième section de la troisième compagnie. Sa déposition auprès de l’officier de police judiciaire est édifiante :
« J’ai été harcelé en dehors des heures de service. Nous avions des corvées pendant la nuit, on grattait les toilettes, les douches, les couloirs, avec un équipement qui pesait lourd, jusqu’à 01 ou 02 heures du matin. Un des caporaux-chefs qui donnait les ordres me faisait aller chercher de l’alcool dans le régiment. Il me donnait des fois de l’argent pour que je paye, les autres fois, c’était moi qui payait de ma poche. Si je n’achetais pas ce qu’il me demandait d’acheter, il me faisait gratter encore plus les parties communes… »
« Il y avait également le sergent…mon chef de groupe qui m’obligeait à acheter des boissons la journée et me disait de ne rien dire par rapport au grattage des communs que nous faisions en dehors des heures de service… »
« La nuit, après les corvées, j’étais obligé de boire tant que le gradé n’était pas couché. Par gradé, j’entends le sergent…., le caporal chef…, mais aussi les caporaux, qui même s’ils n’étaient pas d’accord, se mettaient d’avis avec le sergent, pour ne pas se faire punir. Il arrivait que je sois forcé à boire jusqu’à 02 ou 03 heures du matin. Nous nous levions à 05h30, ce qui faisait que je n’avais pas le temps de dormir. J ai été contraint de prendre des stupéfiants pour tenir le choc. J’ai absorbé de la cocaïne et des amphétamines, assez régulièrement. J’ai arrêté d’en prendre plusieurs semaines avant de déserter ; je ne tenais plus du tout le rythme. »
François H finit par craquer. Il se résigne et rédige une demande de résiliation de son contrat d’engagement afin de retourner dans le secteur civil. Cette demande n’est pas du goût de son sergent chef de groupe, car la procédure est longue et incertaine. Celui-ci le pousse à la désertion comme l’indique François H dans sa déposition devant l’officier de police judiciaire.
« J’ai fait ma demande pour redevenir civil, et le sergent a dit aux caporaux de me laisser tranquille. Le sergent….me demandait si j’allais déserter. Il m’a fait comprendre qu’il ne voulait pas de moi dans sa section et que je devais déserter pour partir plus vite de sa section. Je pense que c’était parce que j’étais français, car même s’il était aussi français d’origine, le sergent m’en voulait en permanence. » « J’ai écrit mon compte rendu de résiliation de contrat et le sergent m’a mené la vie dure. Il voulait vraiment que je déserte pour que je quitte rapidement sa section. Il me faisait nettoyer en permanence, faire des pompes à outrance, m’empêchait de dormir en m’obligeant à boire, pour me pousser à bout. » « Le sergent m’a menacé de me couper l’oreille si je racontais ce qu’on me faisait subir dans mon unité. Une autre fois, un des caporaux m’a envoyé un seau d’excréments sur la tête. Je me suis rincé. Quand je suis par la suite rentré dans la chambre des caporaux, un d’entre eux m’a dit « je veux pas qu’un mec comme toi, pas motivé, reste dans la Légion. Si je dois te couper une main ou te planter un couteau dans la jambe pour te rendre inapte, je le ferais. Je l’ai déjà fait, et je suis prêt à le refaire ».
Face à une telle ambiance et de telles menaces, François H quitte son unité sans autorisation du 24 avril 2012 au 6 juin 2012. Conscient d’être en infraction avec la loi, il se présente volontairement à la brigade de gendarmerie et raconte sa mésaventure au sein de la Légion étrangère. Après l’avoir écouté, le gendarme lui notifie un rappel à la loi du procureur de la République et, après divers contacts téléphoniques, l’invite à regagner le 2ème régiment étranger d’infanterie dans les 48 heures afin de régulariser sa situation en vue de recouvrer sa liberté. Il lui signifie également que suite à son rappel à la loi, s’il ne se présente pas à son unité dans les délais impartis, il sera de nouveau poursuivi pour désertion.
Mis en confiance, François H regagne son régiment le 7 juin 2012. A son arrivée, il est conduit devant le capitaine, officier de protection et de sécurité régimentaire. Le capitaine lui fait signer un papier mettant fin à sa désertion, mais pas à son engagement. Il l’informe qu’il devra rejoindre sa compagnie et qu’il sera sanctionné de 30 jours d’arrêts. François H est complètement désemparé lorsque, le même capitaine, après avoir reçu un appel extérieur, lui demande s’il doit voir un médecin. François H confirme qu’il doit consulter un médecin, car il a des problèmes d’allergie conduisant à des crises d’asthme. Le capitaine autorise alors François H à sortir en civil pour le week-end. Une permission lui est délivrée. L’intéressé en profite pour rejoindre le domicile familial.
Le 9 juin 2012, François H dépose plainte contre les auteurs des violences qu’il a subies. Le même jour, il se rend à l’Hôpital Desgenettes à Lyon où un arrêt de travail lui est prescrit. A ce jour, il est en congé maladie. Malgré un courrier explicite, adressé à son chef de corps en août 2012, son contrat d’engagement n’est pas résilié et il n’a aucune nouvelle de l’état d’avancement de sa plainte.
La Légion sait entretenir le mythe.
Le cas de François H n’est pas exceptionnel à la Légion étrangère. Régulièrement l’Association de défense des droits des militaires se fait l’écho de situations similaires au sein de cette vénérable institution aussi bien auprès du ministre de la défense que sur son site adefdromil.org. Retranchée derrière son mythe savamment mis en scène par une communication officielle bien orchestrée, la Légion étrangère sait nouer des liens précieux avec les autorités en charge d’un service public ou d’un mandat électoral, qui peuvent un jour « lui rendre service ».
C’est ainsi que l’on peut s’interroger sur le bienfondé des opérations de relations publiques suivantes :
– La visite de 7 magistrats nîmois sur invitation du colonel commandant le 2°REI, le 7 juin 2012 est-elle déontologiquement correcte ? François H peut-il avoir l’assurance que son dossier ne sera pas classé sans suite au parquet de Nîmes ?
– La visite au 4° Régiment étranger de Castelnaudary du lieutenant-colonel Guisset, commandant le groupement de gendarmerie de l’Aude le mercredi 26 septembre 2012, accompagné de ses deux adjoints et de l’adjudant-chef Nicolas, commandant la brigade de gendarmerie de Castelnaudary n’est elle pas de nature à semer le doute dans l’esprit du légionnaire François H quant à l’impartialité de l’enquête susceptible d’être conduite par les gendarmes au sein de son unité d’instruction ?
– A quel titre la Légion étrangère donne-t-elle une « traditionnelle » prise d’armes au Sénat dans le jardin du Luxembourg la veille du 14 juillet ? Pourquoi cette prise d’armes n’est elle pas interarmées ?
– Beaucoup plus grave nous parait être l’attitude en 2010 de Monsieur Guy Tessier, député des Bouches du Rhône et alors président de la commission de la défense nationale et des forces armées. Sa proximité avec la Légion étrangère l’a conduit à ne pas juger utile d’inscrire à l’ordre du jour de la commission de la défense nationale et des forces armées le rapport « La Légion Etrangère, corps d’élite, au 21ème siècle » de Marylise Lebranchu. Invité assidu des cérémonies de Camerone, le député Tessier a manqué d’objectivité dans cette affaire en limitant la visibilité du rapport dérangeant de l’Ancienne garde des sceaux.
– Enfin, pour se valoriser, le commandement de la Légion étrangère organise des colloques ou participe à des conférences de choix. C’est ainsi que le 12 octobre 2012, le commandement de la Légion étrangère a organisé une conférence intitulée « Regards croisés sur la Légion étrangère », à l’auditorium du Crédit Agricole d’Aix-en-Provence avec l’aimable soutien de Monsieur Thierry Pomaret, son directeur général. Pour mieux orienter le débat devant un auditoire de plus de trois cents personnes, une projection du film “Français par le sang versé, Histoire d’une loi » permet à madame Edmonde Charles-Roux, présidente de l’Académie Goncourt et invitée de prestige du COM.LE, le général Christophe de Saint Chamas d’évoquer son expérience avec les légionnaires…
La Légion étrangère « version 21ème siècle » n’a évidemment rien à voir avec la Légion de Narvik ou de Bir Hakeim. Alors quel est le message subliminal adressé au peuple de France à travers une telle conférence ? Il relève de la désinformation, d’un passéisme désuet, et d’une gloriole d’un autre temps. La Légion n’attire plus ou si peu des aventuriers ou des réfugiés politiques, mais tout simplement des réfugiés économiques, des garçons qui aspirent à recevoir après cinq ans de services un bout de papier leur permettant de s’installer en France.
N’aurait-il pas mieux valu projeter lors de cette conférence, dans le seul but de faire progresser le droit au sein de la Légion étrangère, le documentaire « La face cachée de la Légion étrangère » avec comme invité et témoin de prestige, le légionnaire François H? Le témoignage de son vécu au quotidien au sein d’une unité de la Légion étrangère aurait captivé l’auditoire et n’aurait certainement pas laissé Edmonde Charles-Roux indifférente. Quant au général Christophe de Saint Chamas, c’était l’occasion rêvée pour lui de trouver dans ce débat un motif pour reprendre en main ses cadres et leur rappeler, qu’en marge du Code d’honneur du légionnaire, il existe des lois dans la République française, avant que la justice ne soit appelée à le faire !
La publication en 2010 du rapport « La Légion Etrangère, corps d’élite, au 21ème siècle » de Mme Marylise Lebranchu, ancienne Ministre de la Justice et actuelle Ministre de la Fonction publique, ainsi que la diffusion du documentaire « La face cachée de la Légion étrangère » produit par la société des films de l’Odyssée, avaient provoqué une modeste prise de conscience dans l’encadrement supérieur de la Légion.
Pendant plus d’un an, l’Adefdromil avait beaucoup moins entendu parler de l’institution, mais en mars dernier, elle avait estimé nécessaire d’appeler une nouvelle fois l’attention du ministre de la Défense sur la reprise des « errements antérieurs »: « A la Légion, les vieux démons sont de retour »
Aujourd’hui, cette affaire confirme que l’encadrement de la Légion, c’est-à-dire les officiers, sont incapables de mettre fin aux violences, aux brimades subies de manière récurrente par les légionnaires.
Ce n’est donc plus une discussion sur la réglementation ou le mode de commandement qu’il faut conduire, mais bien une réflexion sur l’opportunité de maintenir intégralement une troupe marginalisée de 8000 hommes, qui compte actuellement neuf corps et un détachement: 1er RE, 1er REC, 1er REG, 2ème REG, 2ème REI, 2ème REP, 3ème REI, 4ème RE, 13ème DBLE, DLEM, sans compter le Groupement de recrutement (GRLE).
Nous aurons peut-être la réponse après la publication du nouveau Livre blanc sur la Défense en cours de rédaction ?
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