Le projet d’association professionnelle GEND XXI, un rêve de consensualisme au pays des Bisounours ? (Par Frédy LUCAS, Lieutenant colonel (e.r), Saint Cyr 1982-85.Membre du conseil d’administration et délégué régional Guyane-Antilles de l’ADEFDROMIL)

L’année 2014 marque un tournant pour les militaires français. Le 4 août, le harcèlement moral et sexuel est enfin interdit par le Code de la défense. Le 2 octobre, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) conclut, par les arrêts « ADEFDROMIL c. France n°32191/09 » et « Matelly c. France n° 10609/10 », que l’interdiction absolue des syndicats au sein de l’armée française est contraire à l’article 11 (( La liberté de réunion et d’association)) de la Convention.

La CEDH précise que la liberté d’association professionnelle pour les militaires peut faire l’objet de restrictions légitimes. Mais celles-ci ne doivent pas priver pour autant les militaires du droit général d’association pour la défense de leurs intérêts professionnels et moraux. Elles peuvent toucher aux modes d’action et d’expression d’une association professionnelle mais pas à l’essence du droit lui même, lequel comprend le droit de former et d’adhérer à une telle association. L’interdiction des droits de grève et de retrait est une restriction légitime. D’ailleurs elle s’applique déjà à certains corps de fonctionnaires disposant de syndicats.

Nous sommes aujourd’hui dans l’attente de la réponse du législateur à la décision de la CEDH ouvrant cette nouvelle liberté pour les militaires.

Un projet de statuts accompagné d‘une charte éthique, concernant une future association professionnelle au profit des gendarmes, nommée GEND XXI (( GEND XXI, l’association professionnelle des gendarmes du 21ème siècle )) est d’ores et déjà publié sur les réseaux d’information. Ce projet serait le fruit du travail d’un groupe, formé autour du lieutenant colonel Jean Hugues Matelly, dont certains membres appartiendraient aux instances de concertation existantes.

Si la France renonçait à se pourvoir contre les arrêts de la CEDH devant la Grande Chambre, l’association GEND XXI naîtrait en janvier 2015.

Ce projet est tout à fait louable, mais la lecture de ses statuts et de sa charte éthique nous laisse perplexe!

Pourquoi une telle précipitation, pourquoi ne pas attendre la décision du législateur, notamment sur les restrictions dites légitimes?

Hormis l’interdiction des droits de grève et de retrait incompatibles avec l’état de militaire, il est surprenant de découvrir que dans sa charte éthique GEND XXI s’impose de nombreuses restrictions supplémentaires.

N’y a t-il pas là une certaine volonté de ne pas trop froisser la hiérarchie, de faire allégeance?

Dès lors, GEND XXI se met déjà en position de faiblesse dans le cadre de futures négociations. Avec des restrictions « auto imposées », GEND XXI ne devrait pas avoir plus de pouvoir que celui des instances de concertation actuelles.

L’actualité montre pourtant que toutes les négociations sont l’objet d’un rapport de force  notamment sous les contraintes budgétaires d’aujourd’hui. La concertation avec l’État n’est pas un long fleuve tranquille. Tous les coups ou presque y sont permis.

Une association professionnelle, sans aucuns moyens de pressions et surtout sans possibilité d’attirer l’attention des médias, est vouée à l’échec.

GEND XXI ne se menotterait-elle pas d’emblée avec une telle charte éthique ?

Ce projet GEND XXI semble également vouloir ménager les différentes associations existantes en souhaitant s’insérer dans l’espace associatif  sans créer de remous.

On notera que dans la charte, l’ADEFDROMIL est cantonnée dans un rôle un peu restrictif. L’action de cette dernière ne se résume pas, fort heureusement, aux procédures juridiques et contentieuses. Bien au contraire de nombreuses avancées collectives et individuelles, dont l’ADEFDROMIL est à l’origine, ont été obtenues en attirant l’attention du commandement, du ministre sur le problème ou en orientant les intéressés vers les procédures les plus efficientes, qui privilégient d’ailleurs bien souvent une solution à l’amiable.

Le caractère potentiellement temporaire (( Article 1-1 du projet des statuts )) de GEND XXI, déjà inscrit dans ses statuts, nous interpelle.

Pourquoi ne pas attendre quelques mois la réponse du législateur suite à la décision de la CEDH ?

La crainte du commandement de voir éventuellement les gendarmes se tourner vers des structures existantes ((  Syndicats de Police, associations existantes…)) dès janvier 2015, ne serait elle pas une des raisons de créer si rapidement une telle association professionnelle ?

Pourquoi envisager dès à présent que le cadre de la loi 1901 pourrait ne pas être celui retenu dans la réponse du législateur ? Les auteurs du projet GEND XXI auraient ils déjà connaissance des solutions qui seront envisagées dans l’étude confiée à M. Bernard Pêcheur par le Président de la République?

En réalité, il ne paraît pas opportun de déroger à la loi 1901 pour les futures associations professionnelles des militaires.

La non prise en compte des intérêts spécifiques des retraités de l’arme (( Article 5-1 du projet des statuts )) nous interpelle. GEND XXI ne s’occuperait plus de ses futurs adhérents dès leur mise à la retraite. Pourtant  tous les actifs sont des potentiels retraités.

S’agit-il là d’une volonté de ne pas empiéter sur le périmètre des associations de retraités existantes ?

Le vote à main levée en assemblée générale (( Article 15-1 du projet des statuts )) inscrit dans les statuts nous interpelle.

Ce procédé relève des vieilles habitudes syndicales caricaturales. Et surtout il ne permet pas une libre et véritable expression des adhérents.

L’interdiction de vote en assemblée générale (( Article 15 du projet des statuts )) inscrite dans les statuts, pour les adhérents à jour de cotisation mais ayant moins de trois mois d’adhésion, nous interpelle.

Pourquoi imposer une telle restriction?

Doit-on conclure que l’adhésion pleine et entière à GEND XXI est soumise à une période probatoire? On est enclin à penser qu’un délai minimum, pour être défendu par GEND XXI , est nécessaire !

L’organisation de GEND XXI, se veut calquée sur le découpage institutionnel ((  Article 13 du projet des statuts )) de la gendarmerie.

Il faut espérer que cette adaptation compréhensible aux différents échelons de gestion de la gendarmerie ne constituera pas un frein à la remontée d’un problème au plus haut niveau. L’intérêt d’une association professionnelle est d’avoir la possibilité de faire connaître rapidement les difficultés  sans filtre réducteur.

Une des forces des syndicats de fonctionnaires est justement leur capacité d’intervention directement auprès de la haute hiérarchie voire du ministre. Ce point n’est d’ailleurs pas toujours apprécié par la hiérarchie intermédiaire!

En bref, beaucoup de détails sur le fonctionnement de l’association, mais peu de contenu sur ses objectifs.

Il semblerait donc que ce projet GEND XXI soit articulé autour de deux idées maîtresses:

– la première est d’être en mesure de contrer une éventuelle ruée, fantasmée  par la hiérarchie, des gendarmes vers les syndicats de Police dès janvier 2015 d’où la nécessité de créer très rapidement une association professionnelle;

– la deuxième est de rester en harmonie avec les desiderata de la hiérarchie notamment en matière de restriction de ce nouveau droit et de s’insérer sans heurts dans le milieu associatif existant.

Une telle association professionnelle, semblant chercher le consensus et une apparente allégeance à la hiérarchie, répondra t elle aux attentes créées par ce nouveau droit ?

 

L’avenir le dira et les gendarmes en jugeront…

 

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