Question orale sans débat n° 0981S de M. François Bonhomme (Tarn-et-Garonne – UMP-R) publiée dans le JO Sénat du 25/12/2014 – page 2830
M. François Bonhomme attire l’attention de M. le ministre de l’intérieur sur la question de l’usage des drones et de leur encadrement.
Le survol de centrales nucléaires par des drones non-identifiés pose la question de l’utilisation de ces engins volants pilotés à distance et dont l’application d’abord militaire puis sécuritaire est, à présent, largement répandue dans le civil et le secteur des loisirs. Plus de 650 opérateurs de drones sont déclarés auprès de la direction générale de l’aviation civile (DGAC) et 42 constructeurs opèrent en France. Cette année encore, les drones de loisir connaîtront, sans aucun doute, un grand succès à l’occasion des fêtes de fin d’année et le chiffre d’affaires des constructeurs et exploitants français devrait tripler d’ici à 2015, pour atteindre 288 millions d’euros, soit une augmentation de 70 % par an depuis 2012.
Il se félicite que la France ait été un pays précurseur en matière de législation dans ce secteur ; l’usage des drones dans la sphère civile est réglementé par deux arrêtés ministériels du 11 avril 2012, le premier concernant la conception des drones, les conditions de leur emploi et les capacités requises des personnes qui les utilisent, et le second précisant les conditions d’utilisation de l’espace aérien par les drones. Par ailleurs, la collecte de données par voie aérienne, réservée, jusqu’ici, au monde professionnel, est régie par l’article D. 133-10 du code de l’aviation civile : il prévoit que des autorisations doivent être accordées et, ces données étant numériques, leur utilisation et leur conservation est régie par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. Enfin, une réglementation particulière s’applique pour le survol des centrales nucléaires mais aussi celui des zones urbaines : c’est, à la fois, le survol de zones interdites qui est sanctionné pour les risques liés au non-respect des couloirs aériens à basse altitude, mais aussi l’utilisation des fréquences de communication utilisées sans préavis qui peuvent brouiller certaines communications prioritaires. Les articles L. 6232-4 et L. 39-1 du code des transports prévoient des sanctions en cas d’infraction.
La France va prochainement aller plus loin et adapter la réglementation de 2012, en autorisant officiellement, au début de 2015, l’utilisation des drones de loisir. De nouveaux arrêtés reconnaîtront la possibilité de prises de vues de toutes natures en aéromodélisme dès lors que celle-ci est accessoire au vol et que les vues réalisées ne sont pas exploitées à titre commercial. Ces textes s’inscrivent cependant dans un cadre assez strict qui n’autorise le pilotage de drones pour un usage non professionnel qu’à condition que ces aéronefs sans pilote restent dans le champ de vision de celui qui les manipule et ne dépassent pas une altitude de 150 mètres.
Si ces textes apportent une clarification certaine, il n’en demeure pas moins que plusieurs problèmes se posent : d’abord, celui de la méconnaissance de la réglementation par les utilisateurs de drones de loisir ; ensuite, celui des moyens à disposition de la gendarmerie des transports aériens pour faire respecter la réglementation et identifier les auteurs d’infractions.
Enfin et surtout, comme on commence à le voir aux États-Unis, de vives controverses risquent d’apparaître sur la question de la protection de la vie privée. La loi de 1978 protège clairement la vie privée mais, dès lors que la collecte de données est aérienne, il semble bien difficile de tracer une limite claire entre ce qui peut être licitement vu et entendu ou pas et ce qui fait partie de la vie privée d’un point de vue aérien. Cette question est suffisamment aigüe pour que la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) ait décidé de conduire une réflexion sur ce sujet très complexe.
Il lui demande, par conséquent, comment le Gouvernement entend concilier les nouveaux usages induits par ces innovations robotiques et la nécessité d’un cadre juridique clair, rassurant et protecteur.
Réponse du Ministère de la ville, de la jeunesse et des sports publiée dans le JO Sénat du 18/02/2015 – page 1824
M. François Bonhomme. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ma question porte sur l’usage des drones et leur encadrement.
Le récent survol de centrales nucléaires, et même du palais de l’Élysée, par des drones non identifiés pose la question de l’utilisation de ces engins volants pilotés à distance dont l’application, d’abord militaire, est à présent largement répandue dans le civil et le secteur des loisirs. Cette année encore, les drones de loisirs ont « fait un tabac » à l’occasion des fêtes de fin d’année, et des modèles de plus en plus sophistiqués sont proposés.
Notre pays a joué un rôle précurseur en matière de législation dans ce secteur, puisque l’usage des drones dans la sphère civile est réglementé par deux arrêtés ministériels du 11 avril 2012. Le premier concerne la conception des drones, les conditions de leur emploi et les capacités requises des personnes qui les utilisent. Le second précise les conditions d’utilisation de l’espace aérien par les drones. Il s’agit là de textes techniques.
Par ailleurs, la collecte de données par voie aérienne, réservée jusqu’ici au monde professionnel, est régie par le code de l’aviation civile qui prévoit que des autorisations peuvent être accordées. Ces données étant numériques, leur utilisation et leur conservation sont régies par la loi « informatique et libertés ».
Enfin, une réglementation particulière s’applique au survol des centrales nucléaires, mais aussi à celui des zones urbaines : c’est à la fois le survol de zones interdites qui est sanctionné, mais aussi l’utilisation non autorisée des fréquences de communication. Le code des transports prévoit des sanctions en cas d’infraction, comme a pu le constater le lycéen dont le drone avait survolé la place Stanislas à Nancy.
La France va prochainement aller plus loin et toiletter la réglementation de 2012. De nouveaux arrêtés doivent reconnaître la possibilité de prises de vues de toute nature en aéromodélisme, dès lors que celle-ci est accessoire au vol et que les vues réalisées ne sont pas exploitées à titre commercial. Autrement dit, l’utilisation de drones de loisirs qui n’était jusqu’alors que tolérée sera reconnue de jure, car la réglementation actuelle n’évoque pas l’usage récréatif de drones. Ces textes s’inscrivent cependant dans un cadre assez strict qui autorise le pilotage de drones pour un usage non professionnel, à la condition que ces aéronefs sans pilote restent dans le champ de vision de celui-ci et ne dépassent pas une altitude de 150 mètres.
Il n’en demeure pas moins que plusieurs problèmes se posent : d’abord, celui de la méconnaissance de la réglementation par les utilisateurs de drones de loisirs ; ensuite, celui des moyens mis à disposition de la gendarmerie des transports aériens pour faire respecter la réglementation et identifier les auteurs d’infractions.
Enfin, comme on commence à le voir aux États-Unis, de vives controverses apparaissent sur la question de la protection de la vie privée. La loi de 1978 protège clairement la vie privée, mais dès lors que la collecte de données est aérienne, il semble bien difficile de tracer une limite claire entre ce qui peut être licitement vu et entendu, ou non, et ce qui fait partie de la vie privée d’un point de vue aérien. Cette question est suffisamment aiguë pour que la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, ait décidé de s’en saisir.
C’est pourquoi je vous demande, madame la secrétaire d’État, comment le Gouvernement entend concilier les nouveaux usages induits par ces innovations robotiques et la nécessité d’un cadre juridique clair, rassurant et protecteur.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Myriam El Khomri,secrétaire d’État auprès du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, chargée de la politique de la ville. Monsieur le sénateur François Bonhomme, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence de M. le ministre de l’intérieur.
Les aéronefs qui circulent sans personne à bord, couramment dénommés « drones », terme qui néanmoins n’apparaît pas dans la réglementation en vigueur, comme vous l’avez indiqué, sont régis par deux arrêtés du 11 avril 2012, ainsi que par certaines dispositions du code des transports et du code de l’aviation civile.
Les deux arrêtés du 11 avril 2012 ont pour objet principal de préserver la sécurité des personnes et des biens survolés, des aéronefs et des autres usagers de l’air. Ils ne traitent pas directement des questions de protection de la vie privée qui restent régies par les dispositions générales applicables dans ce domaine, notamment l’article 9 du code civil et l’article 226-1 du code pénal.
S’agissant plus particulièrement des drones de loisirs, l’accès à l’espace aérien est libre en dessous de 150 mètres par dérogation aux règles de l’air habituelles, étant précisé, en l’espèce, que seuls les vols en vue sont autorisés pour ces aéromodèles de moins de vingt-cinq kilogrammes.
Toutefois, cet accès à l’espace aérien en dessous de 150 mètres doit se faire en dehors, tout d’abord, des agglomérations et des rassemblements de personnes ou d’animaux, ensuite, des zones proches des aérodromes et, enfin, des espaces aériens spécifiquement réglementés qui figurent sur les cartes aéronautiques.
Concernant les utilisations professionnelles, le survol des agglomérations ou des rassemblements de personnes par ces drones n’est possible que dans le cadre d’une autorisation préfectorale délivrée après avis du service de la Défense et de la Direction régionale de l’aviation civile.
En outre, dès lors qu’un drone est équipé d’un appareil photo, d’une caméra mobile, d’un capteur sonore ou encore d’un dispositif de géolocalisation, il peut potentiellement porter atteinte à la vie privée. Si la prise de vue aérienne est réglementée par l’article D. 133-10 du code de l’aviation civile, il n’en demeure pas moins que la captation et l’enregistrement d’images relatives aux personnes relèvent également de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.
La multiplication potentielle de ces engins soulève en effet des enjeux importants pour les libertés individuelles et le respect de la vie privée. Les travaux menés durant l’année 2014 ont permis, en collaboration avec des constructeurs de drones de loisirs, la Fédération française d’aéromodélisme, la FFAM, la Fédération professionnelle du drone civil, la FPDC, et la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, la réalisation d’une notice d’information relative à l’usage de loisir des aéromodèles.
Cette notice a fait l’objet d’une large diffusion auprès des acteurs associatifs et professionnels du domaine du drone. Ce travail collaboratif sera suivi de travaux sur une obligation réglementaire de fourniture de cette notice lors de la vente d’un drone.
Eu égard à l’ensemble de ces aspects, la CNIL a engagé des travaux sur le sujet. Elle souhaite réfléchir à un cadre de régulation adapté permettant d’accompagner l’innovation et le développement de nouveaux usages, tout en fixant les limites à ne pas franchir en termes de surveillance.
Par ailleurs, à la suite de nombreux survols illicites de zones dites « sensibles », que vous avez soulignés dans votre question, le Premier ministre a initié un travail interministériel sur la protection contre les actes de malveillance commis au moyen de drones.
Le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, le SGDSN, a été chargé de coordonner les travaux et la réflexion menés dans ce cadre, qui s’inscrivent dans trois directions : d’abord, l’évaluation des risques et des menaces, ensuite, la réponse capacitaire à apporter, enfin, le champ juridique.
De plus, l’article 2 de la proposition de loi relative au renforcement de la protection des installations civiles abritant des matières nucléaires, adoptée par l’Assemblée nationale, en première lecture, le 5 février 2015, prévoit que, avant le 30 septembre 2015, le Gouvernement remettra au Parlement un rapport évaluant les risques et menaces que constituent les survols illégaux par des aéronefs télépilotés. Ce rapport présentera également les solutions techniques et capacitaires envisageables afin d’améliorer la détection et la neutralisation de ces appareils, ainsi que les adaptations juridiques nécessaires afin de réprimer de telles infractions.
Le Gouvernement entend soutenir les évolutions législatives et réglementaires qui se révéleraient nécessaires et proportionnées afin de concilier le développement de ce secteur avec les impératifs, notamment de protection de la vie privée et de respect de l’ordre public.
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme.
M. François Bonhomme. Madame la secrétaire d’État, j’ai pris bonne note de vos réponses concernant la protection de la vie privée.
Un autre volet de ma question portait sur une crainte suscitée par l’une des déclarations de Mme Royal. Interrogée à la suite du survol de centrales nucléaires à quatorze reprises en quatre mois par des drones non identifiés, elle semblait considérer que ces survols ne faisaient pas courir de risques.
Je retiens que le Gouvernement se préoccupe de protéger la vie privée et qu’une réflexion est actuellement menée pour apporter une réponse adéquate à cette demande.
Source: JO Sénat du 18/02/2015 – page 1824