Nous avions appelé l’attention sur la jurisprudence résultant de l’arrêt du Conseil d’Etat n°366628, qui a reconnu l’imputabilité au service de troubles psychiques (décompensation psychologique brutale avec effondrement anxio-dépressif ) manifestés par un militaire en dehors de tout fait précis de service auquel la maladie aurait pu être rattachée (L’Essor n°475 – Novembre 2014 page 35).
C’est cette jurisprudence que vient d’appliquer le tribunal des pensions militaires d’invalidité d’Agen au profit d’un gendarme, dans un jugement rendu le 3 décembre 2014.
LES FAITS.
- X, a été admis en 1990 à l’Ecole de Sous-Officiers de la Gendarmerie de Z. Il a été affecté le… à la Brigade Territoriale de Y, puis, le …., à la Brigade Territoriale de W.
Elevé au grade de Maréchal des Logis-chef, le…, il a enfin été affecté à la Brigade de B.
Il fait état d’une dégradation de l’ambiance de travail, qui expliquerait la dégradation de sa santé constatée au cours de l’été 2009. Il a subi une expertise médicale le 16 Décembre 2010. Il a été placé en congé de longue durée pour maladie à compter du 31 Mai 2011.
Le 1er Juillet 2011, il a demandé une pension militaire pour dépression sévère en lien direct avec le service. L’expertise médicale réglementaire a conclu à un taux d’invalidité de 60 % pour un « syndrome anxio-dépressif d’intensité sévère ». La Commission de Réforme de Bordeaux a cependant considéré que l’imputabilité de la maladie au service n’était pas prouvée.
Par décision du 23 Mai 2012, la demande de pension de M. X a été rejetée, aux motifs que la présomption d’imputabilité ne pouvait s’appliquer, en l’absence de fait de service légalement constaté ; que la preuve d’imputabilité au service n’était pas établie.
LES ARGUMENTS
L’état de santé de M. X.
- X a été examiné le 13 Mars 2012 par le Dr F, expert psychiatre agréé près le Centre de Réforme de Bordeaux. Cet examen a mis en évidence « une tension anxieuse, une hypothymie, une diminution de l’estime de soi et une attitude pessimiste envers l’avenir ». Cet état est chronique et dure depuis des années. Parfois des idées de référence existent. M. X présente aussi des troubles cognitifs. Des détails de la vie quotidienne peuvent l’occuper totalement. Il est alors incapable de modifier ses pensées et ses affects. Cela est incompatible avec l’exercice de ses fonctions ». L’expert conclut que » le syndrome anxio-dépressif est d’intensité sévère » et justifie, au regard du guide – barème, un taux d’incapacité de 60 %. Aucun doute n’est permis, selon l’administration, sur la réalité de cette pathologie.
L’administration.
L’administration soutient néanmoins qu’en vertu de l’article L. 3, M. X ne peut se prévaloir de la présomption d’imputabilité puisque l’infirmité a été constatée en dehors de toute opération de guerre ou de maintien de l’ordre, et pour la première fois au décours de l’expertise réglementaire du 13 Mars 2012. Ainsi, une relation directe, certaine et déterminante entre l’intimité et un fait précis de service, attestée par un rapport militaire authentique et contemporain des événements allégués (rapport circonstancié, extrait du registre des constatations…) ne serait pas prouvée. Une maladie survenant pendant le service n’est pas nécessairement imputable au service.
En outre, le défaut de production de cette preuve par le demandeur, à qui elle incombe, ne peut en aucun cas contraindre 1’administration à faire la preuve contraire. Enfin, l’administration souligne qu’elle n’a jamais allégué un état préexistant, mais seulement l’absence de constat légal d’imputabilité.
Pour voir rejeter la demande subsidiaire d’expertise, elle soutient que cette mesure serait inutile, car l’expert ne pourrait que constater la pathologie sans pouvoir se prononcer sur son lien avec le service.
Le gendarme X.
Représenté par le cabinet d’avocats MDMH, le demandeur développe deux arguments : d’une part le harcèlement, dont il aurait été victime, et d’autre part, la particularité de sa maladie.
MOTIFS DE LA DECISION.
Le Tribunal écarte le harcèlement, comme origine de la maladie. Il n’est pas démontré.
Il concentre alors son analyse sur les symptômes de la maladie décrits par l’expert : « Cela est cependant indifférent, car l’article L. 2 ne demandait à M. X que de prouver le lien entre le service et l’affection dont il est atteint, et non de prouver une faute de ses supérieurs, il convient donc d’examiner le dossier de ce point de vue, et d’abord de considérer la maladie.
L’expert psychiatre relève des idées de référence. Or, le « délire de référence » ou « délire sensitif de relation », classiquement décrits par Kretschmer, et ici par EY, BERNARD et BRISSET, affecte des « sujets -timides, sensibles, souvent anxieux à « psychasthéniques » (scrupules, hésitations) ; ils sont particulièrement enclins aux débats de conscience, sensibles aux réactions d’autrui (hyperesthésie des contacts sociaux) ils inhibent fortement leurs pulsions, et sont profondément insatisfaits. Les complexes de ‘frustration et d’infériorité sont d’autant plus manifestes qu’ils ne sont pas ou sont mal compensés. C’est sur ce terrain, sur ce fond de sensibilité impressionnable et vulnérable, que l’accumulation des circonstances pénibles, la sommation d’échecs ou de conflits, la tension engendrée par l’exaspération, les déceptions ou le désespoir enclenchent la psychose. Une goutte d’eau fait parfois déborder le vase, et c’est à l’ occasion d’une discussion, d’un avatar ou d’une humiliation que le délire éclate. Ce délire est un délire de relation, car, dit Kretschmer, il est vécu comme l’expérience cruciale d’un vécu du sujet avec un autre ou un groupe… A l’étranger, on emploie souvent le terme de délire de référence « pour exprimer… l’expérience fondamentale vécue par ces malades, celle d’être l’objet d’un intérêt, d’une indication ou d’une malveillance particulière, gênante ou humiliante…
Les idées et les sentiments délirants restent pour ainsi dire suspendus à l’événement qui en constitue le centre [par exemple] l’exclusion d’une communauté. Cette « paranoïa sensitive » se déroule généralement dans l’angoisse et la tension conflictuelle, et les réactions de ces malades sont plutôt dépressives et hyposthéniques qu’agressives ».
Le diagnostic du Dr F s’applique bien à M. X, qui après le déclenchement de la maladie, a évoqué un « mal-être », a parlé de se pendre, s’est senti dévalorisé dans son travail et ne s’est plus senti soutenu par l’institution. Les conflits successifs énumérés par M. D et confirmés par les pièces ne traduisent, on l’a vu, aucun harcèlement fautif de la hiérarchie, mais expliquent le déclenchement de la maladie chez un sujet prédisposé. Le Capitaine Q. a bien constaté ce processus cumulatif’ de la maladie : il relève dans la fiche de renseignements adressée le 24 Juin 2010 au Médecin-chef de la Légion de Gendarmerie d’Aquitaine que « ce sous-officier a fait l’objet ces derniers temps de nombreuses remarques verbales dans sa manière de servir ; [que] chaque rappel de la hiérarchie est interprété comme une pression supplémentaire, et contribue, selon ses explications, à nuire à l’ambiance de travail ». Ces reproches ont pris une forme écrite le 27 Août 2010, ce qui n’a fait qu’accélérer le processus.
L’état antérieur favorisant » de M. X ne peut conduire à, lui refuser la pension, dès lors qu’il est établi que des déceptions, et les exigences, puis les réprimandes de ses supérieurs ont déclenché la maladie. En effet, selon la jurisprudence, « même si l’intéressé présente un état antérieur favorisant, il suffit qu’une relation directe ait été prouvée entre l’accident et l’infirmité pour que l’imputabilité soit reconnue » (C.E., Roque, 10. 094 du 26-12-51).
Il est donc suffisamment établi que M.X présente une maladie mentale chronique contractée à l’occasion du service. La décision lui refusant une pension d’invalidité doit être infirmée.