Question d’actualité au gouvernement n° 0712G de Mme Corinne Bouchoux (Maine-et-Loire – Écologiste)
publiée dans le JO Sénat du 20/01/2016 – page 268
Mme Corinne Bouchoux. Ma question s’adresse à M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur.
La récente actualité funeste de janvier et de novembre 2015 a attiré l’attention du grand public sur les fiches « S ». Sans nier ni leur utilité ni leur objectif, nous aimerions connaître les motivations qui entraînent l’inscription d’un individu sur ces fiches « S », le nombre de catégories existantes, éventuellement les effectifs de chacune et, surtout, les modalités de mise à jour ou de rectification des informations qu’elles contiennent.
Depuis la mise en place de l’état d’urgence – vous vous en êtes expliqué, monsieur le ministre –, certaines mises en lumière des fiches « S » peuvent parfois susciter des interrogations. Par exemple, suffit-il de s’être rendu à une manifestation anti-aéroport pour être classé fiche « S » ? (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
À l’heure des intrusions dans les services informatiques, comment être certain qu’il n’y a pas de mésusages de ces fiches ? Quel « recours » pour un individu qui s’aperçoit qu’il est classé fiche « S » et qui n’a rien commis d’illégal ? Quelles sont les conditions de sortie éventuelle d’un fichier « S » ? Quid des homonymies ? Avez-vous déjà relevé des erreurs matérielles ? Quelle est la collaboration avec la CNIL ? Enfin, avez-vous un historique minutieux des personnes qui consultent ou ont consulté ce fichier ?
Si nous entendons bien la nécessité de garantir la sécurité publique, il semble important d’éclairer les citoyens sur cet outil de signalement qui est aujourd’hui plus connu. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
Réponse du Ministère de l’intérieur publiée dans le JO Sénat du 20/01/2016 – page 268
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Madame la sénatrice, je vous remercie de votre question, qui laisse à penser que les services de renseignement, par les dispositifs qu’ils initient, pourraient être plus dangereux que les terroristes eux-mêmes… (Rires et applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et républicain, du RDSE et de l’UDI-UC, ainsi sur les travées du groupe Les Républicains.) Je veux vous rassurer : ce n’est absolument pas le cas ! Dans un contexte de menace très élevée, nos services de renseignement essaient de bien faire leur travail, en prenant toutes les précautions et dans le respect du droit.
Pour vous rassurer totalement, je répondrai précisément à toutes les questions que vous soulevez.
La fiche « S » n’est pas une fiche de culpabilité, de condamnation pénale. C’est une fiche de mise en attention des services de renseignement, notamment de la direction générale de la sécurité intérieure et du renseignement territorial, en raison du comportement d’un individu ou du risque qu’il présente, en particulier dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Le nombre de personnes fichées pour cette raison a beaucoup été évoqué.
Cette fiche n’est pas élaborée pour l’éternité. Elle n’est pas figée dans le temps. D’une part, à tout moment, les services de renseignement peuvent réévaluer la classification opérée en raison des informations dont ils disposent. D’autre part, cette fiche a une durée de vie d’un an, à l’issue de laquelle le service de renseignement est saisi pour savoir s’il souhaite ou non la proroger. S’il n’a pas réagi après expiration d’un délai de deux mois, la fiche sort du dispositif.
Par ailleurs, vous me demandez si des erreurs peuvent être commises, en raison notamment d’homonymies. Non, parce que la fiche est précise et, même si des individus portent le même nom, il est rare que leur date de naissance soit identique.
M. le président. Il faut conclure !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Par conséquent, le niveau de précision des fiches est un gage de garantie.
J’aurais encore mille choses à vous dire, mais, faute de temps, je vous propose de me poser la prochaine fois une autre question… (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur plusieurs travées du RDSE et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux, pour la réplique.
Mme Corinne Bouchoux. Il n’y avait ni malice ni soupçon dans ma question. Il est simplement important que nous soyons clairs sur le sujet. Je vous le dis très franchement, monsieur le ministre, dans un État de droit, il est normal que des partis démocratiques s’interrogent sur la mise en application de ces fiches.
À l’ère de l’informatique, à l’ère des hackers, à l’ère d’une forme de modernité, il est important que, dans un État de droit, aucune question ne soit taboue. Si, un jour, malheureusement, nous connaissions un régime moins sensible aux libertés publiques que le nôtre, nous nous réjouirons de nous être interrogés sur ce sujet aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC.)
Source: JO Sénat du 20/01/2016 – page 268