Je pense qu’il se serait bien passé de sa « gloire » posthume ce pauvre général qui, comme nous tous, ne maîtrisait certainement pas l’approvisionnement et, comme nos généraux actuels, devait trouver plus simple de tacher de régler le problème en tapant vers le bas, plutôt que de tirer vers le haut.
Si l’armée à BOURBAKI était mal équipée, cela ne relevait certainement pas d’une volonté délibérée de sa part, mais d’un autre côté, qu’a-t-il fait pour remédier à la chose avant la catastrophe ?
De tout temps, le soldat de base n’avait d’autre échappatoire que de mettre la main à sa poche pour améliorer son ordinaire (et pas que l’ordinaire), bien que les anciens nous disaient : « le soldat fournit sa peau, tout le reste est fourni par l’intendance ». Hélas, pourquoi personne n’en a jamais parlé à « l’intendance » ?
J’ai toujours vu l’infanterie à la traîne côté paquetage et les essais pratiqués dans les corps de troupe ont pratiquement tous débouché sur le choix de l’équipement rejeté à la quasi unanimité. Les troupes alpines avaient un sac adapté à la vie en campagne, pour le reste, un « sac marin à bretelles » faisait l’affaire et ce n’est pas le « monstre » en dotation actuellement qui va nous faciliter la vie. Lorsqu’on compare notre matériel à ce qui se fait dans le civil voire dans d’autres armées (duvet, sac à dos, tente…) il ne faut pas s’étonner que les gens mettent la main à la poche pour s’équiper.
Il en va de même avec les treillis. Le même tissu pour affronter les étés caniculaires et la rigueur des hivers de l’Est et du Nord. Le soldat en short et en chemise GAO n’est élégant qu’en Outre-Mer. En métropole ? Vous n’y pensez pas ! Et pourtant si, nous y pensons souvent, surtout entre juin et septembre. On aurait pu, il y a longtemps, supprimer le ceinturon et porter chemisette ou veste plus amples, afin de laisser circuler l’air, mais un soldat français sans ceinture ou ceinturon, impensable. C’est comme le soldat sans couvre-chef à l’intérieur du quartier et qui plus est salue de la main, combien de générations faudra-t-il encore pour que cela entre dans nos moeurs ? Pourtant ça fait plus de vingt ans que c’est réglementaire !
Nos fameuses rangers, pardon, brodequins à jambière attenante, pour rester réglementaire jusque dans la dénomination, à la vitesse où elles se dégradent (le cuir pèle et se casse avant même que la semelle ne soit usée) et donnent l’impression de chaussures lépreuses, je comprend, même si personnellement je ne le fais pas, qu’on puisse investir dans des rangers qui tiennent la route. Et des exemples comme ceux-là, il en fourmille tant et plus autour de nous. Je me rappelle au KOSOVO, en 1999, les « couches » des soldats étaient tellement disparates que trouver un sommeil réparateur relevait de la gageur pour certains. Le réflexe salutaire était donc de se tourner vers le marché local pour acheter des matelas mousse. L’interdiction ne s’est pas faite attendre, la solution de rechange par contre…
Alors oui, je suis d’accord, la discipline est la force principale des armées et la tenue en fait partie. Mais il est un peu facile de reprocher au soldat de faire ce que d’autres, spécialement là pour traiter la question, font si mal ou pas du tout.
Par ailleurs, j’ai vu au fil de mes lectures sur différents conflits, des photos de combattants (qui n’ont pas démérité et dont la vaillance n’a pas été mise en cause) dans des tenues pas toujours très réglementaires. On peut donc légitimement se poser la question sur ce qui en fin de compte fait vraiment la valeur du combattant. Peut-être faudra-t-il admettre un jour qu’il y a un temps pour se « montrer », c’est important j’en conviens, et un temps pour être à l’aise pour faire ce que l’on a à faire. Les Israéliens que j’ai vu en action au Sud Liban dans les années 80 semblaient l’avoir très bien compris et les Libanais n’ont eu aucun doute quant à l’efficacité de ces combattants en tenues disparates. Nous non plus d’ailleurs.
Les cornes sur le véhicule n’étaient peut-être qu’une manière d’afficher le statut de « cocu » que nous endossons depuis des années. Ce « statut » ne met pas forcément dans les meilleures dispositions pour aller risquer sa peau, surtout si on n’est pas sûr que les hommes politiques qui nous envoient au casse pipe sous d’autres cieux en ce moment, ne sont pas ceux qui nous le reprocheront dans dix ans quand le vent aura (mal) tourné. Souvenons nous de l’Algérie, pour ne citer qu’elle.
Enfin, si les généraux en arrivent à se préoccuper de la tenue de la troupe, c’est qu’ils ne doivent pas avoir de problèmes plus graves à traiter, et ça c’est plutôt une bonne nouvelle, non ?
Pour finir et en restant dans les citations, n’oublions pas non plus, que les plus belles déculottées de l’armée française elle les a toujours prises, alors qu’il ne manquait pas un bouton de guêtres…
Major L. R. ELSAESSER
Point de vue sur la lettre du Général Bonnemaison concernant la tenue
Je me permets de vous écrire à propos de l’article publié sur votre site concernant la lettre sur la tenue du général Bonnemaison.
Je dois vous dire que je ne suis pas pleinement d’accord avec votre analyse.
Comme tout général, celui-ci ne crapahute plus depuis longtemps, à l’exception probablement de la participation symbolique à une épreuve de cohésion brigade une ou deux fois par an. De ce fait, la qualité très médiocre des tenues et équipements de l’homme en dotation dans l’armée de terre française ne l’impactent pas personnellement. En revanche, la troupe et son encadrement doivent subir au quotidien ces équipements de qualité déplorable, ce que je considère comme une marque de mépris de la hiérarchie pour la base. Les généraux n’ont en effet que faire de ces soucis qui pour eux n’en sont pas, et surtout ne vont pas risquer de compromettre une carrière à son apogée en se lançant dans des batailles incertaines avec d’autres collègues commissaires où avec les financiers de Bercy. Il est pourtant bien connu que les tenues et les équipements dont nous sommes dotés sont pour la plupart et depuis longtemps d’une très piètre qualité: ne vous souvenons-nous donc plus de la parka microporeuse des années 90, modèle d’inconfort et d’inefficacité ? Faut-il de même établir la liste des équipements inefficaces et non opérationnels dont nous sommes actuellement dotés, qui correspond à peu de choses près à la liste complète des effets d’habillement, et dont voici un aperçu:
Treillis F2 bariolés dans la continuité des treillis F1, à la coupe inefficace, aux poches mal conçues, de taille et en nombre insuffisants, à la coupe proche du corps inadéquate pour un vêtement de combat, de qualité de coton médiocre, au camouflage inefficace (taches trop grandes et aux couleurs inadaptées, ce qui d’ailleurs est reconnu par le SCERCAT lui-même);
BMJA de 40 ans d’âge (ou bottes d’hiver en ersatz de goretex) qui n’ont pas évolué d’un pouce depuis les années 60 alors que nos soldats sont des professionnels qui ne sont plus des appelés « jetables », idéales pour attraper des tendinites, alors que n’importe quel quidam, marcheur du dimanche, s’équipe de chaussures goretex de qualité sans commune mesure en termes de confort et d’efficacité;
Parka qui « craint le feu » (un comble et une mesure criminelle !), qui laisse passer l’eau, à la doublure polaire inadaptable et à la coupe mal fagotée (pas de poches !);
Gilet de combat tellement bien conçu qu’aucune unité du COS n’en est équipée;
Ceinturon inutile en dehors de faire joli pendant les prises d’armes;
Equipements dont certains datent quasiment du plan Marshall: gourde, quart, duvet TTA…
Gilet pare-éclats façon « homme-sandwich » de conception totalement dépassée;
A coté de cela, les armées étrangères, que toutes les unités de l’armée française côtoient désormais en OPEX, sont équipées sans commune mesure, et curieusement plus les pays sont petits mieux les soldats sont équipés: Danemark, Belgique, Norvège, Suède…
Alors quelle fatalité frappe l’armée française ? Serait-ce l’arme nucléaire, qui en engloutissant 20% du budget des armées, l’empêcherait d’être équipée de manière convenable, au moins au niveau dont se targue notre pays sur la scène internationale ?
Je ne suis pas loin de le penser, puisque que dans ce domaine nous portons un lourd héritage. Pendant 40 ans, l’armée française, en dehors des troupes intervenant en Afrique, n’a été conçue que pour faire la guerre pendant 3 ou 4 jours, le temps que la dissuasion joue, que soient tirés les Pluton puis les missiles balistiques…Effectivement dans ces conditions, des équipements classiques efficaces et faits pour durer représentaient des dépenses inutiles…
Mais aujourd’hui ? L’armée est devenue professionnelle. Elle mérite bien mieux que les équipements et matériels que continue de nous imposer le commissariat et parfois la DGA. Il ne me semble pas financièrement surhumain de nous équiper comme les armées de ces petits pays à côté desquels j’ai parfois honte d’être un militaire français. Le cout d’un Rafale pourrait probablement nous le permettre.
Mais, comme d’habitude, la raison principale et fondamentale mais non avouée qui bloque toute évolution est le mépris dont font preuve les élites militaires françaises pour la base. En méprisant ces « à cotés futiles » que sont les équipements de l’homme et les matériels d’usage courant, nos élites permettent aux armées de s’équiper de quelques produits « high-tech » au fort impact en termes d’image et aux couts pharamineux. Pour tout le reste, il faut gérer la misère et nous équiper comme des clochards. Il n’y a aucune cohérence d’ensemble dans les politiques d’équipements, ou plutôt si, il y en a une: l’image de marque, les apparences, et un grand mépris pour le bien-être et le confort du soldat.
Il est alors trop facile pour un étoilé de mettre tout le monde au garde-à-vous et de jouer les « Père la rigueur » en imposant les effets TTA , et en invoquant l’armée de Bourbaki. Cela lui permet de faire parler de lui sans risques, bien au contraire ! Sa hiérarchie lui est reconnaissante d’abonder dans son sens.
Or l’armée de Bourbaki, c’est précisément l’armée française actuelle dont les équipements la font de plus en plus ressembler à une armée de clochards.
Trouvez-vous normal que nous soyons toujours équipés de P4 d’un autre âge, dangereux à conduire, à la direction plus dure que les antiques half-track qui nous équipaient il y a 20 ans, aux portières et bâche plastique déchirables et rayables à volonté, qui imposent, sous risque de se les faire voler, de se trimbaler les lots de bord sur l’homme à chaque arrêt prolongé hors camp militaire ? N’est ce pas là l’armée de Bourbaki ? Regardons donc de quels véhicules sont équipés les norvégiens, les britanniques, et tant d’autres… Je n’ose imaginer les conséquences, en termes de pertes par IED, qu’aurait eu une intervention française en Irak avec les antiques AMX10P dont nous sommes dotés, à comparer aux Warriors britanniques surblindés pour ne citer qu’eux… Bref les exemples sont innombrables comme vous le savez.
Je remarque par ailleurs que les unités de la BFST et de la 11°BP sont dotées d’équipements non réglementaires (treillis guérilla, bottes Meinl ou Lowa, gilets de combat Arktis, etc) bien plus confortables et performants que ceux en dotation dans le reste des forces, et accessoirement, bien plus « seyants ». Est-ce vraiment un hasard ? Nos étoilés prompts à interdire le moindre accessoire vestimentaire non TTA, acceptent pourtant cette différenciation vestimentaire et d’équipements entre ces unités d’élite et le reste des forces. Ils cautionnent donc une armée à 2 vitesses, celle qui fait vraiment la guerre, et celle des autres, mais refusent à la seconde les équipements de la première… J’ai la désagréable impression de revenir au temps de la FAR, abonnée aux théâtres d’opérations extérieurs, et du corps blinde mécanisé, abonné aux grands camps de Champagne… Puisque depuis la professionnalisation les différenciations s’estompent entre unités, qui toutes tournent en OPEX sans exception, nos étoilés cherchent par quels moyens prolonger cette armée de la guerre froide, afin de leur permettre de différencier les unités d’élite dont ils sont issus.
La tenue fait partie de ces moyens de différenciation. Je suis donc prêt à parier que la tenue Félin, ou au moins le treillis et ses accessoires, ne seront distribués qu’au compte-gouttes, et réservés essentiellement aux unités « d’élite ». Les motifs évoqués pour ne pas la généraliser seront financiers, bien sur…
L’intervention du général Bonnemaison me semble donc particulièrement déplacée, même si, bien évidemment, en tant que chefs nous sommes tous d’accord pour dire qu’une troupe doit être dans la même tenue. Les soldats français, bien loin de vouloir « jouer les Rambo », recherchent d’abord l’efficacité et du confort. Ils préféreraient sans hésiter ne pas avoir à s’acheter avec leurs propres deniers des équipements couteux et non réglementaires, si le commissariat leur offrait les produits que sont en droit d’attendre les soldats d’un pays comme la France.
En outre, ce sont tous des professionnels, et ils ont « les boules » de ressembler de plus en plus à des clochards. C’est donc au contraire un signe encourageant de voir qu’ils cherchent à s’équiper efficacement, parce qu’ils veulent remplir leur mission au mieux, et parce qu’ils sont fiers d’être des soldats français et veulent ressembler à autre chose qu’à ceux de l’armée de Bourbaki.
Cordialement,
Un officier de l’armée de terre
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