Nos militaires travaillent plus mais avec moins d’argent. Ils continuent pourtant à se donner à fond. “Le moral n’est pas au top”, reconnaissent les états-majors.
De quoi parlaient les militaires à la veille de ce défilé du 14 Juillet ? Des opérations en Afghanistan – la situation est-elle favorable ou pas au retrait annoncé ? – , en Libye – jusqu’à quand Kadhafi peut-il tenir ? – , de la médiatisation des “journaleux otages” – excessive (lire notre encadré dans « Valeurs actuelles ») – , de l’avenir de notre outil de défense – menacé. Le climat de campagne électorale et l’anémie économique, annonciatrice de nouvelles réductions budgétaires malgré l’intensité du rythme des activités, n’incitaient pas vraiment à la confiance. Ces débats internes ont été relayés récemment par les chefs d’état-major. Ils se déroulent en toute franchise, même si, par devoir de réserve, par passion pour leur métier, au nom d’une solide tradition de rusticité, nos soldats hésitent toujours à dévoiler leurs misères. Tous cependant s’inquiètent de l’état réel de notre armée, gagnée par un feu rampant d’interrogations.
Les autorités politiques en ont pris conscience. Un communiqué de Gérard Longuet, le ministre de la Défense, a cherché à éteindre ce feu après un article alarmiste paru dans le Figaro du 22 juin.
Nicolas Sarkozy est lui aussi monté au front. Recevant Guy Teissier, président de la commission de la défense de l’Assemblée nationale, le chef de l’État a promis que le budget 2012 de la Défense serait “préservé” (34 à 35 milliards d’euros, 1,7 % du PIB), écartant la tentation de faire une nouvelle fois des crédits militaires la variable d’ajustement du budget de l’État.
Auditionné le 29 juin par les députés de la commission de la défense, l’amiral Édouard Guillaud, chef d’état-major des armées, s’est voulu rassurant : « L’armée française peut tenir dans la durée. […] Nous n’avons pas atteint nos limites capacitaires. Nous sommes dans l’épure du livre blanc. » Mais il a lui aussi confirmé la conjoncture difficile, inédite depuis soixante ans :
« Nous sommes confrontés à un triple phénomène : la simultanéité d’un taux d’engagements particulièrement élevé, de contraintes budgétaires importantes et d’une transformation sans précédent. »
Avec près de 12 500 hommes engagés en opérations extérieures, la France marque un effort important sur trois théâtres : l’Afghanistan (4 000 soldats), le Liban (1 300) et, depuis quatre mois, la Libye (4 300), où elle fournit à la coalition alliée un tiers de ses bâtiments (8 navires), 80 % des hélicoptères d’attaque (18 machines), 30 % de l’aviation de combat (40 chasseurs, dont 23 de l’armée de l’air et 17 de l’aéronavale), 20 % des avions de soutien (ravitailleurs, transport, patrouille). « Notre pays ne pourra pas continuer à ce rythme pendant un an et demi », précise l’amiral.
Les députés se sont dits préoccupés. Guillaud leur a répondu en évoquant « un tour de force » des militaires : « Nous remplissons notre contrat. La transformation de nos armées est conduite avec discrétion, dans l’ordre et la discipline, notre marque de fabrique. Mais ce n’est pas parce que cette transformation n’est pas fortement médiatisée qu’elle se fait sans labeur ni douleur. »
Le labeur et la douleur sont évidents. « Les restrictions budgétaires suscitent une angoisse particulière chez les militaires et le moral des troupes est aujourd’hui contrasté, inégal », poursuit l’amiral. Son état-major se veut rassurant. L’état d’esprit des militaires en opérations est jugé « excellent » : ils sont dans leur coeur de métier, prioritaires pour tout (équipements, maintien en condition) et ils touchent des primes (25 % en plus). En garnison, c’est plus mitigé, à cause des restructurations. À l’échelon central, c’est encore plus morose. Les cadres gèrent la complexité de la réforme et les contraintes budgétaires. « Le moral n’est pas au top… »
Les armées avaient misé sur la promesse de voir leur effort de rationalisation dégager une belle marge de manoeuvre financière (2,7 milliards d’euros) destinée à être réinvestie dans les équipements. C’était une promesse des politiques. Mais la crise est passée par là. La Défense a été sévèrement “taxée” de 3,7 milliards d’euros, 1milliard de plus que les économies escomptées.
Les hypothèses budgétaires et les ressources exceptionnelles attendues ne se sont pas réa- lisées. Trois ans plus tard, le compte n’y est plus. La programmation s’est « rigidifiée », selon le mot de l’état-major. Bien que prévue par le livre blanc, la hausse de 1 % des budgets d’équipement pour 2012 est sacrifiée : « À ambitions constantes, nos marges de manoeuvre sont nulles », souligne Guillaud. Il a annoncé son combat prioritaire : le budget.
“La défense doit être un sujet de débat, pas un enjeu”
La “transformation” secoue fortement les armées, la seule institution française à mener un tel aggiornamento – 54 000 postes supprimés en cinq ans. D’ici à 2015, il en reste encore 20 000 à supprimer. 2011 sera marquée par 122 transferts d’unité, le retrait du service d’un escadron de chasse et de trois bâtiments de guerre, la dissolution de cinq régiments, de cinq états-majors, de trois bases. Plus de 50 000 personnes vont connaître “une mobilité géographique et fonctionnelle”. « Autant de facteurs supplémentaires de déséquilibre et de fragilité, notamment pour le moral des armées », dit l’amiral Guillaud.
L’impact des réductions et du rythme intense des opérations pénalise le fonctionnement courant, le renouvellement des équipements, la “régénération” indispensable après une opération. « L’année 2012 est à la croisée des chemins de la programmation militaire, confirme Guillaud. Elle combine des échéances électorales majeures, l’actualisation du livre blanc, et la révision de la programmation militaire sur 2013-2018. »
Tous les militaires connaissent la gravité de la situation. Aucun ne veut “baisser la garde”. Beaucoup doutent de la même volonté chez les politiques. Les plus optimistes estiment nécessaire d’inscrire les sujets de défense dans les débats électoraux à venir. Ce 7 juillet, devant l’Association des journalistes de défense (AJD), Guillaud partageait ce point de vue : « J’espère que les gens vont réfléchir sur la nécessité d’un effort de défense pour leur pays. »
D’autres sont plus prudents et même méfiants à l’égard du monde politique. Ils redoutent un excès de démagogie et devinent que les programmes de frégates, d’avions ravitailleurs, de drones ou de blindés nouveaux pourraient ne pas faire le poids devant la nécessité de construire de nouveaux hôpitaux et des prisons modernes ou de sauver des emplois de prof ou de policier. Guillaud se veut prudent : « La défense doit être un sujet de débat, pas un enjeu. »
Le 10 juin, devant l’AJD, l’amiral Pierre-François Forissier, chef d’état-major de la Marine, rendait hommage à l’allant évident de ses marins engagés en Libye : « Quand l’alarme a sonné, on met tout dessus et on y va. Toutes les missions qu’on nous a ordonnées, on les a exécutées. » Mais lui aussi a tenu à faire part de son souci sur l’état des ressources techniques et humaines de la Marine, à rude épreuve en ce moment.
Pour la Marine comme pour les autres armées, la réalité est que les missions ont augmenté alors que les budgets et les effectifs baissaient. Partout, il faut faire à deux ce qui se faisait à trois.
Avec une cinquantaine de bâtiments et 7 000 hommes et femmes déployés dans le monde, un tiers du personnel engagé en opération permanente de puis quatre mois, les marins battent des records d’activité. Revenu à Toulon après quatre mois de mission dans l’océan Indien, le Charles-de-Gaulle et son accompagnement n’auront passé que trois semaines à quai avant d’être rappelés en urgence vers la Libye, enchaînant les missions nuit et jour. Comme ses homologues, l’amiral Forissier récuse toute idée de“surchauffe”. « On en a sous le pied », nous dit dans son entretien le général Elrick Irastorza, chef d’état-major de l’armée de terre (lire dans « Valeurs actuelles »). Mais l’amiral ajoute : « Nous consommons de façon intensive un potentiel qui aurait dû être consommé de façon régulière tout au long de l’année. »
Cette guerre qui dure oblige à des prouesses logistiques, confirme le contre-amiral Philippe Coindreau, commandant du groupe aéronaval : « Les bateaux naviguent plus, s’usent plus. Il faut donc plus d’entretien, plus de pièces de rechange. On consomme plus de carburant, plus de munitions, plus de vivres. » La norme annuelle – 100 à 150 jours de mer – a été “explosée” par un BPC (bâtiment de projection et de commandement de type Mistral), avec 200 jours de mer en 2010.
Le Charles-de-Gaulle en est lui aussi à….
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