Commission de la défense nationale et des forces armées
Présidence de M. Jean-Jacques Bridey, président
— Examen, ouvert à la presse, du rapport d’information, commun avec la commission de la Défense de la Chambre des communes britannique, sur la prochaine génération de missiles anti-navires (Mme Natalia Pouzyreff et M. Charles de la Verpillière, rapporteurs).
La séance est ouverte à neuf heures trente.
M. le président Jean-Jacques Bridey. Mes chers collègues, nous voici réunis pour une première puisqu’il s’agit d’examiner un rapport établi par une mission d’information franco-britannique pilotée, côté français, par deux co-rapporteurs : Mme Natalia Pouzyreff et M. Charles de la Verpillière. Cette mission s’est, me semble-t-il, bien déroulée. Nos collègues britanniques devraient d’ailleurs autoriser la publication du rapport aujourd’hui même. Au terme de notre réunion, il vous appartiendra de faire de même en vue de sa parution, en ligne, dès cet après-midi.
Mme Natalia Pouzyreff, corapporteure. Monsieur le président, chers collègues, permettez-moi avant tout d’avoir une pensée pour les victimes de l’attentat qui a frappé Strasbourg hier soir.
Il nous revient aujourd’hui de vous présenter les conclusions d’une mission d’information qui, sur le fond comme sur la forme, fut tout à fait inédite.
Sur le fond, d’abord, nous n’avons pas trouvé trace d’un rapport d’information portant sur un programme d’armement en cours depuis, au moins, la XIIe législature. L’objet de notre mission – le programme d’armement Futur missile anti-navires/Futur missile de croisière, appelé « FMAN/FMC » – ressort ainsi davantage d’une « affaire d’ingénieurs » que d’un travail parlementaire.
Des plus techniques, il recouvre toutefois des enjeux plus globaux, de nature très politique, liés à la nécessité de préserver notre souveraineté, de garantir notre liberté d’action et de maintenir notre supériorité stratégique.
De plus, ce programme est au cœur de la relation de défense entre la France et le Royaume-Uni : à l’heure du Brexit, il nous paraît légitime que le Parlement s’en saisisse.
Sur la forme, ensuite, cette mission d’information a été menée conjointement avec des députés britanniques.
Il s’agit d’une première dans l’histoire de la Cinquième République, car jamais une commission permanente de notre Assemblée n’avait ainsi conduit des travaux en commun avec une structure équivalente d’un Parlement étranger.
Nous devons cette initiative aux présidents des deux commissions, MM. Jean-Jacques Bridey et Julian Lewis, que nous tenons à saluer.
Le caractère conjoint de cette mission d’information s’est traduit par la conduite d’auditions en commun – à Londres, le 11 juillet, et à Paris, le 24 juillet dernier – ainsi que par l’établissement d’un rapport identique, qui devrait être publié aujourd’hui par chaque assemblée.
De manière complémentaire, chaque mission a également conduit ses propres travaux. Les parlementaires britanniques ont reçu plusieurs contributions écrites d’acteurs industriels. De notre côté, nous avons procédé à une dizaine d’auditions, afin de recueillir l’expertise de chercheurs comme de responsables militaires et industriels. Nous souhaitons d’ailleurs les remercier, ainsi que l’ensemble des membres de notre mission pour leur implication tout au long de ses travaux.
M. Charles de la Verpillière, co-rapporteur. Avant d’entrer dans le vif du sujet, permettez-moi de rappeler quelques éléments de contexte diplomatique, militaire et industriel.
À l’origine du programme d’armement qui nous occupe aujourd’hui se trouve la coopération de défense entre la France et le Royaume-Uni. Le Royaume-Uni est sans conteste notre partenaire le plus ancien, avec lequel nous partageons aujourd’hui encore les liens les plus forts.
Crevons l’abcès dès à présent : le Brexit, s’il n’est pas sans soulever certaines difficultés, n’est néanmoins pas de nature à remettre en cause les liens qui unissent nos deux pays en matière de défense. Nous en sommes les témoins : de part et d’autre de la Manche, une forte volonté politique existe pour en maintenir la vigueur.
Notre coopération bilatérale en matière de défense a connu un regain d’importance à la faveur des accords de Lancaster House du 2 novembre 2010. Ces accords ont relancé notre coopération tous azimuts. De nombreux programmes capacitaires ont vu le jour, comme ceux concernant la guerre des mines, tandis que des rapprochements opérationnels ont été actés, dont la constitution d’une force expéditionnaire commune constitue une éclairante manifestation. La conduite en coopération de l’opération Hamilton, en avril dernier, témoigne également de notre proximité opérationnelle.
Cette nouvelle impulsion donnée à la coopération franco-britannique dispose d’un volet parlementaire. Un groupe de travail interparlementaire, réunissant des membres des commissions de la Défense des chambres de nos deux pays, a été créé en 2010 pour suivre la mise en œuvre du renforcement de notre coopération bilatérale. Il y a tout juste un mois, ce groupe se réunissait à nouveau à Londres – certains d’entre vous étaient présents – pour l’audition de hauts responsables du ministère de la Défense britannique.
Mais venons-en au cœur du sujet : d’abord, quel est l’objet de ce programme d’armement ?
Il s’agit de produire, à l’horizon 2030, les successeurs de deux catégories de missiles. D’une part, les missiles anti-navires Exocet et Harpoon ; d’autre part, les missiles de croisière SCALP/Storm Shadow, conçus pour détruire des objectifs surprotégés dans la profondeur du territoire adverse.
La coopération entre nos deux pays dans le domaine des missiles n’est pas nouvelle.
À la fin des années 1990, le programme SCALP/Storm Shadow avait ainsi initié un premier rapprochement entre nos deux pays. Il fut suivi depuis lors par le programme METEOR ou, plus récemment, le programme de missiles anti-navires légers, dit ANL ou, en anglais, Sea Venom, tirés depuis un hélicoptère.
Riche et couronnée de succès, cette coopération est à l’origine de l’émergence d’un acteur industriel franco-britannique de premier plan – MBDA -, dont l’existence même montre la volonté pérenne de développer en commun les missiles dont nos deux pays ont besoin.
Depuis les accords de Lancaster House, une nouvelle étape a été franchie avec les initiatives « One complex Weapon » et « One MBDA », ayant conduit à rationaliser l’organisation de MBDA afin de conforter notre industrie missilière et la rendre encore plus pérenne, compétitive et indépendante.
Aujourd’hui, la France et le Royaume-Uni sont, en ce domaine, liés par une relation de dépendance mutuelle, qui s’est traduite, en pratique, par la constitution, au sein de MBDA, de centres d’excellence franco-britanniques partagés, implantés dans les deux pays.
Mme Natalia Pouzyreff, co-rapporteure. J’en viens à présent aux raisons qui ont amené la France et le Royaume-Uni à décider de conduire ensemble un tel programme.
Au fond, les choses sont assez simples : nous partageons une même analyse de l’évolution du contexte stratégique, et rencontrons un besoin opérationnel similaire.
En effet, la France et le Royaume-Uni partagent le constat d’un retour des États-puissance sur la scène internationale et de la prolifération des stratégies de déni d’accès, dit A2/AD en anglais, de la Syrie à la mer de Chine méridionale.
Nul besoin d’entrer ici dans les détails, la Revue stratégique ayant parfaitement exposé l’évolution de la menace ainsi que la potentialité d’un affrontement de haute intensité. À titre d’exemple, rappelons simplement les chiffres que l’amiral Prazuck aime à souligner : la Chine construit l’équivalent de la marine française tous les quatre ans.
En conséquence, il n’y a nulle surprise à voir converger notre besoin opérationnel, d’autant que les systèmes opérés tant par les forces britanniques que par les forces françaises devront être renouvelés à un horizon commun.
De manière schématique nos deux pays doivent actualiser leurs capacités à trois niveaux : la frappe anti-navires, alors qu’un scénario de confrontation de flottes en haute mer redevient envisageable ; la suppression des défenses aériennes ennemies, de plus en plus robustes et mobiles ; et la frappe dans la profondeur, afin d’atteindre des objectifs de haute valeur dans la profondeur du territoire adverse.
Alors, quelles évolutions technologiques attendons-nous de ces nouveaux missiles ?
La montée en gamme de nos capacités, qui conditionne le maintien de notre supériorité militaire, reposera sur plusieurs évolutions, dont notre rapport esquisse les principales, en termes de portée, de vitesse, de furtivité, de manœuvrabilité ou encore de connectivité.
À titre d’exemple, les futurs missiles pourraient viser une portée de près de mille kilomètres, contre moins de cinq cents pour les systèmes actuels. Il s’agit, aussi, de protéger la plateforme, et donc les personnels.
En matière de connectivité, l’enjeu est d’inscrire le FMAN/FMC au sein des systèmes d’armes du futur, à commencer par le système de combat aérien du futur, à propos duquel nos deux pays ont, pour l’heure, annoncé des projets séparés.
Néanmoins, c’est à l’étude de concept actuellement en cours qu’il revient de définir les évolutions qui permettront de répondre au mieux au besoin opérationnel auquel nous faisons face.
Cette étude de concept n’est qu’une des premières étapes du programme FMAN/FMC.
Elle fait suite à une étude préliminaire engagée au lendemain des accords de Lancaster House, et devrait se conclure en 2020. Elle permettra d’identifier une ou plusieurs solutions à même de satisfaire les attentes exprimées par la France et le Royaume-Uni. Sur la base des résultats de cette étude, nos deux pays devront alors se mettre d’accord pour engager la dernière phase du programme FMAN/FMC : celle de la conception, du développement et de la production des futurs missiles.
Selon les jalons actuellement définis, le développement de ces capacités pourrait débuter en 2024, en vue d’une mise en service à l’horizon 2030.
Afin de réussir l’étape de 2020 qui décidera de l’avenir du programme, il est primordial d’anticiper et de répondre à certaines questions qui restent en suspens. Les principales préconisations contenues dans le rapport visent avant tout à éclairer les autorités compétentes sur la manière de résoudre ces défis.
Le premier défi, sans doute le plus épineux, est celui du trou capacitaire auquel feront face les forces britanniques sur leur capacité anti-navires lourde à la suite du retrait de service du Harpoon, en 2023.
En la matière, deux choix se présentent aux Britanniques, dont les implications pour le programme FMAN/FMC sont radicalement différentes.
Première option : une solution intérimaire compatible, d’un point de vue calendaire, avec le programme FMAN/FMC. Elle pourrait consister en un prolongement de la durée de vie du Harpoon, déjà opéré une première fois, ou en un « achat sur étagère » destiné à assurer un remplaçant au Harpoon jusqu’en 2030. En la matière, plusieurs missiles pourraient être envisagés, dont l’Exocet. Notons tout de même que le choix d’un missile alternatif au Harpoon nécessiterait des travaux d’architecture importants sur les bâtiments existants.
Deuxième option : une solution de long terme, qui pourrait désaccorder nos calendriers et besoins et, par conséquent, remettre en cause l’horizon d’aboutissement du programme FMAN/FMC.
Je tiens néanmoins à souligner que Joël Barre nous a indiqué que, selon lui, aucun missile actuellement sur le marché ou en cours de développement ne serait en mesure de répondre au besoin opérationnel en 2030.
Si cette décision appartient bien évidemment aux autorités britanniques – il faut s’y résoudre – notre rapport insiste toutefois sur l’importance des risques d’une solution de long terme ou sur étagère, à la fois au regard de notre autonomie stratégique et de notre base industrielle et technologique de défense.
Surtout, nos travaux ont mis en lumière le fait que les parlementaires britanniques ont tout à fait conscience des conséquences potentielles de leur décision sur notre relation bilatérale.
M. Charles de la Verpillière, co-rapporteur. Deuxième défi : notre capacité à converger sur la solution technologique qui sera en définitive retenue pour les futurs missiles.
En effet, la France a traditionnellement fait le choix de la vitesse, notamment pour la dissuasion nucléaire, tandis que les Britanniques ont, jusqu’alors, davantage privilégié la furtivité de leurs armes. Dans ce contexte, chacun pourrait être tenté de faire pression pour imposer sa préférence à l’autre. De manière connexe, se pose d’ailleurs la question du partage industriel entre nos deux pays une fois lancée la phase de développement.
Bien sûr, le critère de l’efficacité opérationnelle devra primer. Il nous est néanmoins apparu qu’une solution pourrait satisfaire l’ensemble des acteurs, tout en répondant à notre besoin opérationnel. Il s’agirait ainsi de faire le choix d’un missile supersonique et manœuvrant pour la capacité anti-navires et de suppression des défenses anti-aériennes, et d’un missile subsonique furtif pour la frappe dans la profondeur. Le programme FMAN/FMC pourrait ainsi aboutir, non pas à un vecteur unique, mais à une famille de missiles partageant un nombre élevé de fonctions communes.
N’anticipons néanmoins pas les résultats de la phase de concept, dont l’objet est précisément d’identifier les solutions technologiques permettant de répondre au besoin opérationnel.
En somme, laissons les ingénieurs et les responsables militaires poursuivre leurs travaux car le temps de la décision politique n’est pas encore venu !
J’en viens à présent à la troisième question qu’il nous reste à trancher, à savoir la procédure d’acquisition des futurs missiles.
Soyons clairs et fermes : du point de vue français, il n’y a aucun débat ! Il n’y a aucune raison que le contrat de développement et de production ne soit pas notifié à la société MBDA. Pour la partie britannique, les choses sont un peu plus délicates, la mise en concurrence étant presque « culturelle ».
Toutefois, nous sommes parvenus à un accord, en rappelant l’attachement de chaque partie au principe de « value for money ». En somme, nos homologues semblent prêts à envisager une absence de mise en concurrence, soit l’attribution à MBDA du contrat, dès lors que des dispositions sont prises en amont afin de prévenir tout prix exorbitant.
Dans ce contexte, notre rapport se contente d’appeler les autorités des deux pays à engager dès à présent des discussions sur les modalités de passation du contrat final, afin de clarifier les choses. Tel est l’intérêt de l’ensemble des parties.
Le rapport rappelle néanmoins avec force les solides arguments qui s’attachent à la notification de ce contrat à la société MBDA, qui tiennent à la souveraineté qu’il importe de conserver sur ces capacités ainsi qu’à la préservation et au renforcement de notre autonomie stratégique.
La dernière question, dont la réponse a été plus facile à trouver, porte sur l’interopérabilité des futurs missiles avec les systèmes employés par nos alliés. Deux raisons justifient le besoin d’assurer cette interopérabilité : une raison opérationnelle, qui tient à notre capacité à participer à des opérations majeures conduites en coalition ; et une raison commerciale, l’interopérabilité assurant de réels avantages à l’exportation vers les pays tiers.
Pour nous, il ne fait nul doute que les futurs missiles devront être interopérables. Les Britanniques ont néanmoins souhaité que soit rappelé leur attachement à ce que le FMAN/FMC puisse être emporté sous le F-35.
Nos deux pays s’accordent donc sur le besoin d’assurer l’interopérabilité des futurs missiles avec les systèmes alliés, d’autant plus que cela n’obère pas la souveraineté « de bout en bout » que nous visons sur ces futurs missiles.
En définitive, si des réponses doivent encore être apportées à toutes ces questions, nous sommes tout à fait optimistes sur la capacité de nos deux pays à s’entendre pour mener ce programme d’armement jusqu’à son terme.
Mme Natalia Pouzyreff, co-rapporteure. J’ai bien conscience que nous n’avons encore que peu parlé des conséquences potentielles du Brexit. Rassurez-vous, il ne s’agit pas d’un oubli. D’abord, il convient de noter que nos homologues se sont montrés très réticents à les évoquer au sein du rapport. Il n’est toutefois pas question de se voiler la face.
Oui, le Brexit vient, d’une certaine manière, ajouter aux inquiétudes, principalement en raison des difficultés, notamment administratives et douanières, qui pourraient en résulter.
Mais non, il ne met pas en péril la coopération franco-britannique en matière de défense, bien au contraire. Celle-ci repose en effet avant tout sur des accords bilatéraux, et le ferme engagement de chaque partie auprès de l’autre. Ainsi, la volonté politique ne fait en aucun cas défaut.
Depuis 2010, chaque sommet bilatéral a été l’occasion de rappeler l’importance de la relation de défense franco-britannique. Notre coopération dans ce domaine devrait donc être largement exonérée des effets – importants par ailleurs – du Brexit. Des questions demeurent, et devront trouver leur solution dans le cadre multilatéral européen.
Par ailleurs, compte tenu de l’importance de ce programme d’armement, nous savons nos deux pays capables de passer les accords que le Brexit rendrait nécessaires.
Alors, pourquoi un tel optimisme ?
D’abord, nous l’avons dit, nos deux pays ont construit une relation bilatérale robuste, qui n’a eu de cesse de se renforcer ces dernières années.
La conduite d’opérations en commun atteste de cette proximité. Citons de nouveau l’opération Hamilton ou le déploiement, à l’été, d’hélicoptères britanniques Chinook auprès de la force Barkhane.
Plus encore, cette proximité se reflète dans la coopération initiée entre nos deux pays dans le domaine nucléaire – domaine éminemment sensible –, autour du développement en commun de certaines capacités de recherche et d’essai.
M. Charles de la Verpillière, co-rapporteur. Surtout, les raisons de conduire en commun le programme FMAN/FMC nous paraissent l’emporter largement sur les défis qui restent à affronter.
Nous évoquerons ainsi ci-dessous quelques-unes de ces raisons.
Premièrement, sur le plan opérationnel, ce programme d’armement dotera nos deux pays d’un formidable atout militaire, capable de maintenir la supériorité de nos forces et de répondre à l’évolution de la menace. Nos armées demeureront ainsi de premier rang.
De plus, la fabrication en commun de ces armes de pointe garantira notre liberté d’action militaire, sans risque d’entrave par un quelconque pays fournisseur. À ce titre, le FMAN/FMC répond à notre besoin d’autonomie stratégique.
En même temps, le futur missile, qui vise une large interopérabilité, nous donnera les moyens d’agir avec nos alliés quand nous le souhaiterons. Il inscrit donc fermement nos deux pays dans le réseau d’alliances auquel ils appartiennent.
Deuxièmement, d’un point de vue politique, le programme FMAN/FMC est l’occasion de démontrer la vigueur de la relation de défense entre la France et le Royaume-Uni, et ce, quels que soient les aléas politiques.
Ce programme constitue, rappelons-le, l’épine dorsale de la coopération franco-britannique en matière de défense et il exprime, en lui-même, le haut niveau d’ambition que nos deux pays souhaitent lui donner.
Au-delà, un tel programme, qui pourrait s’ouvrir à d’autres pays européens, contribue au renforcement de la défense de l’Europe. Le FMAN/FMC viendra en effet rehausser l’arsenal militaire européen et contribuer, par ce biais, à notre autonomie stratégique.
Rappelons à ce sujet que, malgré le Brexit, le Royaume-Uni continuera de faire partie de la communauté de valeurs qui caractérise l’Europe, au service de laquelle ses moyens militaires continueront d’être engagés.
De fait, le Royaume-Uni a d’ores et déjà indiqué vouloir continuer à participer à des initiatives et des projets européens dans le domaine de la défense.
Comme le résumait ainsi la déclaration commune parue en conclusion du Sommet de Sandhurst : « le Royaume-Uni ne quitte pas l’Europe ». C’est bien ce message que nos interlocuteurs nous ont rappelé à plusieurs reprises.
Troisièmement, d’un point de vue industriel, ce programme est essentiel à la préservation de notre base industrielle et technologique de défense.
Il faut le rappeler, dans ce secteur proche de la limite technologique, qui fait intervenir une expertise de très haut niveau, les compétences sont difficiles à acquérir et faciles à perdre. C’est bien ce type de programme qui permet à la France comme au Royaume-Uni de rester à la pointe.
Quatrièmement, enfin, ce programme pourrait se traduire par d’importants bénéfices économiques pour nos deux pays.
Sa conduite en coopération permet de mutualiser les coûts de développement et de production ainsi que de réduire le coût unitaire de chaque missile. Ceci est d’autant plus bienvenu que l’heure est, plus que jamais, à la maîtrise des dépenses publiques. À l’heure où les armées devraient bénéficier d’un effort budgétaire important, il devrait garantir, comme le dit la ministre et comme nous le souhaitons, que « chaque euro dépensé soit un euro utile ».
Le modèle économique de ce programme d’armement repose aussi sur sa capacité à trouver des débouchés d’exportation. L’« exportabilité » des futurs missiles est d’autant plus essentielle que ces derniers seront commercialisés en même temps que nos plateformes aériennes ou navales, du Rafale à la frégate multi-missions.
Cette considération invite nos deux pays, non seulement à s’entendre sur des règles d’exportation communes, mais également à anticiper l’effet de certaines réglementations extraterritoriales susceptibles d’entraver notre capacité d’exportation.
Nous pensons principalement à la réglementation ITAR – International Traffic in Arms Regulation – par laquelle les États-Unis s’autorisent à bloquer l’exportation de matériels militaires étrangers comprenant des composants américains.
Certaines expériences récentes – je pense à l’Égypte – nous invitent à la plus grande prudence sur l’origine de pièces employées dans la fabrication des futurs missiles.
Mme Natalia Pouzyreff, co-rapporteure. Au total, les bénéfices de la réussite d’un tel programme sont colossaux : ils sont aussi bien opérationnels que politiques, économiques et industriels. À l’inverse, un éventuel échec du programme, pour des raisons technologiques ou financières, ne peut complètement écarter et aurait des conséquences fortement négatives. Il est donc nécessaire de mettre à profit les deux ans dont nous disposons avant la fin de la phase de concept pour définir les conditions de la poursuite du programme.
Des deux côtés de la Manche, députés français et britanniques se rejoignent, dans ce rapport, pour appeler les responsables du dossier à faire aboutir un programme qui assurera, aujourd’hui comme demain, le maintien de notre supériorité militaire ainsi qu’un soutien renouvelé à la vitalité de la relation entre la France et le Royaume-Uni.
Avant de conclure, permettez-moi un commentaire très personnel : au début des années 1990, alors jeune ingénieure, j’ai été associée à l’esquisse, tout à fait évanescente, d’un programme appelé l’ANS, pour missile anti-navires supersonique. Près de 30 ans plus tard, je suis heureuse de me trouver associée, avec une autre « casquette », à la concrétisation de ce projet, qui renaît grâce à la volonté politique de coopération de nos deux pays.
M. Jean-Charles Larsonneur. Le travail mené par les rapporteurs était nécessaire. Il l’était d’autant plus dans le contexte incertain du Brexit, car il fallait rappeler les domaines dans lesquels la France et le Royaume-Uni peuvent continuer à progresser ensemble. Au premier abord, le nombre de sujets à défricher ne rendait pourtant pas ce travail évident.
Aujourd’hui, la maîtrise de la haute-mer est un enjeu majeur : il s’agit d’un espace de conflictualité où nous devons être présents. Maîtriser la haute-mer impose d’être en mesure de protéger les communications ainsi que les flux commerciaux et militaires.
Par ailleurs, l’industrie de défense russe creuse l’écart avec l’industrie occidentale. La Russie développe des missiles supersoniques, comme le Kinjal, qui atteignent des vitesses proches de Mach 6 et qui ont une portée de plus de 2 000 kilomètres. Elle produit également des systèmes de déni d’accès, comme le S-500 et le futur missile anti-navires supersonique Zircon dont les tests débuteront l’année prochaine.
Les rapporteurs ont souligné que le programme FMAN/FMC constituait un sujet technologique et de souveraineté majeur. Ils ont également rappelé les grands enjeux de cette coopération, mais aussi ses défis, liés à l’exportabilité et aux effets de la réglementation ITAR, à la convergence sur une solution technologique commune, entre un choix plutôt furtif ou plutôt véloce, et à la question du trou capacitaire provoqué par le retrait de service du Harpoon britannique à partir de 2023.
Tenant compte de l’incertitude qui entoure le Brexit, quelle est votre perception de l’arrimage des Britanniques à la défense européenne, terme que j’emploie à dessein plutôt que celui de l’Europe de la défense ou de Politique de sécurité et de défense commune (PSDC), dont les sens sont plus restrictifs ? Selon vous, les Britanniques auront-ils vocation à intégrer la Coopération structurée permanente (CSP) et le Fonds européen de la défense (FED) ?
M. Jean-Jacques Ferrara. Ce travail a été effectué dans un contexte très particulier, celui du Brexit, qui rend d’autant plus important la réussite de ce programme.
Je rappelle la nécessité d’anticiper les effets de la réglementation ITAR, alors que nous avons vécu l’expérience « malheureuse » de l’exportation du SCALP en Égypte.
Par ailleurs, il faut souligner l’importance de la réussite de ce programme pour arrimer le Royaume-Uni de façon pérenne à nos projets, à commencer par la coopération autour du SCAF. Si, en ce qui concerne le SCAF, nous développons une coopération avec l’Allemagne tandis que le Royaume-Uni a annoncé son propre programme « Tempest », dont l’avenir est plus qu’incertain, nous avons déjà travaillé avec les Britanniques dans ce domaine et nous pourrions avoir à travailler à nouveau ensemble.
La réussite du programme FMAN/FMC permettra de perpétuer notre travail en commun sur le renforcement de la défense européenne. Je souhaite donc aujourd’hui partager votre optimisme sur ce programme.
M. Jean-Pierre Cubertafon. Est-il prévu que soit pris en compte, dans la conduite du programme, les effets de la réglementation américaine ITAR en privilégiant des produits qui ne seraient pas inscrits sur cette fameuse liste ? Si de tels composants devaient toutefois être utilisés, quelles solutions pourraient être trouvées pour empêcher un impact trop important sur l’exportation des missiles ?
Mme Natalia Pouzyreff, co-rapporteure. En effet, le choix des mots est important : les Britanniques préfèrent parler de leur contribution à la défense de l’Europe.
Pour la France comme pour d’autres pays européens, il n’est pas question de s’affranchir des capacités de défense britanniques. Le budget de défense britannique représente tout de même près de 20 % de la somme des budgets de défense des États membres de l’Union européenne. Il faut donc reconnaître que les Britanniques resteront associés à la défense commune de l’Europe, et que nous y avons d’ailleurs tout intérêt.
Par ailleurs, les Britanniques ont rejoint, dès la première heure, l’initiative européenne d’intervention (IEI), ce qui permet de les arrimer à notre continent et de continuer à préparer ensemble des opérations futures, en s’accordant sur les scénarios les plus probables. Nos forces continueront à s’entraîner et à opérer ensemble. Elles le font déjà aujourd’hui, au Sahel.
Les ministres des États membres de l’Union européenne n’ont jamais exclu complètement la participation des Britanniques à la CSP et au FED. Néanmoins, sauf erreur, cette intégration sera sous condition, et très restreinte. Selon les besoins, il pourrait être fait appel aux compétences britanniques.
M. Charles de la Verpillière, co-rapporteur. La réponse diffère selon que l’on envisage la participation du Royaume-Uni à des projets européens ou à des projets bilatéraux.
Le Brexit ne devrait pas affaiblir la relation bilatérale de défense entre la France et la Grande-Bretagne. Il pourrait même constituer une opportunité. À défaut d’être dans l’Europe de la défense, les Britanniques pourraient en effet vouloir renforcer leurs accords bilatéraux, notamment ceux qui les lient avec la France.
En revanche, on peut s’interroger sur la relation des Britanniques avec la politique européenne de défense. Cette participation devrait être réglée au cas par cas, en fonction des programmes et des volets de la politique européenne de défense.
Tant les Britanniques que les Français ont conscience des difficultés posées par la réglementation ITAR. Au cours de la phase de concept et, surtout, dans la phase de développement et de production des missiles, il faudra veiller à ce qu’il n’y ait, dans la fabrication des missiles, aucun composant qui ne puisse être remplacé par un composant « ITAR-free ». Cette volonté est partagée par la France et le Royaume-Uni et ce sera aux industriels de faire le nécessaire.
Mme Natalia Pouzyreff, co-rapporteure. Le Royaume-Uni a effectivement lancé le programme Tempest cet été. À mon sens, il s’agissait de signifier à la population britannique que la sortie de l’Union européenne n’aurait pas pour corollaire un abandon de toute ambition de mener de grands programmes d’armement. Le Tempest permettra par ailleurs au Royaume-Uni de ne pas prendre de retard sur les études menées sur le SCAF par la France et l’Allemagne et, éventuellement, de rejoindre ultérieurement, et en meilleure position de négociation, le programme que nous menons en coopération avec l’Allemagne.
Une grande incertitude pèse, par ailleurs, sur la capacité du Royaume-Uni à maintenir son budget de défense, et notamment à tenir l’objectif des 2 % de PIB. Financer un programme comme le Tempest, y compris avec des pays alliés, constitue un effort financier important. D’ailleurs, aucun budget n’est à ce jour prévu pour le remplacement du Harpoon. Les Britanniques doivent donc se pencher sur le financement des programmes d’armement à venir.
M. Thibault Bazin. Cela faisait très longtemps qu’il n’y avait pas eu de mission d’information sur un programme d’armement. Bien que le sujet ait pu vous sembler très technique par certains aspects, y a-t-il un intérêt à ce que notre commission lance d’autres missions d’information sur des programmes d’armement ?
De plus, ne serait-il pas plus efficace, plutôt que de viser une Europe de la défense axée sur la coopération franco-allemande, de créer une alliance renforcée d’États-puissances entre la France et le Royaume-Uni ?
Avez-vous envisagé la dimension « cyber » des futurs missiles ?
Avez-vous évoqué les problèmes rencontrés par nos missiles lors des frappes en Syrie menées dans la nuit du 13 au 14 avril 2018 ?
M. Philippe Michel-Kleisbauer. Lors de vos rencontres avec nos homologues anglais, avez-vous pu obtenir un retour d’expérience sur notre coopération dans le cadre des exercices menés en mer Baltique, notamment dans le cadre de l’opération Lynx et de la participation de notre sous-groupement tactique interarmées ?
M. Yannick Favennec-Becot. Dans le cadre d’un Brexit dur, qu’adviendrait-il de la production et de l’exportation de cette future génération de missiles au regard, en particulier, des règles en matière d’export-contrôle ? Pensez-vous que cela puisse menacer le projet en termes de délai ? Cela implique-t-il de devoir demander de nouvelles licences ?
M. Bastien Lachaud. La coopération de défense franco-britannique, qui est aujourd’hui plus que centenaire, a démontré son efficacité. Elle montre une alternative au projet de défense européenne puisque des programmes bilatéraux hors du cadre de l’Union européenne sont possibles et prometteurs.
Le souhait des Britanniques d’assurer l’interopérabilité de ce missile, ou de cette famille de missiles, avec le F-35 ne rend-t-elle pas caduque la volonté politique partagée d’anticiper les effets de la réglementation ITAR ?
Au vu de ce programme conduit dans le cadre d’un partenariat franco-britannique, quelles autorisations seront nécessaires pour exporter les futurs missiles? Faudra-t-il une autorisation conjointe ou chaque pays gardera-t-il la maîtrise de ses autorisations d’exportation ?
Enfin, serait-il intéressant de créer une mission d’information permettant d’assurer le suivi de programme en phase de développement afin de prévenir éventuellement certains retards, comme ceux rencontrés sur certains programmes comme le programme SCORPION ?
Mme Natalia Pouzyreff, co-rapporteure. L’expérience du programme FMAN/FMC montre qu’une mission d’information sur un programme d’armement peut être utile, surtout lorsque celui-ci est mené en coopération. Le bureau de la commission est compétent pour décider de l’opportunité de créer une nouvelle mission d’information. Vous pouvez tout à fait proposer des sujets de mission d’information portant sur un programme d’armement. La contribution de la coopération de défense franco-allemande à la construction de l’Europe de la défense mériterait certainement un éclairage particulier.
S’agissant, Monsieur Bazin, de votre autre question, la connectivité des futurs missiles et leur intégration dans un système de combat, comme le SCAF, crée en effet une exposition potentielle à des menaces cyber. Tout sera fait pour que les systèmes aient la robustesse pour résister à de telles menaces.
M. Charles de la Verpillière, co-rapporteur. L’interopérabilité est indispensable. Il y a un certain nombre de clients potentiels du missile, à commencer par les Britanniques eux-mêmes, qui ont acheté ou commandé le F-35. Si l’on veut vendre le missile, il faut absolument qu’il puisse entrer dans les soutes du F-35.
L’interopérabilité avec le F-35 n’entre pas en contradiction avec notre souci d’éviter que la réglementation ITAR gêne les exportations. Le missile peut être interopérable avec des équipements non européens, à commencer par le F-35, et ne pas contenir de composants susceptibles de nuire à son exportabilité.
Mme Natalia Pouzyreff, co-rapporteure. L’intégration du missile dans la soute du F-35, qui constitue un système fermé, requiert d’avoir accès au logiciel embarqué sur cet avion. Cela doit se faire tout en préservant nos intérêts souverains.
Monsieur Michel-Kleisbauer, nous n’avons pas évoqué le retour d’expérience de la coopération franco-britannique dans le cadre des exercices menés dans les pays baltes. L’amiral Prazuck a tout de même indiqué le grand succès de l’exercice amphibie « Catamaran ».
En réponse à M. Favennec-Becot, s’agissant des conséquences du Brexit, nous avons voté, lundi, le projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnances les mesures de préparation au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne. Dans la phase intermédiaire, qui ne concerne pas l’horizon d’aboutissement du programme FMAN/FMC, certaines mesures ont été prévues pour garantir le maintien des licences d’exportation entre la France et la Grande-Bretagne.
Ensuite, à l’horizon 2030, les Français et les Britanniques devront se mettre d’accord sur des règles communes d’exportation prenant la forme d’une liste de pays auxquels les exportations ne sont pas strictement interdites. Dans le respect de ces règles communes, la souveraineté s’applique et chaque décision d’exportation est traitée par chaque pays, au cas par cas, selon ses règles internes.
M. Charles de la Verpillière, co-rapporteur. MBDA a des installations en France et au Royaume-Uni. Dans ce cadre, les biens et les services doivent pouvoir circuler librement entre les entités de MBDA en France et en Grande-Bretagne.
Le projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnances les mesures de préparation au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne prévoit la possibilité d’édicter les dispositions qui seraient rendues nécessaires pour assurer le maintien de cette libre circulation et, en conséquence, le bon fonctionnement du processus industriel. L’essentiel se fera toutefois par accord bilatéral entre la France et le Royaume-Uni.
Mme Patricia Mirallès. Selon vous, l’Exocet français peut-il voir son utilisation développée par les pays européens dans le contexte du Brexit ?
M. Jean-Michel Jacques. Je souhaiterais revenir sur l’état des relations franco-britanniques, alors que l’Institut Montaigne vient de rendre un rapport intitulé « Partenariat franco-britannique de défense et de sécurité : améliorer notre coopération ». Ce rapport souligne l’importance de la relation bilatérale ainsi que la nécessité de maintenir à haut niveau la diplomatie de défense. Des réflexions sont-elles menées en ce sens, alors qu’un approfondissement de notre relation de défense induit à un rehaussement du niveau de confiance entre nos deux pays ?
M. Laurent Furst. Permettez-moi d’évoquer à mon tour les conséquences du Brexit. D’après vous, la France maintiendra-t-elle l’ensemble des programmes bilatéraux conduits avec le Royaume-Uni dans le domaine de l’armement ? Je vous avoue que je m’interroge, alors que le Fonds européen de la défense sera abondé de 13 milliards d’euros à compter de 2021, avec des premières tranches de 5,5 milliards d’euros, afin d’encourager les pays européens à travailler ensemble. Pour rappel, il faudra que trois pays européens se réunissent pour bénéficier de ces subventions. Ne pensez-vous pas que ce dispositif, important pour l’Europe de la défense, les industries européennes de l’armement et l’autonomie stratégique de l’Europe, puisse repousser le Royaume-Uni vers son allié américain et, in fine, fermer la porte des coopérations qui pourraient être conduites avec des partenaires continentaux ?
Mme Séverine Gipson. D’abord, je souhaite féliciter nos rapporteurs pour leurs travaux, importants pour l’avenir de nos armées et la construction de ces futurs missiles anti-navires. Vous avez présenté la coopération avec la Grande-Bretagne et les enjeux pour progresser ensemble, sous la condition que ces missiles soient interopérables dans la marine. Les deux parties concernées sont optimistes pour s’entendre et coopérer. Cependant, au cours de vos auditions et lors de vos échanges avec nos homologues britanniques, avez-vous remarqué d’autres points sur lesquels une coopération serait possible ?
M. Jacques Marilossian. Merci à nos deux collègues pour la présentation de leurs travaux, conduits conjointement avec nos homologues de la Chambre des communes. Il est important de rappeler qu’en matière de défense, pour notre marine, notre premier partenaire européen est bien le Royaume-Uni. S’agissant de l’opération Hamilton, j’invite notre collègue Thibault Bazin à lire le dernier avis de notre commission sur le budget de la marine ; il y trouvera les informations utiles à sa bonne information.
Comme l’a souligné l’amiral Prazuck, notre chef d’état-major de la marine, notamment à la suite de l’opération Hamilton, la marine nationale doit régulièrement procéder à des essais de tir afin de maintenir sa capacité opérationnelle. Les missiles Exocet comme les missiles de croisière navals (MdCN) redeviennent nécessaires dans le cadre des activités de préparation opérationnelle, alors que les opérations de combat en mer se durcissent. Les stocks de ces missiles sont clairement insuffisants aujourd’hui et le rythme de croissance de production de ces armes est encore trop faible. Il faut trois à cinq ans pour atteindre un volume significatif. Si le programme franco-britannique FMAN/FMC va à son terme, il s’agira de missiles complexes. Avons-nous anticipé la question de la capacité industrielle et du budget nécessaire pour produire ces nouveaux types missiles afin que les stocks soient suffisants pour les besoins de la marine nationale ?
M. Jean-Louis Thiériot. Avant tout, je tiens à m’associer aux remerciements formulés par mes collègues, à destination de nos rapporteurs, pour la clarté de leurs explications. Compte tenu du niveau technologique très élevé de ces futurs missiles, seules quelques puissances et quelques marines pourraient être intéressées par son acquisition. Les avons-nous déjà identifiées ? De plus, a-t-on déjà des perspectives industrielles et financières de ce que cela pourrait représenter en termes de marché ?
M. Loïc Kervran. Permettez-moi de revenir sur le Brexit car MBDA est une entreprise capitale pour mon département. Lorsque l’on parle d’Europe de la défense et de coopération, il y a certes la coopération bilatérale en tant que telle, mais également la réalité d’une entreprise qui a fondé sa stratégie sur la coopération franco-britannique. J’ai eu l’occasion d’échanger, il y a quelques semaines, avec les équipes de négociation qui travaillent autour de Michel Barnier. Certaines personnes semblent éprouver quelques inquiétudes sur la stratégie même du groupe MBDA dans le contexte du Brexit. Il est aussi là question de l’accès au Fonds européen de la défense. Au-delà, à côté de la coopération bilatérale stricto sensu, un sujet spécifique à mes yeux, avez-vous perçu des inquiétudes particulières ou des volontés d’adaptation à cette nouvelle réalité qui s’annonce avec le Brexit ?
Mme Natalia Pouzyreff, co-rapporteure. D’abord, en réponse à la question de Mme Mirallès, je rappelle qu’une nouvelle version de l’Exocet – le Bloc 3C –, en cours de développement, équipera bientôt la marine nationale afin de rehausser ses capacités. Il s’agit de permettre à ce missile de demeurer en service jusqu’à l’horizon 2030. L’Exocet pourrait tout à fait équiper les forces britanniques, et une proposition leur a été soumise en ce sens. Néanmoins, comme il l’a été dit, une telle solution entraînerait des coûts d’adaptation dans la mesure où, même si cela a été le cas par le passé, l’Exocet n’équipe plus la marine britannique. Le Brexit n’a en revanche pas d’impact en la matière.
M. Jacques a évoqué la question de la diplomatie de défense bilatérale. Celle-ci se poursuivra car les accords de Lancaster House restent au fondement de notre coopération de défense. De ce point de vue, les groupes de travail se réunissent, les entretiens bilatéraux ont lieu, à tous les niveaux, tandis que des sommets bilatéraux sont organisés tous les deux ans. Il n’y a pas de raison que cela cesse. Au contraire, au-delà des programmes d’armement, il y a là l’occasion d’évoquer nos ambitions comme nos craintes face aux nouvelles menaces.
M. Charles de la Verpillière, co-rapporteur. Jean-Louis Thiériot s’est demandé si, au regard du coût probable de ce missile, un grand nombre de marines seraient susceptibles de l’acquérir. D’abord, j’aimerais clarifier un point. Ces missiles auront plusieurs vocations : frapper les navires, neutraliser des défenses aériennes ennemies et frapper des objectifs à terre, parfois très loin dans la profondeur. Dès lors, ils ne seront pas seulement mis en œuvre pas des bateaux, mais également par des avions, notamment de combat. Le spectre des pays susceptibles d’acquérir cet armement est donc assez large. Des pays pourraient donc se concentrer sur la capacité de frappe dans la profondeur et d’autres être plus demandeurs de la capacité de frappe anti-navires, alors que certains seront intéressés par l’ensemble de ces capacités. Enfin, j’indique qu’en Europe, six pays possèdent le SCALP, qui a vocation à être remplacé par le FMC : outre la France et le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie et la Suède. De plus, des clients non européens pourraient être intéressés : à titre d’exemple nous avons abordé l’achat de missiles SCALP par l’Égypte, pour l’heure bloqué en raison de l’application de la réglementation ITAR.
Mme Natalia Pouzyreff, co-rapporteure. M. Furst a évoqué la tentation que pourraient éprouver les Britanniques d’un rapprochement avec les États-Unis, dans le cas où nous les éloignerions trop fortement des opportunités de coopération dans le cadre de la défense européenne. Je ne crois pas à un tel « effet-repoussoir ». Chacun sait que le Royaume-Uni est déjà fortement engagé avec les Américains et il n’y a pas de raison pour qu’ils opèrent un choix drastique en la matière.
Notre entreprise commune – MBDA – constitue d’ailleurs sans nul doute la meilleure réponse à apporter pour s’assurer de l’arrimage du Royaume-Uni à l’Europe. Ne pas la soutenir reviendrait quand même à prendre une décision contraire aux intérêts industriels, y compris en Grande-Bretagne, et à faire porter un risque important de perte de souveraineté en termes de capacité technologique. De plus, comme nous l’avons souligné dans le rapport, il s’agit bien de préserver la souveraineté « de bout en bout », c’est-à-dire les capacités de développement, mais aussi de production et d’emploi. Il me semble que les Britanniques sont très sensibles au fait de conserver cette autonomie stratégique ; c’est aussi ce qui nous prémunit contre le fait qu’ils aillent brutalement se réfugier dans les bras des Américains.
Concernant le Fonds européens de la défense, il s’agit là d’une question politique, à l’origine d’une certaine agitation au Royaume-Uni. Les Britanniques se battront pour y être éligibles. Ceci m’amène à la question de M. Kervran : je ne vois pas quel trouble cela peut jeter pour MBDA. MBDA est une entreprise franco-britannique et, de ce fait, par son pied français, elle aura un plein accès aux programmes européens. De plus, il s’agit d’être réaliste : les programmes conduits en coopération sont déjà tellement imbriqués en Europe que, sans doute, un élément britannique bénéficiera parfois de ce fonds au travers d’un partenaire ou d’un sous-traitant. Il serait illusoire d’imaginer que, tout un coup, des murs vont être érigés.
M. Charles de la Verpillière, co-rapporteur. Par ailleurs, rappelons que l’entreprise MBDA fait l’objet, à elle seule, d’un accord intergouvernemental, ce qui est assez remarquable ! Signé le 24 septembre 2015, sa ratification a été autorisée par le Parlement. Certes, le Brexit engendrera des difficultés. Il nous faudra donc nouer d’autres accords pour régler les questions en suspens, comme celles ayant trait à la circulation des équipements d’un pays à l’autre. Il n’y a néanmoins pas de raison d’échouer en la matière. Je souhaite également insister sur le fait que, selon moi, s’il ne s’agit pas de se voiler la face quant aux problèmes posés par le Brexit, il peut aussi être un accélérateur de la coopération bilatérale en matière de défense.
Mme Natalia Pouzyreff, co-rapporteure. Mme Gipson souhaitait savoir si d’autres sujets de coopération étaient inscrits à l’agenda de la coopération franco-britannique. Je ne serai pas ici exhaustive mais l’on peut citer la guerre des mines sous-marines, dans le cadre du programme de système de lutte anti-mines marines futur (SLAMF). De plus, Nous avions conduit des travaux dans le domaine des drones de combat, préparatoires à un système de combat aérien futur. Il n’est pas exclu qu’un jour, nous revenions, en temps utile, sur cette coopération.
S’agissant de la question de M. Marilossian sur les stocks de missiles, si la phase de développement est bien lancée en 2024, les futurs missiles pourront entrer en service en 2030. La conduite d’un programme en coopération permet de réduire le coût unitaire et, ainsi, d’augmenter les stocks : au lieu d’échelonner des séries, nous pourrons produire plus d’armements pour les deux pays ainsi que pour d’éventuels clients. Au cours de nos travaux, nous avons interrogé nos interlocuteurs sur la capacité industrielle, notamment s’il s’agit d’une famille de missiles. En d’autres termes, est-ce que MBDA peut travailler concomitamment sur une version supersonique et une version plus furtive ? Je vous invite à lire les réponses dans le rapport. De plus, l’expérience du SCALP parle d’elle-même : la France était ainsi passée d’un objectif initial de 100 missiles à une commande de 500 missiles.
M. Alexis Corbière. Permettez-moi de revenir sur les risques liés à une cyber-attaque, sujet abordé par M. Bazin. Vous avez déjà apporté des éléments de réponses mais il m’importe que les choses soient précisées, car, à mes yeux, il s’agit d’un enjeu majeur comme ont pu le montrer nos interventions en Syrie. Où en est-on exactement ? S’agira-t-il de systèmes totalement nouveaux ou de contre-mesures permettant d’éviter ces cyber-attaques ?
Mme Natalia Pouzyreff, co-rapporteure. Il s’agira bien de nouveaux systèmes, interopérables et hyper connectés. Comme il l’a été dit précédemment, ces missiles seront connectés avec d’autres aéronefs, les éléments du SCAF voire, éventuellement, des satellites. Ceci impliquera une refonte complète des protocoles de communication et un important travail pour en assurer la robustesse. En termes de contre-mesures, notre rapport s’est plutôt intéressé sur la capacité des missiles eux-mêmes à faire face à tout type de leurres. En la matière, nos compétences industrielles sont, en France, tout à fait remarquables.
M. le président Jean-Jacques Bridey. Nous n’en sommes encore qu’au début des travaux et, à ce sujet, il nous sera possible de préciser les choses avec les industriels le moment venu. Avant de conclure, je vous informe que lors de mes derniers échanges avec mon homologue, M. Julian Lewis, nous sommes convenus, en cas de succès de cette première initiative – il me semble que tel est le cas – de lancer de nouveaux travaux en commun, par exemple sur la coopération en matière de lutte contre le terrorisme.
Mes chers collègues, dès lors que tout le monde s’est félicité de la qualité de ce rapport, je vous propose de le rendre public !
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La commission autorise à l’unanimité le dépôt du rapport d’information sur la prochaine génération de missiles anti-navires en vue de sa publication.
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La séance est levée à dix heures cinquante.
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Membres présents ou excusés
Présents. – M. Damien Abad, M. Louis Aliot, M. Jean-Philippe Ardouin, M. Didier Baichère, M. Xavier Batut, M. Stéphane Baudu, M. Thibault Bazin, M. Mounir Belhamiti, M. Christophe Blanchet, M. Jean-Jacques Bridey, M. Philippe Chalumeau, M. André Chassaigne, M. Gilbert Collard, M. Alexis Corbière, M. Jean-Pierre Cubertafon, Mme Typhanie Degois, Mme Marianne Dubois, Mme Françoise Dumas, M. Olivier Faure, M. Yannick Favennec Becot, M. Jean-Jacques Ferrara, M. Jean-Marie Fiévet, M. Laurent Furst, M. Thomas Gassilloud, Mme Séverine Gipson, M. Fabien Gouttefarde, M. Jean-Michel Jacques, M. Loïc Kervran, Mme Anissa Khedher, M. Bastien Lachaud, M. Fabien Lainé, M. Jean-Charles Larsonneur, M. Didier Le Gac, M. Christophe Lejeune, M. Jacques Marilossian, Mme Sereine Mauborgne, M. Philippe Michel-Kleisbauer, Mme Patricia Mirallès, Mme Josy Poueyto, Mme Natalia Pouzyreff, M. Thierry Solère, M. Jean-Louis Thiériot, Mme Sabine Thillaye, Mme Laurence Trastour-Isnart, M. Stéphane Travert, Mme Nicole Trisse, M. Charles de la Verpillière
Excusés. – M. François André, M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Florian Bachelier, M. Olivier Becht, Mme Aude Bono-Vandorme, M. Sylvain Brial, Mme Carole Bureau-Bonnard, M. Luc Carvounas, M. Richard Ferrand, M. Philippe Folliot, Mme Pascale Fontenel-Personne, M. Claude de Ganay, Mme Manuéla Kéclard-Mondésir, M. Jean-Christophe Lagarde, Mme Frédérique Lardet, M. Franck Marlin, M. Joaquim Pueyo, M. Stéphane Trompille, Mme Alexandra Valetta Ardisson
Source: Assemblée nationale