Discours Journée UMP de la Défense
NICOLAS SARKOZY
Président de l’Union pour un Mouvement Populaire
JOURNéE UMP DE LA DéFENSE
Paris – Mercredi 7 mars 2007
Mesdames, messieurs, Chers amis,
Vous me permettrez tout d’abord de vous faire part de ma grande satisfaction. Satisfaction que cette journée consacrée par notre famille politique aux questions de défense, journée, je le sais, très attendue, ait enfin pu se tenir. Satisfaction de vous voir réunis si nombreux pour assister et participer aux débats. Satisfaction encore devant la qualité et la densité des travaux d’aujourd’hui. Qu’il me soit permis à cette occasion de rendre un hommage plus particulier à François Fillon, à Michèle Alliot-Marie, à Guy Teissier, à Gérard Longuet, à Pierre Lellouche, à André Glucksmann, mais aussi plus largement aux parlementaires, aux personnalités étrangères et à l’ensemble des intervenants qui nous ont fait l’honneur et l’amitié d’être parmi nous aujourd’hui.
Votre présence à tous montre s’il en était besoin que la défense est un sujet passionnant qui doit faire débat. Tout simplement parce qu’il s’agit d’un sujet où l’essentiel est en jeu, un sujet qui engage l’avenir de notre pays et avec lui, celui de nos partenaires européens. Vous connaissez cette phrase célèbre du Général de Gaulle prononcée lors de son deuxième discours de Bayeux : « La défense ! C’est la première raison d’être de l’Etat. Il n’y peut manquer sans se détruire lui-même ». J’ajouterai qu’elle devra de plus en plus s’affirmer demain comme la première mission de l’Europe
Trois raisons placent la défense au premier rang des préoccupations de cette élection décisive entre toutes. D’abord le chef de l’Etat est aussi le chef des Armées. Et cette fonction régalienne constitue une part éminente de ses responsabilités. Ensuite la France, au-delà de l’impératif d’assurer sa propre sécurité, doit assumer les obligations qui découlent de son statut de membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU. Enfin ce début de XXIème siècle est placé sous le signe d’une multiplication des menaces et des risques, qui doit appeler de notre part une vigilance de tous les instants.
Voilà pourquoi la défense doit faire l’objet d’un engagement fort de la part d’un candidat à la Présidence de la République. Voilà pourquoi après la conférence de presse que j’ai tenue voilà une semaine sur la politique internationale, ma présence parmi vous atteste de mon engagement à faire de la modernisation de la doctrine et de l’outil de défense un axe majeur du prochain quinquennat.
J’appartiens à une génération qui n’a pas été directement confrontée à la guerre. Cela, je le dois à nos aînés qui ont combattu, parfois jusqu’au sacrifice ultime, pour notre liberté, celle de la France et de chacun d’entre nous. Je sais la dette que nous avons à leur égard et je voudrais leur dire ma reconnaissance et ma considération. Je n’oublie pas non plus les quelque 12.000 soldats français actuellement engagés dans des opérations extérieures pour défendre nos valeurs, préserver une paix fragile et garantir nos engagements internationaux. Certains d’entre eux l’ont récemment payé de leur vie. Je veux ici leur rendre hommage, en assurant leur famille et leurs frères d’armes de notre admiration, de notre gratitude et de notre solidarité.
Depuis la fin des conflits de la décolonisation, soit en l’espace de deux générations, notre pays connaît pour l’essentiel la paix. Elle a permis l’épanouissement de la liberté politique, le développement économique, le progrès social. Pour la première fois de son histoire, sa souveraineté, son territoire, sa population ne semblent plus exposée à des menaces militaires directes venant d’Etats ou d’empires hostiles.
La guerre n’a pour autant jamais disparu de notre horizon. Elle a toujours été en arrière-plan durant la guerre froide, avec la menace soviétique. La chute du mur de Berlin a brutalement mis un terme à ce monde, qui offrait une fragile stabilité en contrepartie de l’oppression et du sous-développement d’une majorité des peuples et des nations. L’Europe centrale et orientale s’est libérée sans violence : ce fut une période magnifique et très émouvante. Presque vingt plus tard, force est de reconnaître cependant que certaines illusions apparues alors, depuis les « dividendes de la paix » de M. Fabius jusqu’à « la fin de l’histoire » de M. Fukuyama, se sont complètement dissipées. Si l’étau qui enserrait l’Europe a disparu, d’autres menaces, d’autres périls, d’autres tensions ont surgi. Depuis la fin de la guerre froide, nos interventions se sont d’ailleurs multipliées. Nos forces sont toujours présentes en Afrique, au nom du maintien de la paix. Mais elles ont aussi été engagées dans la première guerre du Golfe, dans des actions de force contre certains belligérants de l’ex-Yougoslavie, et en Afghanistan après les attentats du 11 septembre 2001.
1 – Nous vivons désormais dans un monde instable et incertain, caractérisé par la multiplication des risques et la dissémination de la violence.
Depuis 1989, de nombreuses crises ont dégénéré en des conflits armés, en majorité asymétriques et de basse ou moyenne intensité. La rupture avec la période de la confrontation Est-Ouest, qui reposait sur la permanence d’un adversaire bien identifié et la préparation à une guerre totale qui ne s’est jamais produit, est donc totale. La menace d’une confrontation de haute intensité s’est fortement réduite sans disparaître totalement. D’autres sont apparues. Certaines à nos portes, avec les guerres qui ont accompagné la dislocation de l’ex-Yougoslavie. Elles ont montré tragiquement que l’Europe n’était pas à l’abri d’un déchaînement de violence et d’un retour en force de la barbarie, toujours là, tapie au coeur de notre modernité. Par ailleurs, la prolifération balistique et nucléaire est en passe de franchir un seuil très inquiétant en raison de la politique actuellement suivie par la Corée du Nord et surtout par l’Iran ; la dissémination des armes bactériologiques et chimiques, n’a jamais réellement cessé ; l’hyperterrorisme, qui a frappé notamment New-York, Madrid et Londres, peut sévir à nouveau dans de nombreux pays, y compris le nôtre.
Et les facteurs de crises continuent de s’accumuler. Certains proviennent des Etats. Etats forts animés d’une volonté de puissance qui met à l’épreuve les règles de la communauté internationale. Etats affaiblis ou effondrés qui font le lit des organisations criminelles et terroristes. Certains découlent de la compétition pour le contrôle des ressources énergétiques, des matières premières, voire l’accès à l’eau dans certaines régions. Certains naissent des déséquilibres écologiques, démographiques et économiques qui exacerbent les pressions migratoires. Il y a aussi les antagonismes religieux ou culturels que certains fanatiques aimeraient transformer en choc des civilisations. Et la liste n’est pas close.
Si elles ne font pas l’objet d’un traitement adapté par la communauté des nations, ces lignes de fracture pourraient déboucher sur des conflits de grande ampleur. Il faut d’autant plus les craindre que la suprématie technologique de l’Occident est contournée par des techniques de guerilla efficaces, notamment en milieu urbain. Les succès militaires du Hezbollah, acteur pourtant non étatique, face à l’armée israélienne, les difficultés de l’armée américaine en Irak, en sont deux exemples particulièrement révélateurs.
Malgré les progrès de la sécurité collective, la France n’est pas à l’abri de ces menaces qui peuvent se concrétiser sur son sol comme porter atteinte à ses intérêts au-delà de ses frontières, qu’il s’agisse de la protection de nos ressortissants, de la sécurisation de nos approvisionnements énergétiques ou du respect de nos engagements internationaux. Et elle est d’autant plus concernée que son statut international de membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations Unies et son niveau d’implication dans la défense européenne lui créent des obligations spécifiques.
2 – Dans ces conditions, il serait parfaitement irresponsable de réduire notre effort de défense.
Si je suis élu Président de la République, je m’engage à maintenir notre effort de défense au moins à son niveau actuel, soit de l’ordre de 2% du PIB. C’est le seuil incompressible pour disposer de forces armées bien entraînées, bien équipées, aptes à assurer la protection de notre territoire et la sécurité des Français dans un monde mouvant et imprévisible.
Le budget de la Défense ne constituera pas la variable d’ajustement des finances publiques dans les années à venir. Je me garderai d’imiter le gouvernement de Lionel Jospin des années 1997 à 2002. Ce gouvernement supprima une annuité complète d’équipement, soit près de 15 milliards d’euros, dilapidée dans le financement de réformes dont la France aurait été bien inspirée de se passer, comme les 35 heures, ou dans le report des réformes indispensables, au premier rang desquelles la réforme des retraites ou de l’assurance-maladie.
Cette imprévoyance contraste avec le redressement salutaire opéré en 2002 sous l’impulsion personnelle de Jacques Chirac, avec le concours efficace de Michèle Alliot-Marie. Grâce à leur action, le prochain Chef de l’Etat pourra s’appuyer sur un outil de défense en voie de modernisation et à la disponibilité restaurée.
L’incurie des gouvernements socialistes a consisté à financer en cours d’année des dépenses civiles non budgétées par des redéploiements de crédits prélevés sur la Défense. Je le dis clairement : ce ne sera pas ma ligne de conduite. Je ne financerai pas les universités ou les lycées en annulant des programmes militaires indispensables à notre sécurité. Il est curieux, pour ne pas dire absurde, d’opposer des politiques tout aussi essentielles pour la Nation que la Défense ou la Recherche et l’Education. En d’autres termes, les économies qui peuvent et doivent être dégagées grâce à une gestion plus efficace des budgets de la Défense seront intégralement réinvesties dans l’effort de défense. Je m’y engage personnellement.
Parmi les préjugés les plus tenaces figure en effet celui qui voudrait que la dépense de défense fut par nature improductive. C’est faux, car elle irrigue un secteur industriel qui compte plus de 180 000 emplois. Elle apporte une contribution déterminante à l’effort de recherche, dont chacun convient qu’il faut l’augmenter et le promouvoir, en France comme à l’échelle européenne. Et elle participe à nos exportations, avec plus de 5 milliards d’euros de commandes en 2006.
Le projet qui est le mien pour la Défense n’est donc pas dissociable du projet d’ensemble que je propose aux Français. Je le dis d’autant plus volontiers qu’à mes yeux, les militaires, les civils, les industriels qui travaillent dans le secteur de la défense sont d’abord des citoyens comme les autres. Leurs attentes dépassent largement leur seul secteur d’activité professionnelle, aussi exigeant soit-il. Ce serait se tromper et leur manquer de respect que de croire qu’ils se prononcent uniquement en fonction du niveau des budgets de défense annoncés par les candidats. C’est aussi par la crédibilité des propositions que nous faisons pour donner de nouvelles perspectives à notre pays, et apporter des réponses précises aux préoccupations concrètes des Français, que nous emporterons leur adhésion. Tout est lié, c’est la qualité du projet d’ensemble, son aptitude à poser les bons diagnostics et à apporter de solutions efficaces pour relancer la croissance et retrouver le chemin du plein emploi qui détermineront aussi les marges de manoeuvre de notre effort de défense et le degré de cohésion de notre société. Autant d’ingrédients qui jouent un rôle déterminant dans nos capacités de défense.
3 – Ceci posé, notre politique de défense ne saurait se limiter à la seule question des moyens : nous devons interroger plus régulièrement ses finalités, son adéquation avec nos besoins de sécurité et l’efficacité de sa mise en oeuvre.
Dans ce domaine comme dans d’autres, il faut procéder avec ordre et méthode. Décliner la vision en orientations, en objectifs, en priorités et dans un agenda tendu vers l’action.
Quelles conclusions doit-on tirer des évolutions de notre environnement international et stratégique? Quels sont les objectifs prioritaires qui en découlent ? Que veut-on et que doit-on assumer seuls ? Que veut-on et que peut-on partager avec nos alliés ? Quelles missions et quels contrats opérationnels assigne-t-on à nos armées ? Voilà autant de questions qui doivent à nouveau être posées, et dont les réponses permettront de hiérarchiser nos choix capacitaires et de rendre des arbitrages cohérents.
Cet exercice de réévaluation devra être engagé dès le lendemain de l’élection et intervenir à intervalles réguliers. Le dernier Livre Blanc remonte à 1994 et bien des événements ont considérablement modifié l’environnement géopolitique dans lequel nous nous inscrivons désormais. Sans être exhaustif, je citerai les attentats du 11 septembre 2001, l’intervention américaine en Irak, la crise nucléaire iranienne, la déstabilisation du Liban et de certaines régions d’Afrique centrale et de l’Ouest, ou encore la montée en puissance de la question énergétique dans les impératifs de sécurité. Les Livres Blancs doivent être régulièrement actualisés comme le font nos grand alliés, sauf à figer la pensée et l’action, alors même que nous devons être plus réactifs dans un environnement dont la seule constante pour au moins les deux ou trois décennies à venir sera l’instabilité.
Dans le cadre des travaux préparatoires de la prochaine loi de programmation militaire, cette réflexion devra aller de pair avec le réexamen et l’audit systématique des principaux programmes d’armement en cours ou en projet.
Cette démarche conduira à une révision du modèle d’armée 2015. Construit autour des conclusions du Livre Blanc de 1994, ce modèle d’armée n’a été que partiellement financé par les lois de programmation exécutées depuis, notamment en raison du retard pris pendant la législature socialiste. Erigé en référence intangible des lois de programmation depuis 1997, il a perdu l’essentiel de sa pertinence tout en se révélant financièrement hors d’atteinte.
D’ores et déjà, je voudrais vous faire part d’un certain nombre de convictions et de grandes orientations qui touchent aux institutions et à la doctrine de défense.
Les institutions en premier lieu.
La politique de défense est une chose trop sérieuse pour continuer à être enfermée dans un domaine réservé. J’entends renforcer les pouvoirs du Parlement en matière de contrôle des services de renseignement, d’approbation de la présence et des modalités d’intervention de nos forces armées à l’étranger au bout d’un certain délai, de lancement des grands programmes d’armement ou encore de ratification des accords de défense. Et je souhaite que le Président de la République puisse venir régulièrement devant la représentation nationale pour présenter et expliquer sa politique de défense. Dans une démocratie moderne, il ne saurait y avoir de domaines réservés, à plus forte raison quand les domaines réservés touchent à l’essentiel.
Nous devons également tirer toutes les conséquences des interactions croissantes entre la sécurité intérieure et la sécurité extérieure, illustrées notamment par l’exportation de la menace terroriste sur notre territoire. Plus que jamais, nous devons avoir une approche globale des enjeux de notre sécurité et des réponses que nous y apportons. Sécurité intérieure, politique extérieure, défense militaire et civile, toutes ces dimensions sont de plus en plus imbriquées et interagissent entre elles.
C’est pourquoi je souhaite la création, auprès du Président de la République, d’un Conseil de sécurité nationale qui deviendra l’instance centrale d’analyse, de débat et de réflexion en matière de sécurité et de défense, en période normale comme en période de crise. Cette instance aura vocation à se substituer, dans des configurations adaptées, selon les sujets et les circonstances, aux actuels Conseil de sécurité intérieure et Conseil de défense. Ce Conseil sera adossé à un secrétariat permanent qui en préparera les réunions et sera chargé du suivi des décisions prises. J’insiste sur le fait qu’il s’agira d’un lieu d’échanges entre responsables gouvernementaux, grands subordonnés et experts, et non pas d’une chambre d’enregistrement d’arbitrages préparés par un cercle restreint. Cela me paraît essentiel pour que le Président de la République soit assuré de disposer des différents éléments d’expertise et de contre-expertise indispensables à ses décisions.
Il nous faudra également porter une attention accrue à la défense civile. Cela implique que nous mobilisions davantage nos concitoyens pour renforcer nos capacités à prévenir et, le cas échéant, à surmonter, des crises liées à la réalisation sur notre territoire de la menace terroriste ou à la survenance d’une catastrophe naturelle, technologique ou sanitaire. Je propose donc la création d’une agence de défense civile chargée d’animer l’esprit de défense et de coordonner l’action des diverses composantes de notre société ainsi que des pouvoirs publics. Cette agence pourrait être rattachée au ministre de l’Intérieur, voire au Premier ministre, et s’appuyer sur le service civique pour étoffer les moyens d’intervention mobilisables en cas de besoin.
Après les institutions, les grandes fonctions de notre outil de défense : la dissuasion, la prévention, la projection, et la protection. Elles doivent être confortées.
Dans un contexte marqué par la prolifération nucléaire et balistique, en même temps que par l’incertitude sur les évolutions politiques de certaines puissances étrangères, la dissuasion reste un impératif absolu. C’est l’assurance-vie de la Nation, la garantie qu’un autre Etat devra bien réfléchir avant de s’en prendre, directement ou indirectement, à nos intérêts vitaux, sauf à s’exposer à une sanction immédiate et hors de proportion avec les avantages recherchés. Cette garantie pourra bénéficier à nos voisins européens, dans des conditions qui, s’ils le souhaitent, pourront être définies avec eux.
Si je suis élu Président de la République, je garantirai la crédibilité politique et technique de nos systèmes d’armes, dans le respect du principe de stricte suffisance des moyens déployés. Les programmes de modernisation qui se révèleront nécessaires seront poursuivis et soumis aux mêmes exigences d’optimisation du rapport coût/efficacité que les autres programmes d’armement. Plus largement, je rappelle que la défense est une politique publique financée par les contribuables. Il n’y a pas de raison qu’elle s’exonère de l’exigence de performance.
Un accent particulier sera mis sur la prévention, grâce à une meilleure coordination des activités des services de renseignement, sous l’égide notamment du Conseil de sécurité nationale, mais aussi à travers le renforcement des moyens d’acquisition de l’information, tant humains (forces spéciales, analystes des différents services), que technologiques (satellites d’observation, optiques et radars, moyens d’écoute électronique, drones de surveillance). Chacun doit mesurer que le spatial joue aujourd’hui en matière stratégique le même rôle clé qui revint au nucléaire durant la seconde moitié du XXème siècle. L’approfondissement de la coopération européenne sera crucial dans ce domaine.
Les efforts entrepris depuis dix ans pour développer nos moyens de projection de forces et de frappe dans la profondeur seront accélérés. L’objectif consiste à parachever l’évolution vers une armée d’emploi, apte à assurer une défense de l’avant. A l’heure de la mondialisation et de la prolifération, la sécurité de notre territoire et de notre population peut se jouer loin de notre territoire. D’où la nécessité pour nos forces de pouvoir répondre à une menace quand bien même elle prendrait sa source bien au delà de nos frontières.
La réalisation du second porte-avions se situe pour moi dans cette perspective. Elle est la condition de la permanence à la mer de notre groupe aéronaval, de notre indépendance opérationnelle, et de notre liberté d’action. La production de ce grand équipement s’inscrit dans une dimension européenne puisqu’elle donne lieu à une coopération industrielle avec les Britanniques. Il ne m’apparaît pas en revanche réaliste, du moins à moyen terme, de miser sur l’européanisation de l’emploi d’un tel équipement. D’abord, parce que les caractéristiques de l’aviation embarquée varient d’un pays à l’autre. Ensuite, parce qu’il n’y a pas et qu’il n’y aura pas avant longtemps d’entité politique européenne légitime pour décider et répondre de l’engagement d’un tel équipement. C’est faire preuve de beaucoup de naïveté, de cynisme et à coup sûr de légèreté que de reconnaître le besoin effectif d’un second porte-avions et de répondre par une pirouette en invoquant l’Europe comme solution au problème. C’est abuser les Français à la fois sur leur sécurité et sur l’Europe
Dans le même ordre d’idées, une attention spécifique sera accordée aux autres programmes de projection de puissance. Je pense par exemple au SCALP naval mais aussi au renforcement des capacités de frappe de précision existantes, aux sous-marins nucléaires d’attaque de la génération « Barracuda », au renouvellement de nos frégates ou au transport stratégique aérien et maritime.
La protection de notre territoire continuera à s’appuyer sur des moyens militaires et civils qui seront mieux intégrés dans une approche globale de notre sécurité. La protection de la population est depuis trop longtemps un angle mort de la politique de défense. Et ce reproche vaut aussi au plan européen, alors même qu’il existe une demande très forte des citoyens en la matière, qu’il s’agisse de la protection des infrastructures essentielles, de la surveillance des frontières, de la stabilisation de la périphérie de l’Union.
La protection doit naturellement couvrir nos soldats déployés en opérations extérieures. Cela intéresse plus particulièrement les forces terrestres projetées sur des théâtres sensibles, souvent en milieu urbain, au contact direct de populations hostiles. La protection de nos armées sera donc systématiquement renforcée, notamment contre les risques nucléaire, radiologique, bactériologique et chimique. Les programmes portant sur la défense anti-missile de théâtre seront soutenus et développés. Tout sera mis en oeuvre pour garantir l’efficacité et la protection des troupes déployées au sol : numérisation du champ de bataille, équipements individuels, blindage des véhicules, médecine de l’avant, aéromobilité… A cet égard, je considère le programme d’hélicoptères NH90 comme un programme qui devra être remis en tête des équipements prioritaires pour l’armée de terre. Les hélicoptères actuels, Superpumas et Frelons, ont rendu de grands services, mais ils ont vieilli et ne doivent pas être maintenus en activité au-delà du raisonnable.
Indépendamment des apports des équipements et de la technologie, nous devrons aussi réfléchir à une meilleure prise en compte du facteur humain. La sollicitation excessive des troupes, la polyvalence des hommes et l’espacement des périodes de remise en condition et d’entraînement épuisent les unités, parfois au détruiment de leur sécurité. Cela renvoie directement à la réflexion que nous devrons avoir sur le dimensionnement de notre présence militaire en France et à l’étranger, et sur l’étendue, dans l’espace et dans le temps, des missions confiées à nos militaires en opérations extérieures
4 – La réalisation de ces différents objectifs devra s’inscrire dans une volonté constante d’amélioration de la réactivité et de l’efficacité de notre outil de défense.
L’effort mené depuis 2002 pour redresser la disponibilité opérationnelle des équipements sera poursuivi et amplifié, tant sur le plan financier que sur le plan organisationnel. Les contrats de maintenance assortis d’objectifs de performance portant sur la disponibilité seront privilégiés. Les forces armées disposeront de matériels fiables et adaptés à leurs besoins.
Les budgets d’équipement ne sont toutefois pas suffisamment maîtrisés, comme le montrent des dépassements calendaires et financiers encore trop fréquents et importants. La gestion des fonctions de base et de soutien n’a pas été suffisamment modernisée même si l’interarmisation a fait des progrès substantiels dans la période récente. Elle est excessivement contrainte par la dispersion des implantations territoriales, qui devra donc être rationalisée, et par le vieillissement des équipements, qui dans certains domaines, atteint les limites de l’acceptable.
L’externalisation de certaines fonctions de soutien, sans lien direct avec l’activité opérationnelle des forces, devra être recherchée, dans la continuité de certaines réalisations récentes, comme l’externalisation de la gestion des véhicules de la gamme commerciale ou de la formation des pilotes d’aéronefs. De même, il conviendra de confier davantage les tâches administratives aux civils car le statut de militaire doit être réservé au coeur de métier, sous peine de confusion des genres et de mauvaise affectation des ressources. Réciproquement, les militaires n’ont pas vocation pour moi à être mobilisés pour des missions qui ne sont pas les leurs ou pour compenser les lacunes d’autres politiques publiques et d’autres administrations. Les sujétions des militaires sont déjà suffisamment lourdes comme cela, pour qu’on évite de les considérer comme les supplétifs de la République.
Nous devons aussi amplifier les réformes visant à rationaliser et à dynamiser les procédures d’acquisition et de maintien en condition opérationnelle. Cela passe par la rénovation de la fonction achat, avec une profonde réforme de la DGA et une responsabilisation effective des industriels, comme des pouvoirs publics, sur des objectifs précis de délais mais et de coûts sur la totalité de la vie des équipements, en particulier les opérations de maintenance dont les coûts ont explosé au cours des dernières années.
Le recours à des modes de financement innovants pourrait être plus systématiquement recherché pour les programmes d’armement. Les partenariats public-privé sont par exemple parfaitement adaptés pour l’acquisition de capacités, comme les satellites de télécommunication, susceptibles de faire l’objet d’un partage avec d’autres utilisateurs, civils ou militaires. Nous restons timides dans ce domaine, en comparaison de nos amis britanniques, alors que nombre d’études démontrent que la qualité du service rendu par les PPP est supérieure à celle de la gestion directe.
Dans cette perspective, je crois essentiel, Monsieur le président de la Commission de Défense, Cher Guy Teissier, que le Parlement soit plus étroitement associé au lancement et au suivi des grands programmes. Une information publique pourrait être assurée sur leur déroulement et sur les causes des éventuels dépassements constatés, à l’instar du rapport annuel du National Audit Office britannique. Pourquoi en outre ne pas réfléchir à une modification de la présentation des lois de programmation militaire, en mettant en avant les capacités attendues, plutôt que la liste des équipements déjà arrêtées pour les satisfaire ? Cela aurait plus de sens, obligerait à exprimer plus clairement les objectifs capacitaires, et offrirait davantage de souplesse tout en obligeant à étudier tout le spectre des solutions industrielles et financières possibles. Le recours à des modes de financement innovants ou à des coopérations européennes pourrait ainsi être plus systématiquement recherché.
5 – Ces nécessaires efforts de rationalisation ne nous permettront pas de tout faire seul, alors que l’Europe doit rester pour la France un horizon central : nous devons donc accélérer, avec volontarisme et pragmatisme, la construction de la politique européenne de sécurité et de défense (PESD).
L’Europe a des intérêts de sécurité qui lui sont propres et sa politique de défense doit aussi être celle de sa géographie, d’autant qu’elle n’est plus au centre des préoccupations stratégiques des Etats-Unis. Même si l’alliance avec ces derniers reste fondamentale, l’Europe doit s’organiser pour être en mesure de faire prévaloir ses intérêts et ses valeurs, d’assumer ses responsabilités internationales, de garantir de façon plus autonome la protection de son territoire et de ses citoyens, en même temps que la stabilité des régions qui lui sont frontalières. C’est notamment dans cette optique que se situe le projet d’union euro-méditerranéenne que j’ai proposé.
Le bilan de la politique européenne de sécurité et de défense n’est pas négligeable : des institutions utiles ont été mises en place, comme l’Agence européenne de défense et l’Etat-major militaire ; une quinzaine d’opérations ont été menées à bien, souvent de basse intensité mais toujours complexes. Un processus a été lancé et bien lancé; Il faut le faire vivre et le conforter en fonction des crises et des menaces mettant en cause la sécurité et les intérêts de l’Union européenne.
Il faudra aussi développer la mutualisation des équipements lorsque cela est possible. La constitution d’un pool d’avions de transport A 400 M, commandés par la plupart des pays européens, constitue un premier pas intéressant.. Et ce d’autant qu’elle est aussi un moyen de soutenir l’activité d’EADS qui est le premier pôle technologique de l’Europe. Mais d’autres initiatives sont envisageables. Est-il raisonnable que les membres de l’Union européenne alignent encore ensemble 10 000 chars et 3000 avions de combat sans développer une approche industrielle concertée ? Ne pourrait-on pas par ailleurs accomplir des progrès plus rapides dans la mise en commun de forces et de moyens de sécurité civile mobilisables en cas de crise grave dépassant les capacités d’intervention d’un Etat, ou encore dans le partage de missions de surveillance des frontières terrestres, aériennes et maritimes de l’Union ?
La défense européenne sera en outre d’autant plus crédible que sa base industrielle sera dynamisée, grâce à des regroupements et des alliances, en particulier dans les domaines terrestre et naval. Combien de programmes en coopération ont-ils subi les contraintes artificielles du partage industriel sur des bases parfois peu rationnelles, agrégeant autant les compétences que les incompétences ? Je suis convaincu, qu’au-delà de la nécessaire préservation des compétences et des technologies clefs, la constitution de champions industriels européens véritablement intégrés est la condition primordiale d’une meilleure coordination des efforts de défense et d’équipement des armées à l’échelle de notre continent. Cela doit aller de pair avec la mise en place d’une politique industrielle dont l’Europe doit d’urgence se doter. La politique de la concurrence ne peut être l’alpha et l’oméga des interventions de l’Europe dans ce domaine. Cela peut par exemple passer par des aides à la recherche développement qui ne doivent pas négliger le tissu des PME sous-traitantes, aussi importantes pour la compétitivité de notre base industrielle que les grands groupes.
L’Europe de la défense se matérialisera aussi dans la conduite de grands projets dont l’ampleur dépasse les moyens de chacun de ses membres. L’exemple du système de navigation Galileo montre que la coopération est possible dans le secteur spatial. Pourquoi ne pas la consolider en travaillant ensemble sur des systèmes de surveillance de l’espace ou d’alerte avancée ? Le positionnement collectif des Européens vis-à-vis du système de défense anti-missile que les Etats-Unis sont en train de mettre en place constituera aussi un test décisif de leur volonté d’implication dans leur propre défense.
Mais pour tenir toutes ses promesses, la construction d’une défense européenne ne pourra faire l’économie du préalable que constitue une intégration politique plus forte. Sans une Europe politique résolue à affirmer son rôle sur la scène internationale, il est à craindre que la défense européenne ne progresse guère beaucoup plus loin que le stade actuel.
L’Europe de la défense peut difficilement s’envisager si seulement trois ou quatre membres de l’Union européenne sur vingt-sept, consentent à un effort de défense digne de ce nom. Je rappelle que le Royaume-Uni et la France représentent à eux seuls plus de 40 % des budgets européens et que le cumul de ces derniers est deux fois et demi moins élevé que le budget du Pentagone. Nous devrons donc faire preuve de pédagogie et de pragmatisme pour convaincre nos partenaires de faire davantage. Et nous devons pouvoir avancer avec les plus volontaires d’entre eux, sans en être empêchés par les autres. Si elles veulent continuer à vivre en paix et à préserver leur sécurité, l’Europe et la France doivent bien sûr se faire les avocats inlassables du multilatéralisme et du droit international. Mais elles se manqueraient à elles-mêmes si elles pensaient que la parole suffit ou qu’elles peuvent sortir de l’Histoire. Ce serait la route assurée du déclin et demain de la servitude. Si nous voulons que la primauté donnée au dialogue pacifique et à la diplomatie ne soit pas interprétée comme une faiblesse, nous devons en permanence nous préparer à utiliser la force pour nous défendre et faire prévaloir nos intérêts et nos valeurs.
Ce serait enfin une erreur d’opposer la politique européenne de défense à l’Alliance Atlantique, alors même que l’Union européenne et l’OTAN sont deux organisations plus complémentaires que concurrentes. En revanche, nous devons veiller avec nos partenaires européens à ce que l’OTAN n’évolue pas, comme sembleraient le souhaiter les Etats-Unis, vers une organisation mondiale effectuant des missions aux confins de l’humanitaire, du militaire et des activités de police internationale. L’OTAN n’a pas vocation à se substituer à l’ONU. Elle doit conserver un ancrage géopolitique clair en Europe et une vocation strictement militaire. Et, dans le prolongement des Accords dits de Berlin Plus, l’Union européenne doit pouvoir, en tant que de besoin, s’appuyer sur les moyens, notamment de commandement et de planification, que l’Alliance met en oeuvre. Ce sont à mes yeux trois conditions du maintien à son niveau actuel de la contribution importante de notre pays à l’OTAN.
6 – Enfin, dix ans après la professionnalisation de notre armée, il nous faut veiller plus que jamais à conforter le lien Armée-Nation et la place des militaires dans notre société.
La professionnalisation était nécessaire pour des raisons opérationnelles, comme l’a démontré la première guerre du Golfe en 1991. Elle a considérablement modifié les structures et les habitudes de travail de nos armées, et je tiens à saluer la façon avec laquelle elles ont su mener à bien cette importante réforme de l’Etat, dont on trouve peu d’équivalents dans les autres administrations.
Il nous faut maintenant réfléchir ensemble à sa préservation dans la durée afin que la communauté militaire continue à disposer d’un environnement favorable à l’exercice du métier des armes, dont on mesure les grandeurs mais aussi les servitudes, au sein d’une société qui privilégie les valeurs d’épanouissement personnel et d’hédonisme plutôt que celles du sacrifice ou de l’abnégation. Cela vaut aussi bien sûr pour la gendarmerie dont je confirme qu’elle doit à mes yeux conserver son statut militaire. C’est un atout majeur qu’il nous faut préserver, même si pour des raisons de cohérence et d’efficacité dans l’organisation et la mise en oeuvre des politiques de sécurité, je crois à la nécessité d’un rattachement encore plus direct et plus clair au ministre de l’intérieur.
Nous devons d’abord rester vigilants sur la qualité et la diversité du recrutement. On ne soulignera jamais assez la contribution des armées à la cohésion sociale et nationale. Ce sont les seules administrations à recruter de l’ordre de 30 000 personnes par an, dont une majorité de jeunes peu ou pas diplômés. Leur rôle d’ascenseur social et d’intégration est sans équivalent et doit être absolument préservé, de même que leur politique traditionnelle de promotion interne et de valorisation des acquis de l’expérience.
Je souhaiterais par ailleurs dissiper un malentendu: la proposition que je fais d’expérimenter un service civique obligatoire pour l’ensemble des jeunes gens ne doit pas être interprétée comme le rétablissement du service militaire. Ce dispositif ne sera pas mis à la charge exclusive, ni même principale, des armées. Il y aura simplement un volet militaire et de sécurité qui pourra utilement contribuer à renforcer nos capacités de réaction face à des événements exceptionnels nécessitant le déclenchement d’opérations importantes de protection et de secours aux populations. Ce volet faciliterait la constitution d’une réserve pleinement opérationnelle, affectée en priorité à la protection du territoire et de la population.
Nous devons ensuite veiller à ce que les militaires ne décrochent pas du reste de la société. Les conditions d’exercice de leur métier, qui sont très contraignantes pour la vie personnelle et familiale, ne doivent pas isoler ou les marginaliser.
Je soutiendrai toutes les mesures facilitant la conciliation de leur vie professionnelle et de leur vie familiale, comme un meilleur accompagnement de la mobilité géographique tout au long de leur carrière. Ces déménagements fréquents nuisent à la scolarité des enfants, au taux d’emploi des conjoints et compliquent l’accès à la propriété ou la vie de couple. J’observe par ailleurs que la rétribution des services rendus par les militaires n’est pas toujours à la hauteur de la reconnaissance que leur doit la nation, notamment en début de carrière. C’est pourquoi je m’engage à revaloriser leurs traitements indemnitaires, à commencer par l’indemnité pour charges militaires.
Il faudra également prendre davantage en compte la féminisation de nos armées, actuellement de 14% mais qui pourrait encore s’élever. Comment ne pas relever, à la veille de la journée internationale de la femme, cette féminisation rapide qui, insensiblement, a modifié les comportements et apporté beaucoup à nos armées ? Les femmes, naguère essentiellement cantonnées au service de santé des armées, ont aujourd’hui accès à la quasi-totalité des fonctions et c’est une bonne chose. Nous devons nous adapter à cette nouvelle donne et faciliter leur vie familiale.
Conforter le lien Armée-Nation, c’est aussi renforcer la visibilité des débats autour de notre politique de défense, aujourd’hui confinée dans des cénacles trop étroits. Nos concitoyens doivent entendre parler de nos armées et de leurs missions à d’autres occasions que lors du défilé du 14 juillet sur les Champs-Elysées. Cette visibilité accrue passera par des réformes institutionnelles telles que la création du Conseil de sécurité nationale, ainsi que par une place plus affirmée de la politique de défense dans les débats du Parlement.
Mesdames et Messieurs, la défense ne se distingue pas de l’Etat, qui reste la colonne vertébrale de la France. Voilà pourquoi en 1958, la rénovation des institutions républicaines, le rétablissement de l’autorité de l’Etat, la modernisation de l’armée sont allés de pair. Cette armée, dotée des équipements nécessaires à son engagement opérationnel, reconnues pour les compétences de ses soldats, est par nature une armée d’emploi. Une armée d’emploi au service de la France, mais aussi de l’Europe. Il ne s’agit pas seulement pour la France d’assurer sa pérennité et son développement en tant que nation. Il ne s’agit pas seulement pour elle d’assumer ses responsabilités dans la sécurité collective de l’Europe et du monde. Il s’agit au fond et avant tout de continuer à faire vivre une certaine idée de la liberté et, partant, de la dignité des hommes. J’y suis pour ma part résolu.
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