Questions au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.
Attentat de Marseille
M. le président. La parole est à M. Guy Teissier, pour le groupe Les Républicains.
M. Guy Teissier. Monsieur le président, ma question – à laquelle j’associe ma collègue Valérie Boyer – s’adresse à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur. Comme vous venez de le dire, ce dimanche, à Marseille, la France a de nouveau été meurtrie par la barbarie du terrorisme islamiste. En début d’après-midi, deux jeunes filles, cousines, qui cheminaient paisiblement pour prendre leur train trouvent face à elles – ou plutôt derrière elles – une brute sanguinaire qui va odieusement égorger la première et poignarder à mort la seconde. Je voudrais exprimer ma profonde compassion envers les familles de ces deux jeunes filles et apporter mon soutien à la patrouille de légionnaires qui, grâce à son sang-froid, a neutralisé l’individu, évitant probablement l’extension du drame. Je voudrais également, monsieur le ministre d’État, vous remercier pour la promptitude avec laquelle vous vous êtes rendu sur les lieux.
Hasard du calendrier, nous serons cet après-midi amenés à nous prononcer sur votre projet de loi relatif à la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, qui vise à sortir de l’état d’urgence en vigueur depuis les attentats de novembre 2015. L’heure est grave car, dans un tel contexte, ce projet de loi ne peut répondre aux défis que nous lance l’islamisme radical. À l’heure où la menace terroriste est à son paroxysme – vous le dites d’ailleurs vous aussi –, à l’heure où, partout en France, des actes isolés d’une extrême violence génèrent un fort sentiment d’insécurité, il est irresponsable voire dangereux de sortir de l’état d’urgence. Cela va contre l’intérêt national. Ce faisant, vous faites clairement le choix d’affaiblir la protection des Françaises et des Français.
Par ailleurs, monsieur le ministre d’État, comment pouvez-vous justifier qu’un étranger en situation irrégulière, interpellé à sept reprises, notamment deux jours avant le drame, n’ait pas été placé en rétention administrative ?
Monsieur le ministre d’État, le chagrin ne suffit pas ; le chagrin ne suffit plus. Comment peut-on gagner cette guerre contre la barbarie sans se donner les moyens de le faire ? (Applaudissements sur les bancs des groupes LR et LC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur.
M. Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l’intérieur. Monsieur le député, avant-hier, je déjeunais avec mes filles lorsque, à deux heures de l’après-midi, j’ai appris la nouvelle. Je suis immédiatement allé à Marseille et j’ai vu ce qui venait de se passer. Plus tard dans la soirée, j’ai appris l’identité des victimes : Mauranne et Laura ; elles avaient toutes les deux vingt ans. L’une était Marseillaise, l’autre Lyonnaise ; elles s’étaient rejointes pour le week-end, et la Lyonnaise venait reprendre son train pour repartir à Lyon.
Pour revenir à votre question, monsieur le député, avant-hier, nous étions dans l’état d’urgence, et le drame n’a pas été empêché pour autant. Cela montre qu’il faut être sans cesse dans la vigilance et faire en sorte que nos services de renseignement puissent travailler chaque fois très en amont.
Comme vous le savez, j’ai immédiatement ordonné une inspection pour savoir comment quelqu’un arrêté à sept reprises avait pu être libéré.
M. Thibault Bazin. Scandaleux !
M. Gérard Collomb, ministre d’État. Mais il l’avait déjà été, mesdames et messieurs les députés, en 2005.
M. Pierre Cordier. Et alors ? Ce n’est pas un argument !
M. Gérard Collomb, ministre d’État. Il faut donc réfléchir à tout cela. (Applaudissements sur les bancs des groupes REM et MODEM. – Exclamations sur les bancs du groupe LR.)
M. Pierre Cordier. Vous politisez le débat ! C’est une honte ! Indigne !
Attentat de Marseille
M. le président. La parole est à Mme Alexandra Louis, pour le groupe La République en marche.
Mme Alexandra Louis. Monsieur le président, ma question s’adresse à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur, M. Gérard Collomb. J’y associe mes collègues de Marseille Claire Pitollat, Cathy Racon-Bouzon et Saïd Ahamada.
Monsieur le ministre d’État, dimanche après-midi sur le parvis de la gare Saint-Charles à Marseille, deux jeunes femmes ont été assassinées lors d’une effroyable attaque. À travers ces victimes, c’est Marseille tout entière qui a été touchée de plein fouet.
Plusieurs députés du groupe LR. C’est la France !
Mme Alexandra Louis. Connue et reconnue pour son ouverture et son métissage, notre ville fait face dans l’unité à ce drame. Nous restons plus que jamais déterminés à combattre ce fléau que représente le terrorisme. Nos pensées vont aux familles et aux proches des jeunes victimes, Mauranne et Laura. Elles ne seront pas oubliées.
Nous tenons à saluer le sang-froid et le professionnalisme de nos militaires de l’opération Sentinelle qui ont su réagir très rapidement. Nos forces de l’ordre et nos personnels soignants font un travail remarquable, et ce quotidiennement.
Monsieur le ministre d’État, à ce stade de l’enquête et devant les interrogations qui se posent quant au profil de l’assaillant, quels éléments et quelles initiatives pouvez-vous nous communiquer concernant cette odieuse attaque ?
Comme tous les Français, nous ne supportons plus de voir tomber ces victimes innocentes sur notre territoire. Nous sommes conscients que l’état d’urgence ne peut être prorogé éternellement. Reste que – à notre grand malheur – nous faisons face à une menace continue. En conséquence, il nous paraît plus que jamais nécessaire d’adapter certaines dispositions de notre droit actuel afin de permettre à nos services de police et de gendarmerie d’être toujours plus efficaces.
C’est pourquoi vous pourrez compter sur le soutien sans faille des députés de notre majorité. (Exclamations sur les bancs du groupe LR.)
M. Thibault Bazin. Fumisterie !
Mme Alexandra Louis. Alors que l’Assemblée nationale se prononcera dans quelques minutes sur le projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, pourriez-vous rappeler à la représentation nationale la philosophie de celui-ci ? (Applaudissements sur les bancs du groupe REM.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Edouard Philippe, Premier ministre. Madame la députée, le choc est immense. Au-delà de la tristesse que nous ressentons tous, il y a – c’est l’évidence – de la colère face à la brutalité de ces actes, de l’incompréhension face à ces crimes terroristes aveugles et particulièrement lâches. Vous avez rappelé, monsieur le ministre d’État, ministre de l’intérieur, les conditions dans lesquelles cet acte terroriste a été commis.
Il aurait pu avoir des conséquences bien plus dramatiques encore si les militaires de l’opération Sentinelle n’avaient pas été présents, et s’ils n’avaient pas fait la preuve de leur capacité à agir en employant leurs armes avec un sang-froid remarquable. Leur sang-froid a été salué à juste titre sur tous les bancs de cette assemblée, et je crois que nous devons nous en inspirer.
Nous devons nous en inspirer tout d’abord pour respecter le deuil terrible dans lequel sont plongés les familles et les proches des victimes. Comme moi, mesdames, messieurs les députés, vous avez vu – peut-être certains d’entre vous y ont-ils même participé – l’hommage qui a été rendu aux victimes, à l’université d’Aix-Marseille, par leurs amis étudiants et la totalité du monde universitaire. C’était un hommage poignant et juste : nous devons nous y associer.
Nous devons aussi nous inspirer de ce sang-froid pour faire toute la lumière sur les conditions dans lesquelles cet acte a été commis. Vous avez posé une bonne question, monsieur Teissier, que tous les Français se posent, et vous l’avez fait sur un ton qui vous fait honneur. Il faut y répondre : c’est pourquoi M. le ministre d’État, dès son arrivée sur les lieux, a ordonné une inspection en vue de déterminer exactement les raisons, les causes, les motifs, les responsabilités qui ont conduit à la situation que vous avez dénoncée. Nous aurons l’occasion d’en discuter, mais je pense qu’il est nécessaire, au-delà de la colère et de l’émotion qui s’expriment, de connaître précisément l’ensemble des faits avant de les commenter.
Enfin, le sang-froid dont ont fait preuve les militaires de l’opération Sentinelle doit tous nous guider. Il ne s’agit pas de nous interdire de débattre ici – si nous ne débattions pas dans ce lieu, alors nous ne débattrions jamais – des dispositifs législatifs à mettre en œuvre pour répondre à la menace. Il s’agit plutôt de conduire ces débats en gardant en tête une idée claire : nous voulons tous, sur tous les bancs de cette assemblée ou du Sénat, répondre efficacement à cette menace.
Sans doute nous arrive-t-il de diverger quant aux moyens propres à garantir l’efficacité de cette réponse. Certains expriment l’opinion que les mesures que le Gouvernement a proposées et que M. le ministre d’État a soutenues devant le Parlement sont insuffisantes ; d’autres, que ces mêmes mesures sont trop dangereuses pour les droits et libertés. Mais à l’issue de ce débat, l’Assemblée votera, comme le Sénat a voté.
Ce que je veux vous dire, mesdames, messieurs les représentants de la nation, à vous et aux Français qui nous regardent, c’est que – comme nous le disons depuis le début, comme d’autres avant nous l’ont dit très clairement – le niveau de menace qui prévaut dans notre pays est élevé. En outre, cette menace est protéiforme : elle prend parfois l’aspect d’organisations structurées qui emploient des instruments de destruction puissants ; elle peut aussi prendre le visage d’un individu qui, basculant dans l’acte, commet l’irréparable, sans que grand-chose – je ne dis pas que ce soit toujours le cas – ne laisse à penser qu’il puisse ainsi basculer. Je le répète : la menace contre laquelle nous devons lutter est protéiforme.
Nous devons pour cela employer des instruments juridiques, mais pas seulement. Le droit existant sera complété grâce au projet de loi qui a été présenté au Parlement par M. le ministre d’État. Je pense que c’est un bon projet de loi, qui renforcera notre arsenal juridique. Cependant nous savons tous que la loi n’est pas le seul instrument de lutte contre la menace terroriste ; en tout cas, elle ne doit pas être la seule arme de cette lutte. Nous devons en effet combattre sur tous les fronts : c’est un combat culturel, un combat social, un combat d’ordre public. C’est pourquoi nous devons donner des moyens aux forces de l’ordre, améliorer la communication entre les services de renseignement, et faire en sorte que l’ensemble des citoyens français soient vigilants et attentifs à cette menace.
Le combat dans lequel nous sommes engagés n’est pas celui des forces de l’ordre contre les terroristes ; c’est le combat de la France contre des gens qui veulent la défaire. Cela signifie que tous les citoyens français doivent être vigilants, qu’ils doivent tous regarder, observer et participer à cet effort de défense de la nation.
Bien entendu, nous pouvons discuter des instruments juridiques pour lutter contre le terrorisme : c’est même un devoir. Mais nous ne devons pas nous arrêter au droit, qui relève de nous seuls : nous devons envisager la lutte contre le terrorisme d’une façon plus générale et plus déterminée, afin que les valeurs de notre pays prévalent définitivement. (Applaudissements sur les bancs des groupes REM et MODEM et sur plusieurs bancs du groupe LC.)
Source: Assemblée nationale, Compte rendu intégral Première séance du mardi 03 octobre 2017