Ceux qui ont l’occasion de consulter notre site séditieux connaissent désormais la recommandation 1742 du 11 avril 2006 de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (Cf. Droits de l’homme des membres des forces armées) destinée au comité des ministres qui est seul habilité à adresser aux Etats membres eux-mêmes des recommandations non contraignantes, mais qui ont un poids moral et politique certains.
Un groupe de travail a donc été constitué pour préparer la recommandation du comité des ministres relative aux droits de l’homme dans les forces armées qu’il est prévu de faire approuver en 2008. Trois réunions de travail sont programmées. La première d’entre elles a eu lieu les 14 et 15 juin derniers.
EUROMIL, l’organisation européenne des associations militaires y est invitée en tant qu’observateur sans droit de vote.
La délégation d’Euromil est conduite par le nouveau secrétaire général, Mikko Harjulehto, polyglotte distingué de nationalité finlandaise qui possède une solide expérience des problèmes de défense et du travail dans un cadre international.
La délégation comprend les représentants de deux associations parfaitement intégrées dans le dispositif de concertation militaire. Pour la HKKF (association des sergents et des caporaux des forces armées danoises), il s’agit de Poul Sorensen, le conseil juridique de l’association, dont l’épouse a été parlementaire européenne pendant dix ans et pour la DBwV (association des forces armées d’Allemagne Fédérale), il s’agit de Birte Dolpp, brillante juriste et accessoirement fille d’un général « quatre étoiles » de la Bundeswher qui exerce un commandement de l’OTAN. La délégation compte également parmi ses membres, le lieutenant colonel (en activité) Waldemar Trzeszczkowski, représentant du Conseil des officiers supérieurs polonais, émanation démocratiquement élue des corps de militaires professionnels qui défend les intérêts de tous les militaires de manière unitaire. Enfin, la BAFF (Bristish Armed Forces Federation) et l’ADEFDROMIL, associations tolérées mais non reconnues comme des partenaires par les ministères de la défense de la France et du Royaume Uni, sont représentées par le lieutenant colonel Douglas Young et par l’auteur du présent article.
Il est particulièrement intéressant de tenter de tirer quelques enseignements de cette première séance de travail à laquelle participaient les représentants de 13 pays, dont la France, le Royaume Uni, la Fédération de Russie, le Portugal, mais également la Finlande, l’Autriche, la Belgique, la Pologne, la Slovaquie, la Hongrie et la Lettonie.
Quatre pays étaient représentés par deux personnes : la Fédération de Russie (dont un procureur militaire), la Turquie (dont un juge militaire), le Royaume Uni (dont le directeur du département de droit général), la France par deux juristes, l’une du bureau de droit européen, l’autre du bureau des statuts militaires. Est-ce un hasard si le Royaume Uni et la France où le droit d’association des militaires est dénié ont envoyé une délégation renforcée au même titre que la Russie et la Turquie pays où le sujet des droits de l’homme au sein des forces armées est considéré comme très sensible ?
Tous les pays d’Europe occidentale et du nord, à l’exception du Portugal étaient représentés par des femmes, alors que tous les pays de l’Est étaient représentés par des hommes. Mais nous n’en tirerons aucune conclusion.
Cette première réunion a permis d’établir des objectifs et une méthode de travail sous la présidence avisée d’une juriste du ministère des affaires étrangères de Finlande, Madame Camilla BUSCK NIELSEN.
Des premiers échanges fructueux ont eu lieu également sur le fond. Seuls les pays qui n’ont aucune arrière-pensée ont affiché des positions dépourvues d’ambigüité. Ce sont la Belgique, l’Autriche, la Finlande, le Danemark, pays qui ont intégré le concept du militaire, citoyen en uniforme. En revanche, tous les pays, pour lesquels certaines dispositions de la recommandation peuvent être gênantes adoptent tour à tour des prises de position qui relèvent parfois de l’enfantillage.
Ainsi, le représentant du Portugal, officier supérieur, souhaite strictement limiter le champ d’application de la recommandation « au temps de paix » ou l’exclure « du temps de guerre ». Il est vrai que l’état-major tente depuis plusieurs mois de ne pas appliquer la loi accordant le droit d’association aux militaires portugais. Certains intervenants lui expliquent en vain que ces notions sont désormais très floues dans le monde moderne : la participation à une opération de maintien de la paix signifie t’elle que le pays est en état de guerre ? Qu’en est- il des opérations anti-terroristes qui commencent le plus souvent par un renforcement de la surveillance, etc ?
Le représentant turc, souhaite, quant à lui que les références jurisprudentielles de la Cour des droits de l’homme, condamnant la Turquie, soient retirées purement et simplement du compte-rendu final, pourtant simple document de travail. En guise de réponse, la représentante de l’Autriche remercie vivement le secrétariat du conseil d’avoir cité des décisions de la Cour, même si deux d’entre elles visent l’Autriche..Il est vrai que les Turcs ont été arrêtés devant les remparts de Vienne en 1683. Dommage qu’on ne puisse pas réécrire l’histoire et la jurisprudence !
Morceau de bravoure également lorsque le procureur militaire russe déclare fermement qu’accorder le droit d’association aux militaires est très dangereux, car cela peut conduire à la contestation et à la rébellion. Il semble ignorer qu’il existe en Russie une association militaire dénommée ITUS qui est un embryon de syndicat. Et un représentant d’Euromil se fait un plaisir de lui rappeler que les marins du Potemkine en 1905 et ceux de Kronsdat en 1921 n’étaient pas syndiqués et que cela ne les a pas empêchés de se rebeller contre l’autorité. Bien au contraire, le droit d’association doit permettre de faire remonter les problèmes et d’éviter des explosions sociales. Manifestement, ce rappel historique, qui fait sourire un certain nombre de représentants, indispose le procureur militaire et il lance des regards explicites en direction de l’intervenant. Mais les Russes ne sont pas rancuniers et le lendemain tout le monde se serre la main. La soirée à Strasbourg a dû arranger les choses.
Quant à la France, pays des droits de l’homme (mais pas dans les armées !), elle est globalement favorable à la recommandation mais elle a des points de détails à faire valoir. De fait, nos deux juristes, surprises dans un premier temps par la présence de l’Adefdromil qu’elles connaissent, écoutent ce qui se dit et ne font que quelques interventions à la portée limitée. Elles vont rendre compte.
On sait très bien à l’hôtel de Brienne que les recommandations du Conseil de l’Europe, fussent elles celles du comité des ministres sont d’aimables documents bien rédigés qui servent de base pour des réflexions laissées à des commissions d’étude qui renvoient leur mise en oeuvre aux calendes grecques.Donc pas de panique !
La prochaine réunion de travail aura lieu en décembre 2007 dans les locaux du Conseil de l’Europe à Paris, destination qui a réjoui tous les participants. C’est à ce genre de détails qu’on mesure la place de notre cher pays, première destination touristique au monde. A défaut de droit d’association et de droits de l’homme dans les forces armées, on ne peut que s’en féliciter.