Article
Monsieur le Président de la République,
La présente ordonnance est prise sur le fondement du II de l’article 44 de la loi n° 2020-1674 du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur, par lequel le législateur a habilité le Gouvernement à prendre des dispositions relevant du domaine de la loi et devant permettre de compléter et adapter les dispositions relatives aux activités et opérations spatiales et aux services qui y concourent, aux seules fins de garantir la protection des intérêts de la défense nationale.
Les activités spatiales sont encadrées, à l’échelle internationale, par cinq traités, conclus entre 1967 et 1979, dont l’Organisation des Nations-Unies (ONU) est dépositaire et la France signataire, et, à l’échelle nationale, depuis 2008, par la loi n° 2008-518 du 3 juin 2008 relative aux opérations spatiales.
Cette loi, par laquelle les opérations sont avant tout considérées sous un angle industriel et commercial, n’a, depuis son entrée en vigueur, que très peu évolué, alors même que le contexte spatial, pour sa part, a subi de profondes transformations, l’espace se muant, notamment, en un terrain de conflictualité. Ce dernier constat a donné lieu à une actualisation, en 2019, de notre doctrine spatiale de défense et impose aujourd’hui une révision de l’encadrement juridique des activités et opérations spatiales.
A ce titre, la présente ordonnance, tout en garantissant le maintien de la France dans le peloton de tête des puissances spatiales :
– améliore et complète le cadre juridique existant relatif aux opérations spatiales conduites dans l’intérêt de la défense nationale ;
– améliore et complète le cadre juridique garantissant la préservation des intérêts de la défense nationale lorsque sont mises en œuvre des opérations et activités spatiales soumises à autorisation ;
– élargit le champ de l’obligation de déclaration des activités d’exploitation de données d’origine spatiale.
La loi relative aux opérations spatiales, en effet, soumet l’ensemble des opérateurs à un régime unique d’autorisation préalable, indépendamment de leur qualité et de la nature des opérations envisagées. Sont seuls soustraits à ce régime, d’une part, le lancement et le guidage des missiles balistiques, qui sont exclus du champ de la loi par son article 26 et, d’autre part, le centre national d’études spatiales (CNES), qui bénéficie d’une dérogation pour les seules opérations qu’il conduit et qui relèvent d’une mission publique dont il a la charge, en vertu de l’article 27 de la loi. Les opérations spatiales conduites par l’Etat, quel que soit leur objet, sont donc, pour leur part, soumises au droit commun, en qui concerne tant la procédure que les règles relatives à l’opération elle-même. La conduite par le ministre de la défense, au nom de l’Etat, d’une opération militaire demeure, par conséquent, subordonnée, d’un point de vue procédural, à la délivrance d’une autorisation par le ministre chargé de l’espace et, sur le fond, au respect des mêmes normes techniques que celles applicables aux opérations commerciales.
Ce régime est largement inadapté aux opérations susceptibles d’être conduites dans l’intérêt de la défense nationale, qui plus est à l’heure où les opérations spatiales militaires, conformément à la doctrine publiée en 2019, sont amenées à se diversifier pour assurer la défense de la France « de l’espace et par l’espace », notamment par la conduite d’opérations de défense dite « active ».
Ainsi, alors même que l’Etat entend, en principe, inscrire ses propres opérations spatiales dans le cadre réglementaire technique applicable aux opérations industrielles et commerciales, il apparaît plus que jamais nécessaire de prévoir la possibilité, pour certaines opérations militaires, de déroger à ces mêmes règles dans la mesure nécessaire au bon accomplissement de la mission assignée au satellite.
Ces opérations doivent par ailleurs pouvoir bénéficier des plus hautes garanties en matière de confidentialité.
C’est pourquoi la présente ordonnance prévoit de soustraire au titre II de la loi relative aux opérations spatiales, relatif à l’autorisation des opérations, les opérations conduites par l’Etat dans l’intérêt de la défense nationale.
Il convient, en outre, d’envisager le cas où les intérêts de la défense nationale ne pourraient être préservés que par le recours aux services d’un satellite dont l’Etat ne serait ni l’opérateur ni l’exploitant.
A ce titre, la présente ordonnance organise la possibilité pour l’Etat de conclure des conventions prévoyant, à son profit, dans l’intérêt de la défense nationale, un transfert temporaire de la maîtrise d’un satellite ou la fourniture prioritaire de prestations de services fondées sur l’utilisation directe d’un satellite. En l’absence ou en cas d’inexécution d’un tel accord amiable, en cas d’urgence et à défaut de tout autre moyen disponible, le Premier ministre pourra, par décret, obtenir au profit de l’Etat le transfert de maîtrise ou la prestation nécessaire par le moyen d’une réquisition strictement proportionnée aux besoins liés à la sauvegarde des intérêts de la défense nationale et appropriée aux circonstances de temps et de lieu.
Le cadre légal actuel n’envisage que l’hypothèse de réquisitions effectuées sur le territoire national, alors même que des opérateurs soumis à la loi relative aux opérations spatiales peuvent disposer d’établissements, tels que des stations de guidage, implantés à l’étranger. La présente ordonnance insère, par conséquent, dans le code de la défense un nouveau titre établissant un cadre spécifique relatif aux réquisitions de biens et services spatiaux. L’ordonnance prévoit une indemnisation intégrale par l’Etat des préjudices occasionnés.
Reste le cas des satellites accomplissant déjà dans le cadre de leur activité ordinaire des prestations de services pour le compte de l’Etat, dans l’intérêt de la défense nationale. En vertu de l’actuelle législation, l’opérateur est, dans la plupart des cas, seul responsable des dommages causés aux tiers du fait des opérations spatiales qu’il conduit. Cette disposition étant d’ordre public, il ne saurait y être dérogé dans un cadre contractuel. Or de telles dérogations pourraient s’avérer utiles afin de favoriser l’émergence et le développement d’opérateurs assurant la maîtrise de satellites susceptibles d’offrir des utilisations intéressant la défense nationale. Elles seront donc à l’avenir possibles, en vertu de dispositions expresses créées par la présente ordonnance.
Au titre des mesures relatives à la préservation des intérêts de la défense nationale, lorsque sont mises en œuvre des opérations et activités spatiales soumises à autorisation, la présente ordonnance procède à un aménagement des dispositions pénales prévues en cas d’infraction à la législation relative aux opérations spatiales, d’une part, et aux activités d’exploitant primaire de données d’origine spatiales, d’autre part.
Dans le premier cas, l’ordonnance crée une circonstance aggravante tenant à ce que l’infraction a eu pour objet ou pour effet de porter atteinte aux intérêts de la défense nationale. En pareille circonstance, les peines, actuellement limitées à une amende de deux-cent-mille euros, sont portées à trois années d’emprisonnement et trois-cent-mille euros d’amende. Dans le second cas, la peine, actuellement de deux-cent-mille euros prévue en cas de non-déclaration ou de non-respect des restrictions à l’activité décidées par l’autorité administrative, est portée à un niveau identique.
Dans les deux cas, il s’agit d’abord d’adapter le quantum de la peine encouru à la gravité de l’infraction commise et de le mettre en cohérence avec le niveau des peines encourues en cas d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, tels que définis à l’article 410-1 du code pénal. Il s’agit également de permettre la mise en œuvre de moyens d’enquête eux aussi proportionnés à la gravité de l’infraction qu’il s’agit de réprimer.
Par ailleurs, si la loi prévoit que l’autorisation d’une opération spatiale puisse être assortie de prescriptions ayant pour objet de protéger les intérêts de la défense nationale ou d’assurer le respect par la France de ses engagements internationaux, elle limite le champ des instructions et mesures pouvant être imposées à l’opérateur après délivrance de l’autorisation aux seules exigences liées à la sécurité des personnes et des biens et à la protection de la santé publique et de l’environnement. Le champ de ces instructions et mesures sera, par suite, élargi pour être aligné sur celui des prescriptions.
La présente ordonnance procède, enfin, à un élargissement de principe du champ du régime de déclaration préalable applicable aux activités d’exploitation de données d’origine spatiale. Alors que seules étaient jusqu’à présent concernées les données d’observation de la Terre, répondant par ailleurs à certaines caractéristiques techniques fixées par décret, seront désormais potentiellement concernées les données d’observation, d’interception de signaux ou de localisation de toute nature acquises depuis l’espace en provenance de la Terre, d’un corps céleste, d’un objet spatial ou de l’espace. Sont néanmoins exclues de ce régime déclaratif les données acquises avec le consentement de l’exploitant de l’objet spatial observé ou localisé.
Il s’agit ainsi d’accompagner l’émergence d’activités consistant dans l’observation de satellites en orbite ou dans l’interception de signaux émis depuis la Terre, ainsi que d’anticiper des activités d’observation depuis l’espace de corps célestes autres que la Terre ou d’interception de signaux en provenance de ces corps. Pour autant, continueront à être soumises à l’obligation de déclaration les seules données répondant à certaines caractéristiques fixées par décret.
Le chapitre Ier de la présente ordonnance (articles 2 à 16) modifie ainsi la loi relative aux opérations spatiales.
L’article 2 crée une définition des données d’origine spatiales et donne une nouvelle définition des exploitants primaires de données d’origine spatiale.
Les articles 3 à 6 prévoient qu’une licence ne saurait, davantage qu’une autorisation, être accordée lorsque l’opération en vue de laquelle elle est sollicitée est de nature à compromettre les intérêts de la défense nationale et que le régime de retrait s’applique aussi bien aux licences qu’aux autorisations.
Par l’article 7, le champ des instructions et mesures pouvant être imposées à l’opérateur après délivrance de l’autorisation est élargi à la protection des intérêts de la défense nationale et au respect par la France de ses engagements internationaux.
Par l’article 8, le champ de l’infraction prévue en cas de méconnaissance d’une prescription accompagnant l’autorisation d’une opération est élargi aux cas de méconnaissance d’une instruction ou mesure édictée postérieurement à la délivrance de l’autorisation. Par ailleurs, pour l’ensemble des infractions pénales définies à ce même article, est créée une circonstance aggravante pour le cas où les faits en cause ont pour objet ou pour effet de porter atteinte aux intérêts de la défense nationale.
L’article 9 insère dans la loi relative aux opérations spatiales un nouveau chapitre relatif aux cas dans lesquels le régime d’autorisation préalable des opérations spatiales n’est pas applicable. Sont, à ce titre, nouvellement visées les opérations conduites par l’Etat dans l’intérêt de la défense nationale ainsi que les transferts temporaires de maîtrise d’un objet spatial intervenant en vue de la réalisation d’une opération de ce type.
L’article 10 prévoit que, dans le cas de l’accomplissement de prestations réalisées pour le compte de l’Etat, dans l’intérêt de la défense nationale, il peut être dérogé, dans les conditions et limites fixées par voie contractuelle, aux dispositions de droit commun désignant l’opérateur comme seul responsable en cas de dommages causés aux tiers du fait des opérations spatiales qu’il conduit.
L’article 11 est une disposition de simple coordination.
Par l’article 12, le champ du renvoi à un décret, pour la fixation des caractéristiques techniques justifiant la mise en œuvre du régime de déclaration préalable des activités d’exploitation primaire de données d’origine spatiale, est précisé.
Par l’article 13, les peines prévues en cas d’absence de déclaration d’une activité d’exploitant primaire de données d’origine spatiale ou en cas de non-respect des restrictions apportées par l’autorité administrative à l’exercice de cette activité sont ajustées.
L’article 14 précise les cas échappant au régime de déclaration préalable résultant, pour les exploitants primaires de données d’origine spatiale, des dispositions de l’article 23.
Les articles 15 et 16 sont de simples mesures de coordination.
Par ailleurs, le chapitre II de la présente ordonnance insère dans le livre II de la partie 2 du code de la défense un nouveau titre II bis relatif aux réquisitions de biens et services spatiaux.
Créés par l’article 18 de l’ordonnance, l’article L. 2224-1 définit le champ des biens et services concernés, l’article L. 2224-2 précise les modalité d’un transfert de maîtrise ou de l’accomplissement d’une prestation par accord amiable et l’article L. 2224-3 régit les conditions du recours à la réquisition. Les modalités de son déclenchement sont définies à l’article L. 2224-4, tandis que l’article L. 2224-5 en prévoit les modalités de fin. Les modalités d’application de ces dispositions sont, par l’article L. 2224-6, renvoyées à un décret en Conseil d’Etat.
Créés par l’article 19, les articles L. 2234-5-1 et L. 2234-26 fixent les conditions d’indemnisation des préjudices subis du fait de la réquisition. L’article L. 2236-2-1, introduit par l’article 20 de l’ordonnance, punit de cinq années d’emprisonnement et de cinq-cent-milles euros d’amende le fait pour un opérateur spatial de ne pas déférer aux réquisitions en cause.
Tel est l’objet de la présente ordonnance que nous avons l’honneur de soumettre à votre approbation.
Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’assurance de notre profond respect.
Source : JORF n°0047 du 25 février 2022
Texte n° 10