Le présent article complète celui paru sous ce même
titre et consultable sous notre rubrique «les dossiers»,
à la date du 22 janvier 2004.
Le refus de permettre au militaire français d’accéder
à la défense de ses intérêts sociaux,
matériels et moraux, résumés dans le texte par la
formule «intérêts professionnels»,
telle que le prévoient notre Constitution, la
recommandation 1512 signée par la France à
l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe ainsi que le
Droit International du Travail, était dûment
dénoncé dans ce premier dossier.
L’argumentation selon laquelle notre Armée n’aurait pas le format
se prêtant à cette exigence de notre époque est
spécieuse. Elle n’est destinée qu’à garder le
militaire sous le boisseau de la suspicion illégitime. Tout comme
cette escroquerie intellectuelle prêtant aux militaires
eux-mêmes leur prétendu rejet du mode électif pour
les représenter. Par charité ce plaidoyer pro domo de ceux
qui « tiennent la maison » n’a pas été repris.
Si le ridicule tuait, beaucoup d’entre eux seraient déjà
morts au Champ d’Honneur.
Le dossier d’aujourd’hui ne reviendra donc pas sur la marginalisation de
la position française aux plans constitutionnel et international.
Il est donc conseillé au lecteur de consulter cette
première partie, voire de la consulter à nouveau (pour lire
la première partie, [cliquer
ici]).
Après un état des lieux sur le thème
Armée-Nation, la nouvelle donne de la professionnalisation et le
professionnalisme militaire toujours croissant seront abordés afin
de constater que la condition militaire a une raison de plus d’être
représentée professionnellement. Il faut en effet faire
vivre, depuis la suspension de la conscription, un réel lien
civilo-militaire sans lequel l’armée se replierait sur
elle-même.
D’une anticonstitutionnalité sans conséquence apparente
puisque s’appliquant aux destinées d’une Grande Muette non
organisée pour réagir, on est passé insensiblement
à un tout autre risque : celui de la ghettoïsation. Le
législateur continuera-t-il à ne s’intéresser
qu’à la surface de l’institution militaire, sans la faire
évoluer en phase avec la société ?
*****
Le contingent comme lien Armée-Nation : Mieux que rien.
Un lien en trompe l’oeil.
Le contingent n’était plus, s’il l’a jamais été, ce
lien Armée-Nation chanté par le poète courant
après les étoiles, ou les ayant déjà.
Sur sa fin, le service militaire ne concernait pas même la
moitié masculine des jeunes français puisque,
au-delà des exemptions de toutes sortes, les autres formes du
service national en accaparaient une forte proportion. Il était
inégalitaire.
Avec une durée réduite à 10 mois, mitée par
un régime de permissions où les départs
avancés croisaient les retours retardés, augmentant ainsi
la charge de travail des rares qui restaient sur le pont avant de
«récupérer» à leur tour, et les
différents services en ambassade, coopération, industriels
et autres «experts» expédiés sous les
tropiques plutôt que dans une caserne ou un camp, le contingent
dupliquait en fait les inégalités de la
société civile.
Appelés contre leur gré, et ce pour servir rarement les
hautes technologies, hors la tondeuse électrique ou la
barrière à contrepoids, ces «valets d’armes»
qui y étaient entrés à reculons, sortaient en
général assez frustrés de leur passage sous les
drapeaux, et souvent antimilitaristes. Le souvenir ému de ces
hordes de nos jeunes qui envahissaient trains et quais de gares, de bien
avant le «père cent» jusques aux jours de
«quille», est encore dans toutes les mémoires,
notamment celle de la ménagère de moins de cinquante ans.
Inégalitaire, le service militaire n’était donc pas
davantage citoyen.
De Valmy à l’Algérie, passant par la Grande guerre, la
suivante et celle d’Indochine, certes le contingent n’a pas
démérité de la France. Toutefois sa grandeur
devenait fable dès lors qu’à l’occasion d’une guerre du
Golfe, lui furent préférés les défilés
du 14 juillet et autres ramassages de poubelle en temps de grève.
L’épopée devait s’arrêter. Ce fut peu glorieusement,
lorsqu’il fallut prendre acte que les exemptions de toutes natures et
l’introduction d’une quasi-RTT au profit du contingent avaient
complètement mité le dispositif, puisque sur 10 mois les
«p’tits gars» n’étaient militairement utilisés
que un mois et demi. Soit un gaspillage de 14 milliards d’euros.
C’était déraisonnable.
Le contingent pour une armée égalitaire et citoyenne
était devenu mythe. Aura-t-il jamais oeuvré pour
l’attachement de la Nation à son Armée, a-t-il au contraire
ficelé l’Armée à la Nation, une chose est
sûre, il faut maintenant réoxygéner le lien
Armée-Nation. Et il le faut d’autant plus que la nouvelle
armée professionnelle en a un besoin urgent pour se
pérenniser sur des bases saines.
Je t’aime. Moi non plus
Le besoin de reconnaissance de la part de la Nation est, à la
suspension du service militaire, le souhait le plus ardent des militaires
de métier.
L’image d’une force efficace dotée de matériels
performants, l’effet de ses projections extérieures, sa
participation aux opérations d’assistance et de secours tant
intérieures qu’extérieures sont autant de points – dont les
détails d’exécution en étonneraient plus d’un, comme
ce fut révélé lors de la Guerre du golfe – qui font
que l’Armée, parce qu’elle donne beaucoup, s’estime
regardée avec sympathie par la population dans son ensemble.
Mais ce regard hypothétique ne leur suffit pas. Les militaires
pensent que l’institution ne jouit pas de toute la considération
qu’elle mérite de la part des élites de la Nation, et
notamment des décideurs.
A la disparition du lien Armée-Nation qu’était sensé
être le contingent, parce qu’ils reçoivent bien peu de ce
qui est accordé aux autres citoyens, les militaires avaient soif
de reconnaissance prosaïque plutôt que
laudative.
La création d’un organisme de représentation
indépendant de la hiérarchie pour la défense de
leurs intérêts professionnels, en l’absence duquel le corps
n’est pas défendu, était leur toute première
attente. Elle le reste, puisque rien n’a changé. Et elle le reste
d’autant plus ardemment que la professionnalisation et le
professionnalisme de l’Armée viennent d’élever leur
patiente attente en une obligation qui s’impose au décideur de
bonne foi.
Professionnalisation et professionnalisme : un risque de rupture entre
l’armée et la Nation.
L’impact de la professionnalisation
L’effet le plus évident est l’arrivée inéluctable
des civils dans les armées. On en comptait 20% fin 2003.
En complément, l’armée professionnelle va fonctionner de
plus en plus avec des contrats à durée
déterminée pour couvrir les besoins de vrais métiers
pointus, tels les gradés «commissionnés». Des
postes d’officiers sur titre sont déjà pourvus après
trois semaines de formation militaire. Certaines unités du
matériel sont civiles à 50 %.
L’exemple venant d’en haut, de nombreux civils sont à la
tête du Secrétariat Général de la
Défense Nationale. La Direction de la Communication du
Ministère de la Défense (l’ancien SIRPA) est civile.
La professionnalisation renforce donc au sein des unités et des
services les contacts avec le personnel civil et les militaires
«civilianisés». Le lien Armée-Nation qui
n’existait plus vraiment depuis la conscription retrouve ainsi une
nouvelle réalité, notamment celle que les militaires ne
sont que des civils en uniforme.
Mais cette réalité a un prix.
Après avoir comparé leur condition à celle des
militaires de l’OTAN, de l’ONU, de l’Eurocorps qu’ils sont appelés
à côtoyer régulièrement, nos militaires ne
manquent pas d’établir d’autres comparaisons du temps de paix. A
activités professionnelles et responsabilités très
voisines, la comparaison des statuts et des conditions de travail
établissent que les contraintes sont plus strictes quand elles
sont exercées à titre militaire plutôt que civil et
ce, sans qu’il n’y ait la moindre justification objective.
On citera pour faire court les 35 heures, la stabilité
géographique autorisant l’épanouissement familial et
social, le traitement majoré outre-mer de 40 % contre seulement 25
% pour la solde des militaires, la prolongation de carrière non
soumise à réappréciation discrétionnaire en
fonction des paramètres du moment, à valeur
intrinsèque de l’individu inchangée et, last but not the
least, les modes de représentation collective opposés
puisque l’un est efficace et l’autre s’appelle le CSFM. Bref tout un
ensemble de bien-être issu de la défense des
intérêts professionnels, hélas interdite aux
militaires.
La professionnalisation de l’Armée doit se faire dans le souci de
rapprocher le statut des militaires d’active du droit
commun , faute de quoi ce sera le repli des armées sur
elles-mêmes, leur ghéttoisation et la certitude d’un
désintérêt de la Nation à l’égard de
l’institution militaire.
Les effets du professionnalisme
Le service des concepts et des armements nouveaux requiert des
compétences professionnelles de plus en plus pointues.
L’armée qui marchait bien dès lors qu’elle marchait au pas
doit maintenant être servie par des contractuels de bon niveau, des
techniciens maîtrisant des armes à la complexité
croissante et des diplômés.
Progressivement les activités militaires se sont
rapprochées de celles du civil. Attiré dans la
carrière par un discours fort civil, avec des critères de
sélection relevant souvent du secteur privé, tout ce petit
monde pourrait à l’usage se sentir à l’étroit dans
ses rangers s’il était fait abstraction, au détriment des
militaires, des avantages qui sont distribués à leurs
homologues civils.
Professionnalisation et professionnalisme conduisent
inéluctablement les militaires vers un mode de
représentation et de défense de leur condition proche de ce
qui se pratique dans le civil. Ne pas l’accepter c’est organiser le
découplage des deux milieux.
L’équivoque syndicale.
L’ancien ministre de la Défense déclarait devant
l’Assemblée nationale en septembre 1997 que l’organisation du
dialogue interne aux armées ne pourrait rester en l’état,
la professionnalisation acquise.
L’actuelle ministre propose sa recette du bout des lèvres : Que
les militaires s’expriment. Et de rejouer le coup des statuts de
72 pour que cela ne se fasse pas.
Or les militaires ont dit et redit que l’actuel mécanisme de
concertation, basé sur le tirage au sort de pseudo-volontaires,
non préparés et de toute façon révocables
à la première velléité d’indépendance
par rapport à la hiérarchie qui orchestre cette mascarade,
ne leur permet ni de s’exprimer, ni de défendre leur condition.
Reste donc comme seule solution possible,
l’élection d’un groupement professionnel stable
géographiquement et dans le temps, indépendant de la
hiérarchie, qu’il soit syndicat, association ou médiateur
(apolitiques, non dévoyés et sans droit de grève
puisque militaires) et dont ce serait l’exclusive mission.
Il est temps de faire confiance au loyalisme et au sens des
responsabilités que les militaires prouvent au quotidien, pour
leur permettre d’accéder par le dialogue social à la
défense de leur condition, comme il l’est accordé
au moindre travailleur de tout grand Corps d’Etat .
***
*
La condition militaire, jusque là orpheline de toute
représentation peut-elle espérer en des jours meilleurs ?
Réponse optimiste.
S’agissant de la défense de ses intérêts
professionnels, la réponse aux cinq questions fondamentales est
oui.
Faut-il mettre un terme à l’anticonstitutionnalité de
l’interdiction actuelle ? Oui.
Faut-il suivre les recommandations de l’Assemblée Parlementaire
du Conseil de l’Europe ? Oui.
Faut-il suivre les rappels de l’Organisation Internationale du Travail
? Oui.
Faut-il que la professionnalisation soit l’occasion de mettre à
niveau les droits sociaux des sphères civile et militaire ? Oui.
Faut-il que les militaires puissent s’exprimer, comme le demande le
Chef des Armées et comme le récitent à l’envie
tous les ministres de la Défense qui se succèdent et se
refilent la patate chaude ? Oui.
Hypothèse basse.
La responsabilité de ceux qui, à la défense des
intérêts professionnels des militaires,
préféreraient leur contestation sourde, interne et
refoulée, est largement engagée.
Si par frilosité ils refusent d’agir aujourd’hui, qu’ils soient
sans illusion, ils auront demain à traiter la difficulté
à chaud. Or chacun sait que ce genre de problème n’a de
chance de se régler qu’en fonction de la température qui
règne sous le couvercle de la marmite.
Il est donc à craindre que les militaires continuent à ne
pas se voir offrir la moindre marmite fédérative.
Pour être basse, cette hypothèse est hélas la plus
haute en termes de probabilité.
Mariallio
Lire également :
La condition militaire orpheline de représentation (1e partie)