Question écrite n° 00251 de Mme Laurence Cohen (Val-de-Marne – Communiste républicain et citoyen) publiée dans le JO Sénat du 13/07/2017 – page 2253
Mme Laurence Cohen attire l’attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice sur les contrôles d’identité.
Lors de deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) sur les articles 78-2 et 78-2-2 du code de procédure pénale et les articles L. 611-1 et L. 611-1-1 du code du séjour et de l’entrée des étrangers, le Conseil constitutionnel a estimé, le 24 janvier 2017, que ces textes étaient conformes à la Constitution.
Néanmoins, il émet deux réserves. En effet, les dispositions prévues par la loi « ne sauraient, sans méconnaître la liberté d’aller et de venir, autoriser le procureur de la République à retenir des lieux et périodes sans lien avec la recherche des infractions visées dans ses réquisitions. Elles ne sauraient non plus autoriser, en particulier par un cumul de réquisitions portant sur des lieux ou des périodes différents, la pratique de contrôles d’identité généralisés dans le temps ou dans l’espace. »
Ces réserves sont édictées en partant du constat que les pratiques s’éloignent de l’esprit de la loi, notamment en utilisant le droit pénal pour un contrôle administratif. Dans certaines situations, les policiers sont mandatés pour constater une infraction mais, au lieu de contrôler une personne soupçonnée d’en commettre une, ils effectuent un contrôle de la régularité du séjour. De même, le récent rapport du Défenseur des droits fait état de contrôles ciblés récurrents dans certaines zones et d’une sur-représentation injustifiée des jeunes hommes perçus comme noirs ou arabes lors de ces contrôles. Elle rappelle, d’ailleurs, que l’État a été condamné par la Cour de cassation, le 9 novembre 2016, pour faute grave.
Elle lui demande donc comment elle entend inviter les magistrats à un strict « contrôle de la légalité des contrôles d’identité », en rappelant, par exemple, aux procureurs que les contrôles doivent être limités dans le temps et l’espace, qu’ils doivent bien avoir en lien avec une infraction, et ne doivent pas être discriminatoires. La traçabilité de ces contrôles via un récépissé lui paraît être un outil pertinent, porté par de nombreuses associations. Elle lui demande également quelles mesures concrètes elle entend prescrire aux parquets pour que leurs réquisitions soient accessibles à posteriori.
Dans un contexte particulièrement tendu et délicat, faisant suite aux violences et viol présumé, par un policier, à l’encontre d’un jeune, à Aulnay-sous-Bois, elle estime nécessaire que des changements concrets et rapides soient apportés, tant dans les réquisitions que dans les rapports police-population, afin que les droits fondamentaux soient respectés.
Réponse du Ministère de la justice publiée dans le JO Sénat du 28/09/2017 – page 3012
À la suite des arrêts de la Cour de cassation du 9 novembre 2016 et de la décision du Conseil constitutionnel du 24 janvier 2017, la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice a adressé aux procureurs généraux et aux procureurs de la République une dépêche, datée du 6 mars 2017, visant à rappeler les dispositions en vigueur et les bonnes pratiques de nature à prévenir les contrôles d’identité discriminatoires et à présenter les mesures à adopter pour renforcer le contrôle effectif de l’autorité judiciaire en matière de contrôles d’identité.
Concernant le strict contrôle de légalité des contrôles d’identité de la part de l’autorité judiciaire : cette dépêche rappelle aux procureurs que ne peuvent être visés dans leurs réquisitions des lieux et périodes de contrôle sans lien avec les infractions visées dans ces mêmes réquisitions. Elle précise en outre que les procureurs de la République ne peuvent autoriser des contrôles d’identité généralisés dans le temps ou dans l’espace, en particulier en procédant par un cumul de réquisitions portant sur des lieux ou des périodes différents et qu’il leur incombe de s’assurer que les opérations de contrôles d’identité, réalisées sur réquisitions ou dans un cadre administratif, sont exécutées dans le respect des libertés individuelles et ne revêtent pas de caractère discriminatoire. Dans cette perspective, les déplacements inopinés du procureur de la République sur les lieux des opérations de contrôles d’identité sont encouragés. La dépêche préconise également la vérification systématique par le procureur de la République de la régularité juridique ainsi que de l’opportunité des demandes émanant des services de police et des unités de gendarmerie au regard de leurs motifs, des lieux et des dates visés ainsi que de la fréquence des opérations de contrôle réalisées dans ces lieux. À cette fin, ces derniers sont incités à solliciter des chefs de services et d’unités à l’origine de telles demandes qu’ils explicitent les motifs, les objectifs, ainsi que les moyens qui seront mis en œuvre, par la production de copie des plaintes ou tout autre élément statistique ou qualitatif susceptible d’étayer leurs demandes.
Concernant la traçabilité des contrôles d’identité : la loi prévoit expressément dans certaines hypothèses (en cas de découverte d’une infraction, si le conducteur ou le propriétaire du véhicule le demande ou dans le cas où la visite se déroule en leur absence) la rédaction d’un procès-verbal consécutif à sa réalisation dans le cas où il a été accompagné d’une mesure d’investigation contraignante (visite de véhicule, pénétration dans un lieu à usage professionnel…). La nécessité de vérifier l’établissement de ces procès-verbaux et d’en analyser le contenu a été rappelée aux parquets. Par ailleurs, le port d’un numéro d’identification individuel pour les forces de l’ordre, prévu par l’article R. 434-15 du code de la sécurité intérieure, contribue à la traçabilité des contrôles d’identité en permettant plus aisément l’identification de leur auteur. Afin de renforcer la traçabilité des contrôles d’identité, la dépêche du 6 mars 2017 préconise la rédaction d’un rapport de contrôle transmis au procureur de la République par le chef du service ou de l’unité ayant exécuté les réquisitions. Ce rapport a vocation à être joint à la procédure administrative ou judiciaire établie consécutivement au contrôle d’identité. Par ailleurs, l’article 211 de la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté prévoit l’expérimentation de l’enregistrement systématique des contrôles d’identité par caméra mobile par les agents de la police et de la gendarmerie nationales.
Concernant l’accessibilité des réquisitions a posteriori : la dépêche du 6 mars 2017 prévoit que les parquets sollicitent des services d’enquête qu’ils joignent systématiquement à toute procédure judiciaire ou administrative diligentée à la suite d’un contrôle d’identité copie des réquisitions ayant servi de fondement à celui-ci. Cette précaution a vocation à asseoir la régularité des contrôles effectués et à permettre à toute juridiction saisie de procéder à cette vérification.
Concernant la mise en œuvre effective de ces instructions par les procureurs de la République : dans le cadre des rapports annuels de politique pénale établis par les procureurs de la République en application de l’article 39-1 du code de procédure pénale, ces derniers ont été spécifiquement interrogés au titre de leur activité pour l’année 2016, sur les modalités de délivrance des réquisitions et de suivi des opérations de contrôle d’identité. Il en ressort, s’agissant de la qualité du contrôle des magistrats du parquet sur les modalités de mise en œuvre de ces réquisitions par les fonctionnaires de police et les militaires de la gendarmerie, que plusieurs procureurs de la République ont diffusé des instructions à destination des services d’enquête afin que les réquisitions délivrées soient conformes aux conditions fixées par la jurisprudence de la Cour de cassation. La majorité des parquets indique ainsi que les réquisitions doivent faire l’objet d’une demande motivée précisant le contexte du contrôle, sa durée et sa localisation. Certains procureurs rappellent la nécessité de mettre en cohérence les réquisitions avec les infractions recherchées dont la commission est récurrente ou en recrudescence et d’éviter de viser dans les réquisitions toutes les infractions visées aux articles 78-2 et 78-2-2 du code de procédure pénale, ce renvoi à toutes ces infractions pouvant présenter l’apparence d’un « catalogue » éloigné du but recherché. D’autres précisent avoir rejeté un certain nombre de requêtes faute de motivation ou d’avis préalable. À l’issue des contrôles, la plupart des procureurs de la République sollicitent des services d’enquête la transmission de rapports écrits relatant le déroulement des opérations autorisées, que celles-ci relèvent de l’article 78-2 ou de l’article 78-2-2 du code de procédure pénale (durée, nombre de personnes contrôlées, infractions constatées). À ce titre, sur certains ressorts, la transmission d’un rapport écrit conditionne la délivrance de nouvelles réquisitions. Enfin, plusieurs procureurs indiquent avoir établi des plans de contrôle avec présence, le cas échéant, du magistrat de permanence, parfois de manière inopinée.
Source: JO Sénat du 28/09/2017 – page 3012