Question écrite n° 21119 de M. Jacques Grosperrin (Doubs – Les Républicains) publiée dans le JO Sénat du 07/04/2016 – page 1384
M. Jacques Grosperrin interroge M. le garde des sceaux, ministre de la justice à propos du droit d’agir des associations.
Dans quatre arrêts rendus le 16 mars 2016, la première chambre civile de la Cour de cassation a déclaré une association irrecevable à agir en justice, faute d’intérêt légitime, car elle n’invoquait aucun autre intérêt que la défense des intérêts collectifs dont elle se prévalait (Cass., Civ., 1ère, 16 mars 2016, n° 15-10578, 15-10576 et 15-10733, 15-10579, 15-10577). La position affirmée par la Cour de cassation dans ces décisions est contraire à celle qu’elle retenait auparavant. Elle avait ainsi déclaré, dans un arrêt du 18 septembre 2008, que « même hors habilitation législative et en l’absence de prévisions statutaires expresse quant à l’emprunt de voies judiciaires, une association peut agir en justice au nom d’intérêts collectifs dès lors que ceux-ci entrent dans son objet social. » (Cass., Civ. 1ère, 18 septembre 2008, n°06-22038, Bull. Civ. I, n°201). Ce revirement de jurisprudence risque de restreindre considérablement la possibilité ouverte à des associations d’agir en justice pour la défense des intérêts collectifs. Il pourrait avoir des conséquences particulièrement négatives dans de nombreux secteurs où les associations agissent, le plus souvent, sans invoquer d’autre intérêt que la sauvegarde d’un intérêt collectif (lutte contre le proxénétisme, cause animale, droit au logement, etc.). Pour y remédier, il lui demande s’il convient de garantir le droit d’action des associations en modifiant la loi de 1901 pour prévoir expressément qu’une association puisse agir en justice au nom d’intérêts collectifs, dès lors que ceux-ci entrent dans son objet social.
Transmise au Ministère de la justice
Réponse du Ministère de la justice publiée dans le JO Sénat du 30/03/2017 – page 1304
À l’instar de toute personne physique ou morale, une association peut toujours agir en justice pour défendre ses intérêts propres. Si l’action en justice d’une association pour défendre des intérêts collectifs a longtemps été refusée en l’absence de justification par celle-ci d’un préjudice direct et personnel, les évolutions législatives et jurisprudentielles ont progressivement levé les obstacles à l’action des associations pour la défense des intérêts collectifs et étendu leurs possibilités d’action en justice ou d’intervention volontaire. Ainsi, le législateur a habilité certaines associations à agir pour la défense d’intérêts collectifs en matière civile. Cette habilitation a notamment été accordée à des associations de défense des consommateurs ou à des associations agissant en droit de l’environnement. En outre, la Cour de cassation a étendu la recevabilité de l’action en justice d’associations non habilitées par la loi afin de faire cesser un trouble manifestement illicite par rapport aux causes qu’elles défendent (Civ. 1re, 14 novembre 2000, pourvoi n° 99-10.778). Elle a ensuite admis qu’une association pouvait agir pour la défense d’intérêts collectifs dès lors qu’ils entraient dans son objet social (Civ. 3e, 26 septembre 2007, pourvoi n° 04-20.636). Elle a enfin précisé, sur le fondement de l’article 31 du code de procédure civile relatif à l’intérêt à agir en justice et de l’article 1er de la loi du 1er juillet 1901, qu’une association pouvait ester en justice pour la défense d’intérêts collectifs, même hors habilitation législative et en l’absence de prévision statutaire expresse quant à l’emprunt des voies judiciaires, à la seule condition que les intérêts précités entrent dans son objet social (Civ. 1re, 18 septembre 2008, pourvoi n° 06-22.038). Par quatre arrêts du 16 mars 2016, la première chambre civile de la Cour de cassation a rejeté les pourvois qui faisaient grief aux arrêts d’appel d’avoir déclaré irrecevable l’intervention volontaire à titre accessoire d’associations dans le cadre d’instances en adoption plénière. En l’espèce, les instances portaient sur la demande d’adoption plénière formée par un conjoint homosexuel. Le tribunal de grande instance ayant rejeté la demande d’adoption, la requérante avait formé un appel. C’est dans ce cadre que les associations avaient entendu intervenir à l’instance pour s’opposer à la demande d’adoption. La Cour de cassation a jugé que c’est dans l’exercice de leur pouvoir souverain que les juges d’appel ont estimé que ces associations, qui n’invoquaient aucun autre intérêt que la défense des intérêts collectifs dont elles se prévalaient, ne justifiaient pas d’un intérêt légitime à intervenir dans la procédure. Par ces décisions, la haute juridiction judiciaire, d’une part, rappelle que l’appréciation de la légitimité de l’intérêt à intervenir à une instance relève du pouvoir souverain du juge du fond, d’autre part, constate que les juges ont bien procédé en l’espèce à cette appréciation. Il convient de rappeler que la procédure d’adoption vise à la création, par jugement, d’un lien juridique de filiation, d’origine exclusivement volontaire, entre l’adoptant et l’adopté. Partant, elle relève de l’état des personnes. L’intervention à l’instance d’associations ne présentant aucun lien avec les parties et l’enfant constituerait donc une intrusion dans la vie privée et familiale de ces derniers, ce alors que le ministère public a pour rôle dans ses affaires, d’exprimer son avis sur l’interprétation de la loi et formuler ses observations en vue de la défense de l’ordre public. Ainsi, les arrêts de la première chambre civile du 16 mars 2016 ne paraissent pas caractériser un revirement de jurisprudence préjudiciable à l’action en justice d’associations non habilitées œuvrant à la défense d’intérêts collectifs dès lors qu’ils relèvent de leur objet social. Ces décisions font seulement application des règles énoncées à l’article 325 du code de procédure civile, aux termes duquel l’intervention n’est recevable que si elle se rattache aux prétentions des parties par un lien suffisant, et à l’article 330 du code de procédure civile, aux termes duquel l’intervention accessoire n’est recevable que si son auteur a intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir une partie. L’article 554 du même code prévoit par ailleurs que les personnes qui n’ont été ni parties ni représentées en première instance peuvent intervenir en cause d’appel dès lors qu’elles y ont intérêt. L’appréciation de cet intérêt relève du juge, afin que le procès ne prenne pas une dimension collective là où elle n’a pas lieu d’être, sous le regard du parquet qui veille aux intérêts de la société. En conséquence, il n’est pas en l’état envisagé de modifier la législation relativement à la justification de l’intérêt pour agir d’une association, qui doit s’apprécier au regard de son objet social, dans le cadre des règles énoncées par le code de procédure civile.
Source: JO Sénat du 30/03/2017 – page 1304