Question d’actualité au gouvernement n° 0443G de M. Cédric Perrin (Territoire de Belfort – UMP) publiée dans le JO Sénat du 16/01/2015 – page 156
M. Cédric Perrin. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur.
Monsieur le ministre, les destinées d’hommes et de femmes épris de liberté ont été précipitées vers l’abîme par la folie d’autres hommes, par une idéologie barbare fondée sur la terreur. L’émotion a saisi la France, l’émotion a saisi le monde. Un peuple tout entier s’est levé pour dire son attachement à la démocratie, à la liberté, à la République et à ses valeurs.
Osons désormais l’examen de conscience. Les Français attendent des actes, des actes forts. La démocratie se défend distraitement, monsieur le ministre. Il ne doit plus, aujourd’hui, y avoir d’angélisme, de naïveté, de bien-pensance face au terrorisme qui sème la mort partout où il se développe. Nous devons notamment nous interroger sur la surveillance assurée par les services de renseignement et comprendre ce qui n’a pas fonctionné.
En effet, fichés et archi-connus pour de multiples faits ayant un rapport direct avec des personnes peu recommandables et très directement liés à la mouvance terroriste, les auteurs de ces crimes barbares n’étaient plus surveillés depuisprès de six mois.
Ainsi, de nombreuses questions se posent tout naturellement.
Monsieur le ministre de l’intérieur, comment comptez-vous remédier à la « faille » béante évoquée par le Premier ministre lui-même ?
Comment des individus connus aux États-Unis comme des terroristes potentiels et interdits d’entrée sur le territoire américain, ayant notamment séjourné au Yémen et fréquenté Djamel Beghal, peuvent-ils se promener en France librement, sans aucune surveillance ?
Partis pour le djihad pour apprendre à assassiner et à combattre la démocratie, de tels apprentis terroristes n’ont plus aucune place sur le territoire national. Que comptez-vous faire pour les empêcher de revenir ? Allez-vous enfin déchoir de leur nationalité française les djihadistes binationaux ? Quelles mesures comptez-vous prendre pour garantir une bonne coopération avec les pays par lesquels transitent ces apprentis djihadistes ?
Allez-vous enfin réussir à convaincre vos amis politiques de voter la création d’une base de données communautaire rassemblant des informations personnelles sur les passagers des compagnies aériennes, dite PNR, que l’UMP appelle de ses vœux depuis des mois ?
Quel rôle ont joué la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité et le cabinet du Premier ministre dans l’interruption des écoutes d’un des frères Kouachi ? Confirmez-vous les informations selon lesquelles ils ont refusé d’étendre les écoutes à l’entourage de celui-ci, mettant ainsi fin à toute surveillance ?
Pour conclure, monsieur le ministre, le Gouvernement donnera-t-il enfin des moyens suffisants à nos services pour leur permettre de faire face à la menace qui pèse sur notre pays ? (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Réponse du Ministère de l’intérieur publiée dans le JO Sénat du 16/01/2015 – page 156
M. Bernard Cazeneuve,ministre de l’intérieur.Monsieur le sénateur, je vous remercie de cette question, qui appelle une réponse extrêmement précise.
Tout d’abord, pour ce qui concerne les moyens des services de renseignement, qui sont généralement la condition de leur efficacité, vous êtes trop bien informé, comme en témoigne votre question, pour ne pas savoir qu’ils ont été fortement« rabotés » il n’y a pas si longtemps… Je vous rappellerai des chiffres tout à fait précis : alors que des besoins technologiques très importants avaient été identifiés à l’occasion de l’élaboration du Livre blanc de 2008, les crédits n’ont pas été abondés et les effectifs des services ont été réduits de près de 130 unités, dans un contexte où tout le monde avait conscience que la plus grande vigilance était nécessaire.
C’est la raison pour laquelle, lorsqu’il était ministre de l’intérieur, le Premier ministre avait décidé d’augmenter de 432 unités les effectifs de la Direction générale de la sécurité intérieure, la DGSI, alors que, à la suite d’un rapport élaboré par MM. Verchère et Urvoas, une réforme des services de renseignement était engagée en vue de transformer la Direction centrale du renseignement intérieur en Direction générale de la sécurité intérieure et que, par ailleurs, étaient augmentés de 12 millions d’euros par an – soit 32 millions d’euros dans le cadre du triennal – les crédits alloués aux moyens technologiques.
Nous irons encore au-delà, car les Français ont besoin de savoir que leurs services de renseignement sont en mesure d’intervenir de façon efficace, en étant dotés de moyens adéquats.
Il existe trois domaines dans lesquels nous avons besoin de conforter ces moyens. Le premier d’entre eux est celui des compétences linguistiques : nous avons besoin de traducteurs pour traduire des interceptions de sécurité en langues complexes. C’est la raison pour laquelle j’avais demandé, dans le cadre de l’élaboration de la loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, que soit portée de dix à trente jours la durée d’analyse des interceptions de sécurité. Cela avait suscité des interrogations sur de nombreuses travées : je le comprends, car maintenir l’équilibre entre sécurité et liberté doit être une préoccupation constante.
En ce qui concerne la question de la surveillance des frères Kouachi et de Coulibaly, la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité a fait son travail. Nous ne sommes pas là pour procéder à des mises en cause et lancer des accusations : il s’agit de tirer les conclusions et les enseignements de ce qui s’est passé. Cette commission a fait son travail conformément à la loi, comme il convient dans un État de droit. Les frères Kouachi ont été interceptés à plusieurs reprises entre 2011 et 2014. Dans le cadre de ces interceptions, aucun élément témoignant de leur volonté de s’engager dans des opérations à caractère terroriste n’a été décelé. Comme vous le savez, dans un État de droit, les interceptions ne peuvent pas durer indéfiniment.
M. le président. Il faudrait conclure, monsieur le ministre.
M. Bernard Cazeneuve,ministre.C’est la raison pour laquelle, dans le cadre des propositions que nous allons adresser au Premier ministre et qui déboucheront très rapidement sur des dispositions nouvelles, nous introduirons les moyens juridiques permettant d’aller au-delà de ce qui est possible aujourd’hui, afin que les difficultés se voient contrebalancées par des solutions concrètes.(Applaudissementssur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du groupe écologiste, du RDSE et de l’UDI-UC.)
Source: JO Sénat du 16/01/2015 – page 156