II / La faiblesse des mandats onusiens
Comme nous venons de le voir, la France se trouve face un choix : le respect stricto sensu de son droit passant par l’article 35 ou jouer le jeu diplomatique mondial post-1945 et post-guerre froide.
Dans le premier cas, notre pays, et nous l’avons vu, n’a que deux solutions, adopter ou pas, la déclaration de guerre. Dans l’affirmative, les conséquences politiques sont énormes, notamment lorsque l’on a compris que l’acte tel quel, n’est plus d’actualité.
Le second choix possible est d’éviter d’entraîner notre Nation dans une guerre tout en conciliant notre rang militaro-diplomatique sur la scène internationale. Il est en effet inconcevable pour la France, et même pour le monde, que la cinquième puissance mondiale ne puisse plus projeter de troupes en dehors de tout conflit conventionnel juridiquement encadré par une série de textes nationaux.
À l’instar du Roi Salomon, la France va trancher au milieu. Notre pays va tenter de concilier tradition et modernité, en conciliant le respect d’un droit « supérieur » et encadrant, tout en évitant de tomber dans « l’excès » juridique et politique ((Mais aussi diplomatique : une déclaration de guerre est un message fort envoyé aux autres nations)) d’une déclaration de guerre aux termes de l’article 35 ((Notons à titre d’exemple, qu’une telle déclaration permettrait la remise en place de tribunaux militaires, ou encore la possibilité pour la CEDH, du rétablissement temporaire et sous condition, de la peine de mort))
La parade va se situer dans les différents mandats onusiens. Ces textes sont « issus des décisions des organes délibérants (et) sont l’expression de la volonté des États Membres et définissent les pouvoirs et responsabilités que ceux-ci confèrent au Secrétaire général pour lui permettre de répondre à leurs attentes. (…) le terme « mandat » désigne toute demande ou directive adressée par l’Assemblée générale ou un autre organe au Secrétariat de l’ONU ou un autre organe exécutif du système des Nations Unies.» ((« Définition et exécution des mandats : analyse et recommandations aux fins de l’examen des mandats ». Rapport du Secrétaire général, A/60/733)) Concernant l’engagement des forces armées sous l’égide de l’ONU, la procédure est légèrement différente. En l’occurrence, l’ONU peut prendre un certain nombre de « résolutions », dont les différents titres induisent le type de mission des forces armées qui seront engagées ((Exemple récent avec la résolution 1973 et « la protection d’un peuple » concernant l’intervention franco-britannique en Lybie)) Ces résolutions seront ensuite complétées et précisées par ce mandat qui permettra aux Etats « belligérants » en l’espèce, d’agir au nom de l’ONU ou au nom de la communauté internationale. Ces mandats ne sont donc pas une déclaration de guerre à proprement parler, puisqu’au contraire, ils existent pour l’éviter ou la réprimer. L’intervention militaire devient alors légitime puisque justifiée en droit « onusien ».
En prenant le problème sous un autre angle, la finalité sera unique. Même légitime, il s’agira bien d’une action armée basée sur la violence et potentiellement mortelle. Seul le droit applicable né du mandat qui définit la mission confiée aux forces armées sera différent. Ainsi, les militaires onusiens, ces fameux casques bleus, à l’exclusion de leurs régimes juridiques nationaux, n’auront ni les mêmes droits, ni les mêmes devoirs, ni les mêmes pouvoirs selon qu’ils aient pour mission le « maintien de la paix », « l’interposition », ou encore « la protection d’un peuple» ((Notons à titre d’exemple la polémique suite aux accusations des autorités rwandaises dans l’attitude des casque bleus , notamment français et belges, lors du génocide de 1994))
La France, comme l’ONU, ne fait plus la « guerre », elle va faire « respecter la paix » en faisant « respecter le droit » ((Voir la déclaration du Premier ministre devant le parlement réuni en session extraordinaire le 19 mars 1991 saluant « la victoire du droit, la résolution du Président de la République (… ) et la responsabilité des dirigeants politiques qui, majorité et opposition confondues, ont su mettre entre parenthèses les querelles intérieures pour n’avoir en tête que l’intérêt du droit et celui de la France. (…) la défense du droit a fait se lever un esprit, celui peut-être de l’aube d’une ère nouvelle dans l’Histoire de l’Humanité, celui d’un monde vraiment régi par le droit…»)) en l’occurrence celui de l’ONU qui n’est au final, qu’une partie du droit international, et a fortiori, du Droit lui-même. Néanmoins, ces mandats permettent à notre pays de fonder, tant en droit qu’en légitimité, toute action militaire envers un autre pays ((Guerre du golfe de 1991 par exemple)) mais aussi, envers une autre « entité » n’entrant pas stricto sensu dans la définition d’un Etat.
Le droit de l’ONU tel qu’il nait en 1946 exclu l’idée même de la guerre. Celle-ci n’est plus concevable, même dans un but louable, puisqu’elle se définirait pour ce droit comme une agression envers un autre Etat souverain. D’où un lexique juridique adapté ayant ses conséquences à différents niveaux, en particulier sur le terrain lorsque le militaire est amené à appuyer sur la détente. Ainsi, le droit de l’ONU parle-t-il « d’opérations de maintien de la paix », ou encore d’« action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression» ((Chapitre 7 de la Charte de l’ONU))
Une solution de remplacement paraissant simple et efficace mais qui laisse plusieurs questions pendantes. La première d’entre elles est celle d’un transfert indirect de souveraineté vers une instance internationale. L’article 35 de notre constitution est le fruit d’une tradition parlementaire née avec la Révolution française et qui s’est exportée avec vigueur au delà de nos frontières ((Toutes les démocraties parlementaires européennes respectent cette compétence « de principe » du parlement. Même les Etats-Unis, caractérisé par un régime présidentiel, fondent en partie leur politique extérieure sur ce principe de souveraineté du pouvoir législatif en cas d’engagement armé, comme leur de l’invasion de l’Irak pendant la seconde guerre du golfe où les Etats-Unis commencèrent les opérations militaires sans l’aval de l’ONU, se fondant sur l’accord donné par le Congrès, et malgré l’opposition du secrétaire général de l’époque, Kofi ANNAN et malgré le veto des membres du conseil de sécurité)) Il est de tradition qu’engager une Nation démocratique dans une guerre passe par une décision commune des représentants de celle-ci. Pourtant, le basculement juridique matérialisé par l’article 35 semble être devenu inutile car inadéquat et inadapté au monde actuel. Voilà pourquoi la France est allée puiser un instrument dans une réserve juridique à sa portée.
Une autre question réside dans l’obsolescence de notre droit national en l’occurrence. Certes nous pensons avoir pallié ce problème en nous basant sur ces mandats onusiens définis plus haut. Or, force est de constater qu’il existe ici plusieurs problèmes sous-jacents. Nous le verrons, la solution présentée avec ces mandats ne représente qu’une partie de l’action militaire française, qui peut intervenir dans une multitude de cas. ((OTAN, libération d’otages, lutte contre la piraterie etc …)) Partant, le régime juridique au sens large de chaque intervention variera en fonction du type de mission dévolues, tout en perdant cette « légitimité » donnée aux interventions basées sur le mandat onusien. En France, le problème est tellement simple qu’il en devient cynique : nous faisons la guerre, mais pas pour notre droit.
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De l’inexistence de la guerre pour le droit français (Par Florent TIZOT) (1ère partie)