Une large cicatrice sur le cou, une autre sur la nuque, des mâchoires comme ankylosées et les mots qui sortent difficilement… François, alias Michel, 40 ans, n’est pas une gueule cassée, mais c’est tout comme…. Dans le salon de sa mère qui le soutient dans son quotidien, des photos en uniforme évoquent un passé déjà lointain : celui de légionnaire affecté au 2e régiment étranger de parachutistes (REP), le fleuron de la Légion. Michel y était tireur d’élite. 65 kilos pour un mètre quatre-vingt. Un corps sec, habitué au combat et aguerri par une soixantaine de sauts en parachute.
Aujourd’hui, l’ancien légionnaire a toujours le cheveux ras, mais il pèse largement dix kilos de plus, se déplace avec une béquille et sa poignée de main est beaucoup moins ferme. Un terrible accident de saut en parachute est passé par là, faisant de Michel un véritable miraculé, mais aussi un grand blessé. Un handicapé à vie qui attend que la justice lui rende sa dignité d’homme et son honneur de militaire, que l’armée lui a volés. En février et mars dernier, trois légionnaires ont été mis en examen par un juge d’instruction corse pour « blessures involontaires ». Des actes de procédures ordonnées par la chambre de l’instruction de Bastia douze ans après les faits. Une décision rarissime qui récompense le combat judiciaire d’un homme, d’une mère et même d’une famille. Le père de François était militaire, et son frère, lieutenant-colonel, sert encore sous les drapeaux.
« François n’aurait pas dû survivre »
Retour en arrière. Ce 1er mars 2001, il pleut en Corse. Le sol du Transcall C160 est trempé. Mais les conditions météorologiques n’effraient pas vraiment le 2e régiment étranger de parachutistes, des légionnaires habitués à bourlinguer dans toutes les zones de conflits. Qui plus est, ce n’est qu’un saut d’entraînement. Bref, la routine. Prévu sur Calvi, l’exercice est simplement détourné vers Borgo. Les premiers sauteurs s’élancent en cadence quand François chute sur le sol de la carlingue. Les turbulences, le sol mouillé et un bardas de 45 kilos ont eu raison de l’équilibre du gaillard, qui effectue son soixantième saut. « Traîné » au fond de l’avion par les largueurs, dixit un bidasse, François se retrouve le dernier à sauter. Est-il trop tard ? La lumière est-elle passée au rouge dans l’avion, signe d’un temps de saut échu ? Une chose est sûre, le légionnaire atterrira hors de la zone de portée du saut. Mal positionnée, la sangle d’ouverture automatique du parachute de François s’est enroulée autour de son cou dès la sortie de l’avion.
La suite est décrite dans les comptes rendus médicaux : « fracture disjointe de l’axis occiput avec arrachement veineux traumatique ». En clair, une pendaison, que les Anglais surnomment même « décapitation interne ». Pour sauver le soldat, le chirurgien corse doit l’opérer, assis sur une chaise, pendant sept heures. « François n’aurait pas dû survivre », s’étonnent par écrit certains médecins qui ont ausculté le légionnaire. « L’armée aussi a pensé qu’il allait mourir, cela explique son comportement », observe Missy, furibonde, la mère de la victime. Cette mère courage toute en rondeur et au tutoiement facile s’insurge contre l’absence de compassion de la hiérarchie, l’abandon de son fils par ses « frères légionnaires ». « Ils rasaient les murs, nous ont avoué les infirmières, ils venaient en cachette, et expliquaient à notre fils qu’il avait commis une erreur. »
La thèse officielle de l’armée. Le parachutiste pourtant expérimenté aurait sauté la tête en avant pour rejoindre ses camarades. Sous l’effet du vent, son corps se serait retourné à la sortie de l’avion, et la sangle aurait entouré son cou, blessant gravement le légionnaire. Une mauvaise chute qui aurait défié les lois de la physique… Lors de l’enquête de la gendarmerie, la Grande Muette n’a pas dérogé à sa réputation. « Des auditions, il ressort un grand mutisme, observe le maréchal des logis dans son procès verbal de synthèse du 26 octobre 2005 que Le Point a pu consulter. Les militaires s’en tiennent au rapport d’enquête fait par les services du ministère de la Défense et auquel ils ont participé. Manifestement les militaires auditionnés ont reçu des consignes. » Et le chef d’enquête de s’étonner de l’absence de témoins à interroger. « Il ressort que certains sont en opération extérieure pour plusieurs mois, d’autres sont en stage, d’autres encore ont changé d’affectation depuis la date des faits, certains ont quitté l’armée, certains sont déserteurs et certains sont toujours en résidence au 2e REP à Calvi ». Autre bizarrerie : le casque et la fameuse sangle, fatale au légionnaire, ont disparu. Détail d’importance, le gendarme relève dans son rapport que, ce jour-là, les largueurs avaient « un intérêt professionnel » à ce que le saut se déroule. L’exercice devait en effet valider leur formation de chef largueur…
« Je veux qu’on me rende ma dignité d’homme et mon honneur de militaire »
Peu importe, après deux enquêtes militaires, une autre de la gendarmerie, puis une information judiciaire…, un non-lieu est prononcé par le juge d’instruction le 9 janvier 2008, sept ans après le drame. Le magistrat évoque la « responsabilité de la victime » et « des parties civiles qui stigmatisent l’attitude de l’armée ». Une blessure morale qui, cinq ans plus tard, n’est toujours pas cicatrisée. « Je veux qu’on me rende ma dignité d’homme et mon honneur de militaire », répète avec difficulté le grand blessé.
Le 2 juillet 2008, la chambre de l’instruction de Bastia accorde une première victoire à François et aux siens en ordonnant une….
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