Professionnalisées depuis quelques années à présent, les armées et la gendarmerie se sont vu attribuées il y a peu de temps un nouveau statut n’étant dans les faits que celui de 1972 joliment dépoussiéré par une pléiade de penseurs, dont quelques-uns avaient été en leurs temps, dispensés du service national : c’est dire la qualité du quorum ayant apporté sa pierre à l’édifice aujourd’hui chancelant, faute de charpente et de fondations solides.
Sans redire ici tout le mal que je pense de cette loi portant statut des militaires (votée de nuit, à mains levées par un poignée de députés etc., j’aimerais aborder aujourd’hui un point sur lequel l’adefdromil avait appelée l’attention des élus « La liberté d’expression » et ce, bien avant que ces mêmes élus n’aient eu à se prononcer.
C’est dire si une information complète leur était parvenue puisqu’ils disposaient à la fois du projet de loi, et d’une critique documentée fort bien étayée.
La descente dans la rue des militaires de la gendarmerie en 2001 – en armes et en véhicules de service – restant dans toutes les mémoires, la récente poussée de fièvre des gendarmes en mars 2007 éclaire l’existence de nombreux problèmes au sein de cette institution dont celui de la liberté d’expression, cheval de bataille de notre association. En effet, comme indiqué dans ses statuts, l’adefdromil entend faire valoir les droits des personnels placés sous statut militaire, notamment leur droit d’association et leur liberté d’expression sur les questions statutaires et de vie courante : concertation, fonctionnement, social.
Le système de concertation actuel n’étant plus adapté à une armée professionnelle, nous sommes dans l’impasse depuis plusieurs années et le malaise s’accroît de mois en mois. C’est un fait avéré que le forum « gendarmes et citoyens » relate avec une certaine justesse, même si beaucoup de ses intervenants n’ont pas une idée précise des règles de droit en la matière et de ce que vers quoi il faudrait tendre : un groupement professionnel des armées autonome, inspiré des textes encadrant en 2007 les droits d’expressions individuels et collectifs. Nos voisins européens font ça très bien d’ailleurs.
Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen
Art. 11. –
La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi.
Préambule de la constitution de 1946 (inclus dans le bloc de constitutionnalité)
Art. 6 –
Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l’action syndicale et adhérer au syndicat de son choix.
Convention Européenne des Droits de l’Homme
Article 10 – Liberté d’expression
1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.
2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire.
Actuellement, le CSFM et les CFM reposent sur le paternalisme qui confie le soin à la hiérarchie d’être à la fois juge et partie. C’est sympathique pour le ministre de la défense mais totalement inefficace pour les Soldats de France. Comment peut on défendre des intérêts individuels lorsqu’on est par ailleurs le responsable de l’intérêt général ? Difficile dilemme dont les militaires sortent individuellement perdants, sur l’autel de l’intérêt collectif…
Le rôle mineur des instances de concertation placées sous l’autorité du ministre lui même, se limite à produire des avis consultatifs in vitam eternam. Il suffit de lire le contenu des rapports de sessions d’une année sur l’autre pour s’en convaincre. Les décisions sont molles. Les choix sont creux. Les avancées lamentables. Les résultats en décalage avec les nécessités et les interlocuteurs désignés toujours au garde à vous face au ministre : c’est statutaire là encore mais l’autosatisfaction règne aux côtés des petits fours.
Conscients de ce marasme ne pouvant conduire qu’à une nouvelle crise plus grave que les précédentes, quelques militaires se sont courageusement levés pour exprimer leur point de vue devant des médias toujours attentifs à la « grande muette » Deux de ces militaires de la gendarmerie ont fait l’objet de sanctions sévères : blâme du ministre pour l’un et 30 jours d’arrêts pour l’autre.
De ce constat attristant mais provisoire car le conseil d’Etat devra se prononcer, me vient deux observations :
Les militaires ne manquent pas de courage : ce sont les politiques et une partie du haut commandement qui n’en ont plus aucun : fraudra que ça change si le Président souhaite garder la confiance des armées. Quelle plus value offre l’acharnement du commandement sur deux militaires qui contestent par la plume et le verbe ce que 30 000 gendarmes en uniformes clamaient dans la rue en 2001, pour en final sabler le champagne à l’école militaire, en compagnie d’un ministre en caleçon ?
Renaud Marie de Brassac