Question écrite n° 06819 de M. François Grosdidier (Moselle – Les Républicains) publiée dans le JO Sénat du 20/09/2018 – page 4737
M. François Grosdidier attire l’attention de M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur, au sujet des risques psychosociaux dans la police nationale et la gendarmerie.
Le risque psychologie au sein des forces de sécurité intérieure est bien souvent sous-estimé, pourtant il s’agit de professions dans lesquelles il est le plus prégnant. Ce risque se manifeste par un taux de suicide très élevé. Alors que ce dernier est d’environ 14 pour 100 000 habitants dans la population française, il est de 25 dans la gendarmerie et de 29 dans la police nationale sur les dix dernières années. Même en prenant en compte les différences de structures sociodémographiques par âge et sexe, le taux de suicide est de 36 % supérieur à la moyenne nationale dans la police.
Une des causes de ce risque réside dans une frontière entre vie personnelle et vie professionnelle qui devient de plus en plus ténue. La confrontation à la mort (que ce soit par le danger de mort, la mort effective ou les événements dramatiques) dans l’exercice de leurs fonctions est également un facteur déclenchant de risque psychosocial chez les agents et les gendarmes. Les policiers subissent plus particulièrement ce phénomène puisqu’ils présentent le plus fort taux d’antécédents traumatiques. Dans la gendarmerie, 28 % des militaires seraient en « sur-stress » et 9 % en burn-out. La solidarité, le sens du travail et le soutien hiérarchique sont alors des remparts contre les conséquences de ce risque.
Mais il apparaît que les risques psychosociaux sont insuffisamment pris en charge au sein de l’institution, soit par dénégation, soit par manque de moyens. La difficulté d’accès aux psychologues est réelle malgré un effectif honorable. Les délais de rendez-vous sont trop longs par rapport à l’urgence des traumatismes, trop peu confidentiels également, et les psychologues sont souvent trop jeunes ou trop inexpérimentés au métier de policier. L’efficacité des cellules départementale de veille des risques psychosociaux dans la police (chargées de signalements et des propositions d’accompagnement) n’est pas optimale. Les procédures dans la gendarmerie nationale apparaissent cependant plus efficaces.
De l’avis général, les risques psychosociaux peuvent être évités si la hiérarchie est réellement à l’écoute de ses subordonnés, ce qui ne semble pas toujours être le cas.
Des plans de prévention des suicides ont été annoncés récemment, et il lui demande par conséquent quelles suites le ministère de l’intérieur donne actuellement au programme de mobilisation contre les suicides présenté le 29 mai 2018 et si ce dernier est toujours une priorité de l’administration.
Transmise au Ministère de l’intérieur
Réponse du Ministère de l’intérieur publiée dans le JO Sénat du 07/02/2019 – page 696
Le sujet du suicide, éminemment dramatique et complexe, est une préoccupation majeure du ministère de l’intérieur qui conduit de longue date une politique volontariste en la matière. La police nationale a déploré 35 suicides en 2018. La gendarmerie nationale a déploré 33 suicides au 18 décembre 2018. Depuis 1996, la direction générale de la police nationale est dotée d’un service de soutien psychologique opérationnel, qui compte 89 psychologues cliniciens répartis sur l’ensemble du territoire. Ils travaillent en collaboration avec les autres acteurs de l’accompagnement (médecine de prévention, etc.). La police nationale a également favorisé une réelle acculturation de ses personnels aux risques psycho-sociaux (RPS) en généralisant les formations sur ce thème et en organisant l’intervention de psychologues dans les écoles de police. Pour améliorer la détection des personnels en difficulté, la réactivité et la prise en charge au niveau local, un programme de mobilisation contre le suicide a été lancé. Plusieurs groupes de travail, chargés de décliner de manière concrète les mesures du programme, ont été mis en place et devraient achever leurs travaux durant le premier trimestre 2019. La prévention du risque suicidaire en gendarmerie s’inscrit dans le cadre de la prévention des risques psychosociaux. Le plan de prévention du risque suicidaire, présenté au ministre de l’intérieur en février 2018, est construit sur trois niveaux de prévention (primaire : poursuivre et renforcer la politique de prévention des RPS engagée depuis 2013 / secondaire : former l’encadrement et sensibiliser l’ensemble des personnels / tertiaire : renforcer l’accompagnement et la prise en charge psychologique des personnels). La dernière action menée a été une journée de réflexion autour de la prévention de ce risque. Articulée sous la forme de quatre tables rondes thématiques (état des lieux, regards croisés, communication responsable, nouvelles perspectives), elle s’est déroulée à la direction générale de la gendarmerie nationale le 15 novembre 2018. Elle a rassemblé 240 personnes (professionnels de l’accompagnement, directeurs, commandants de formations administratives, instances représentatives du personnel civil comme militaire, associations professionnelles). Des intervenants extérieurs ont apporté un éclairage complémentaire (ministère de la défense belge, service de santé des armées, police nationale, brigade de sapeurs-pompiers de Paris). Une démarche à la fois quantitative (réalisation d’un sondage auprès de 25 000 personnels) et qualitative (réalisation d’états des lieux au niveau local des situations professionnelles fragilisantes) a par ailleurs été menée pour identifier les situations à risque pour la santé mentale et physique des personnels. L’ensemble des facteurs de risque pouvant générer du mal-être collectif ou individuel ont ainsi été identifiés et pris en compte dans le cadre d’une démarche complète de prévention des RPS et d’amélioration de la qualité de vie au travail, renforcée depuis 2013 au profit de l’ensemble des personnels. L’analyse des situations professionnelles fragilisantes identifiées dans chaque formation administrative constitue le plan de prévention des RPS en gendarmerie.
Source: JO Sénat du 07/02/2019 – page 696