Le Parisien – samedi 26 mai 2001 :
L’« escroc du siècle » miraculeusement libéré
par Stéphane ALBOUY
TOUT S’EST JOUE en vingt-quatre heures. Pour un simple problème de convocation qui n’a pas été adressée dans les délais à son avocat Claude Lipsky a été libéré de la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy vendredi dernier. Cet homme de 69 ans était écroué depuis septembre dernier dans le cadre d’une vaste arnaque qui a coûté leurs économies à près de 500 militaires. Le préjudice global de cette affaire s’élève à environ 175 millions de francs (26,7 millions d’euros).
Pour les centaines de parties civiles de ce dossier qui espèrent toujours remettre la main sur une partie du magot, cette libération est un coup dur. » C’est un vice de procédure malheureusement imparable, commente un magistrat. Le juge des libertés et de la détention devait adresser une nouvelle convocation à l’avocat de M. Lipsky avant une date précise. En raison de problèmes purement matériels, la convocation n’est pas arrivée en temps et en heure, mais le lendemain. » Pour l’anecdote, un fax défectueux serait à l’origine de ce contretemps …
Avant cette escroquerie, Claude Lipsky avait été rendu célèbre dans les années soixante-dix pour l’affaire du patrimoine foncier, une arnaque de 43 millions de francs (6,56 millions d’euros) qui avait coûté leurs économies à plus de 8 000 épargnants. Surnommé » l’escroc du siècle » depuis cette affaire, il avait été condamné à huit ans de prison en 1976. Malgré ce premier coup d’arrêt judiciaire, cet » homme d’affaires » n’a apparemment pas pu résister à ses vieux démons et a repris du service onze ans plus tard.
De faux placements
A partir de 1987, et durant une dizaine d’années, Lipsky a écumé le continent africain où il proposait des placements mirobolants à des militaires français, à la retraite ou encore en service. Officiers ou sous-officiers, ces soldats avaient amassé pour certains de très confortables économies grâce à leurs soldes de militaires en mission à l’étranger. Pour entrer en contact avec ses » clients « , Lipsky bénéficiait de l’appui de deux militaires. Le premier, un ancien lieutenant-colonel, a été écroué en octobre dernier, et le second, un général de l’armée de l’air en retraite, a été mis en examen le mois suivant et placé sous contrôle judiciaire par le juge d’instruction versaillais chargé de ce dossier, Jean-Marie Charpier.
Le trio assurait à ses interlocuteurs que s’ils leur confiaient leur économies, leur investissement pouvait avoir un rendement annuel de plus de 10 %, net d’impôt bien sûr.
Malheureusement pour ces militaires, leur argent s’était volatilisé lorsqu’ils ont tenté de récupérer leur placement Les dizaines de millions de francs enjeux ont transité par des sociétés installées à Genève, Monaco ou Chypre avant de s’évaporer. Lors de son interpellation, Lipsky avait assuré aux enquêteurs qu’il n’avait jamais eu l’intention d’arnaquer ses clients, mais qu’il avait simplement été victime de la conjoncture et de mauvais placements. Malgré ces premières explications, les militaires floués avaient repris espoir en voyant ce vieil homme écroué. Mais le vice de procédure qui a valu à l’escroc du siècle de retrouver la liberté, même s’il a été placé sous contrôle judiciaire, a sérieusement entamé le moral des troupes.
Le Canard enchainé :
Une escroquerie » Confidentiel-défense »
par Brigitte ROSSIGNEUX
Un général et un lieutenant-colonel à la retraite collecteurs de fonds dans les casernes …
Le ministère de la Défense déploie une énergie farouche afin que n’éclate pas au grand jour une pittoresque histoire d’escroquerie. Et il n’est pas trop difficile de savoir ce qui contrarie l’état-major des armées. Les filous sont des officiers supérieurs, les pigeons portent aussi l’uniforme, et tous les protagonistes sont des militaires, exception faite du cerveau de l’opération, qui s’est volatilisé avec la caisse.
Les deux démarcheurs qui proposaient des placements à des taux mirobolants sont un général d’aviation et un lieutenant-colonel, tous deux à la retraite. En tant qu’anciens de la » maison « , ils entraient à leur guise dans les casernes. Quant aux pigeons, ils ont tous, un jour ou l’autre, servi dans les garnisons stationnées en Afrique.
Là-bas, c’est l’aubaine : la solde y fait la culbute. Pour peu qu’il soit père de famille, un sergent gagne 25 000 F, un. colonel 80 000 F. C’est donc le moment ou jamais de se constituer un trésor de guerre pour la retraite à venir : une préoccupation qu’ont su exploiter; dès la fin des années 80, les deux militaires à la retraite.
Ces faux banquiers ne lésinaient pas. Du 20 % d’intérêt avec une mise de départ de 50 000 F. Mais à condition de ne pas retirer l’argent tout de suite. Les gogos, au nombre de 200, n’y ont vu que du feu. Pensez donc, un. général, ça sait de quoi ça parle. Certains ont quand même fini par demander des comptes, puis voulu récupérer leurs sous. Et ils ont porté plainte. Tout comme la Banque nationale de Djibouti, victime elle aussi de ces » apporteurs d’affaires « .
Fin 1999, faute de coincer l’escroc en chef et seul civil à l’origine de l’opération, la justice djiboutienne a inculpé les deux officiers français démarcheurs. Lesquels, hurlant qu’ils étaient aussi victimes, ont à leur tour déposé plainte pour abus de confiance et escroquerie contre leur ancien » patron « , mais cette fois devant la justice française. Bref, une procédure judiciaire qui promet d’être des plus simples.
Pour éviter que toute cette histoire ne s’ébruite, l’inévitable DPSD (ex-Sécurité militaire) a pris les choses en main.
Lors de l’assemblée générale de l’association de défense créée par les dindons en uniforme, le 11 février, le représentant de la DPSD, solennellement accompagné de celui d’Alain Richard, pas moins, a qualifié l’escroquerie de » confidentiel-défense « .
Silence dans les rangs
En effet, les gogos ont été priés de signer un papier où ils s’engageaient à ne rien divulguer de cette mauvaise farce. Les formulaires d’adhésion à l’association de défense portent d’ailleurs la mention : » Nous vous remercions d’être attentifs à la protection des informations contenues dans cette lettre et dans ses pièces annexes qui sont susceptibles de revêtir un caractère confidentiel. » Ce charabia n’a évidemment aucune valeur juridique, mais la connaissance du droit n’est pas le fort de la Sécurité militaire.
En clair, pour épargner les chefs de corps qui ont fait preuve de complaisance en laissant le loup entrer dans la bergerie au nom de la fraternité des armes, les 200 plumés sont priés de souffrir en silence.
AFP – Agence France Presse – 11 mai 2000 :
DJIBOUTI, 11 mai 2000 (AFP) – Deux officiers en retraite français ont été inculpés en novembre à Djibouti dans le cadre d’une escroquerie portant sur quelque cent millions de francs au détriment de 200 militaires de carrière, retraités de l’armée et civils, ont indiqué mercredi des sources dans les milieux judiciaires djiboutiens.
Les victimes étaient en poste à Djibouti et au Sénégal, ont précisé ces sources.
Les deux officiers en retraite, le général Pierre Haubois et le Colonel Claude Duresco, ont été inculpés et placés sous contrôle judiciaire à la suite d’une plainte déposée contre eux par la Banque Nationale de Djibouti, qui les a accusés « d’activités financières et bancaires illicites portant préjudice à la crédibilité du pays en matière d’investissement », selon ces mêmes sources.
Les passeports des deux anciens officiers, qui étaient entrés à Djibouti avec des « visas de touristes », selon les propos d’un responsable djiboutien qui a requis l’anonymat, ont été confisqués puis leur ont été rendus, « sur intervention des autorités françaises », a-t-il précisé.
L’affaire a été révélée par l’hebdomadaire français « Le Canard enchaîné », qui indique que les deux officiers en retraite ont affirmé être eux aussi des victimes du cerveau de cette escroquerie basée sur un système d’épargne pyramidal, un civil qui n’a pas été arrêté.
Une société écran, « Neiman-Trust », devenue ensuite « Neiman-Corp », servait depuis dix ans à dérober les économies des militaires français en mission à Djibouti et au Sénégal, où se trouvent les deux principales bases de l’armée française en Afrique.
Les deux officiers sillonnaient les casernes pour soustraire les épargnes des militaires, des retraités et des civils tous français en leur proposant des placements juteux avec des taux d’intérêts annuels de 10 %.
Chaque versement était suivi d’un extrait de compte avec valeur liquidatoire remis au déposant par la « Neiman-Corp ». Mais l’argent ne finissait jamais dans les comptes d’une banque ou d’une institution financière.
En outre la « Neiman-Trust » puis la « Neiman-Corp » a du changer à plusieurs reprises ses adresses. Elle avait son siège social tour à tour à Genève, Monaco et Chypre.
I1 fallait toujours aux escrocs de nouvelles personnes à déplumer pour pouvoir restituer le minimum à ceux qui commençaient à avoir des soupçons.
Selon l’un des plaignants qui a remis son dossier à un avocat de Djibouti, le cerveau de l’opération serait un certain Claude Lipsky, déjà impliqué dans les années 60-70 dans le dépouillement de dizaines de milliers d’épargnants spoliés par des fausses promesses d’acquérir des parts de sociétés immobilières (affaire des garanties foncières).
Des centaines de personnes ont été ainsi volées, certaines ont perdu toutes leurs économies et tous devaient attendre des mois avant de réclamer une partie de leurs dus.
La plupart des victimes se sont rassemblées, en France, au sein de l’Association de représentation et de défense des personnes lésées.
Le Figaro – 23/24 septembre 2000
Un escroc met la main sur l’épargne des militaires
par Angélique NEGRONI
Le temps ne ferait-il rien à l’affaire ? Condamné en 1976 à huit ans de prison pour une retentissante escroquerie portant sur 43 MF, Claude Lipsky, 69 ans, aurait-il récidivé ? Arrêté chez lui au Chesnay (Yvelines), il a été écroué, jeudi dernier, sur décision d’un juge d’instruction de Versailles, Jean-Marie Charpier, et mis en examen « pour abus de confiance aggravé et escroquerie ». Son nom circule aujourd’hui dans une affaire qui, à bien des égards, ressemble à celle pour laquelle il avait été jugé. Cette fois, le préjudice, plus lourd, atteint les 150 MF. Et ce sont principalement des militaires qui, par centaines, crient à l’arnaque des faux placements.
La perquisition au domicile pourrait permettre de vite savoir où est passé l’argent
C’est en Afrique, au sein des bases de l’armée française situées à Djibouti, Dakar et Libreville, que Claude Lipsky aurait décidé de traquer ses nouvelles victimes. Dès 1987, il envoie, par stratégie, deux familiers des lieux, un colonel et un général à la retraite, reconvertis, pour son compte, en commerciaux. Leur appartenance à l’armée lève tous les doutes. Et c’est même le tapis rouge qui est déroulé à chacune de leurs visites. Les deux hauts gradés proposent, en effet, des placements alléchants avec des taux d’intérêts de 10 %. Le produit financier tenant toutes ses promesses, les contrats partent comme des petits pains.
Mais, en 1998, tout bascule. Certains ne reçoivent plus les intérêts. D’autres ne peuvent récupérer leur mise de fonds initiale. Pour beaucoup, ce sont des millions qui disparaissent. « Toutes mes économies envolées d’un coup », relate ainsi Thierry Pineau, ancien officier pilote à Dakar.
Dès cette année, les plaintes commencent à tomber et les militaires s’informent. Stupeur : ils découvrent que Claude Lipsky, qui étaient pour eux une honorable signature d’homme d’affaires en bas d’un document, est un ancien escroc. Ils s’aperçoivent aussi que sa société a navigué entre Genève, Monaco, Chypre et les îles Vierges britanniques sous les noms variés de « Neiman Trust », « Neiman corporation » et enfin « Moneywise Investissements limited ».
Pour en savoir plus, certains militaires se rendent à Chypre. « Ce n’était en fait qu’une boîte à lettres avec un seul employé qui n’avait jamais vu Claude Lipsky », raconte l’un d’eux. En mai dernier, la machine judiciaire se met en branle. Les deux officiers démarcheurs sont interpellés à Djibouti, puis relâchés. Ont-ils été abusés par Claude Lipsky, comme ils le prétendent ? « Ils ne pouvaient ignorer ce qui se passait », commente un officier. « Ce dossier, c’est un vrai cas d’école d’escroquerie internationale. Voilà des victimes qui ont voulu faire des placements de bon père de famille et qui sont littéralement plumées », explique Me Pascal Gastineau, l’avocat des militaires, réunis depuis en association, Ardiplent, association des représentations et de défense des intérêts des personnes lésées par Neiman Trust.
En marge de ce volet militaire, d’autres personnes aujourd’hui se disent aussi victimes de Claude Lipsky. Celui-ci a également proposé ses « juteux » placements en métropole à des commerçants et des retraités. Pour ceux-là, la méthode a quelque peu changé. Tout d’abord, c’est un directeur adjoint d’une agence du Crédit agricole qui a joué les intermédiaires. Ensuite, Lipsky s’est personnellement déplacé pour négocier les contrats. « Il nous a été présenté par notre banquier. Du coup, et même si j’ai eu quelque doute, j’ai remis 750 000 F, raconte Suzette restauratrice de 54 ans dans le Loir-et-Cher. Quand j’ai pressenti ensuite que j’avais été bernée, je me suis rendue dans le Var où Lipsky a une somptueuse propriété. L’entretien n’a rien donné et j’ai déposé plainte », poursuit-elle. Pour Pierrette et Louis, 73 et 77 ans, le scénario a été identique. « On a donné 900 000 F, le résultat de la vente de notre commerce de surgelés quand on s’est mis à la retraite. On n’a plus rien », relatent-ils, anéantis.
Dans cette affaire pour laquelle l’enquête a démarré depuis quatre mois, cinq cents victimes ont déjà été dénombrées. Entendu, jeudi dernier, durant plusieurs heures par le juge d’instruction, Claude Lipsky a nié toute forme de malversation. Comme il l’avait déjà déclaré à plusieurs « clients » venus jusqu’à son domicile lui demander des comptes, ses affaires ont, selon lui, périclité dans la tourmente de la crise boursière asiatique. Seulement, en matière d’escroquerie, Claude Lipsky n’a rien d’un débutant. En 1976, il avait été condamné à huit ans de prison dans une affaire retentissante : celle du Patrimoine foncier, ce scandale financier des années soixante-dix où 43 MF, provenant de l’épargne publique, avait été détournés.
Cette gigantesque arnaque avait d’ailleurs eu une suite inattendue. En 1984, Claude Lipsky avait été séquestré contre rançon, par des ravisseurs qui le croyaient encore en possession d’un lourd magot. Du coup, en 1991, devant les assises des Yvelines, où ses ravisseurs avaient été jugés, il avait occupé le banc des parties civiles. Dans le camp des victimes pendant un temps, aurait-il depuis préféré passer de l’autre côté de la barrière ? Selon un proche de l’enquête, la perquisition, menée à son domicile, aurait « été fort fructueuse » et pourrait permettre de savoir rapidement où est passé l’argent.
Le Figaro – PARIS ET ILE-DE-FRANCE 31 octobre 2000
JUSTICE Avec l’aide d’anciens militaires, l’escroc a fait des centaines de victimes dans les rangs de l’armée
Un ancien haut gradé écroué dans l’affaire Lipsky
par Angélique NEGRONI
Un ancien haut gradé de l’armée en prison : tel est la suite de l’affaire dans laquelle plus de trois cents militaires ont été recensés comme victimes d’une vaste escroquerie présumée en Afrique. Après avoir placé sous les verrous, en septembre dernier, Claude Lipsky, présenté comme le cerveau de cette arnaque aux placements portant sur 150 MF, le juge d’instruction versaillais Jean-Marie Charpier a décidé d’écrouer Claude Derusco.
Cet ancien pilote de 61 ans, qui avait fini sa carrière en tant que lieutenant-colonel, est soupçonné d’avoir été un complice actif de Claude Lipsky. De 1987 jusqu’en 1998, il aurait accepté pour ce dernier de démarcher officiers et sous-officiers installés sur les bases militaires de Djibouti, Dakar et Libreville. Figure bien connue de ces milieux, ce militaire à la retraite avait été accueilli les bras ouverts. D’autant qu’il se présentait au bras d’un associé de marque, reconverti comme lui en commercial : un ancien général, qui avait de surcroît commandé la base de Djibouti.
Les placements juteux avec des taux d’intérêt à 10 %, nets d’impôt, que les deux hommes avaient alors proposés étaient partis comme des petits pains. » Personne ne pouvait douter d’eux. Ils avaient naturellement toute notre confiance « , commente une victime. Mais, en 1998, les militaires avaient déchanté. Au lieu de percevoir leur dû, ils avaient reçu des courriers aux explications brumeuses leur demandant d’être patients. Pressentant l’arnaque, ils avaient déposé plainte et une information judiciaire avait été ouverte pour » abus de confiance aggravé et escroquerie « . En France et par le biais d’autres associés, des commerçants auraient également été floués.
La décision du juge d’instruction est un revers pour Claude Derusco, qui avait choisi le camp des victimes en portant plainte lui aussi. Mais pouvait-il aussi longtemps ignorer le passé de Claude Lipsky, cet ancien escroc impliqué dans les années 70, dans 1e scandale financier du Patrimoine foncier où 43 MF avaient été détournés ? Surtout, l’enquête aurait révélé son rôle particulièrement actif dans la constitution des sociétés de placement. Après la perquisition menée fin de semaine dernière à son domicile dans le Var, il a donc été arrêté.
L’association des victimes : » On nous a pris pour des gogos »
Constitués en association, Ardiplent, les militaires qui s’estiment floués par Claude Lipsky espèrent obtenir toute la lumière sur cette affaire et surtout récupérer leur argent. Son président, Jean-Francis Comet, ancien officier et ex-directeur technique de Djibouti, explique comment ils se sont tous fait piéger.
LE FIGARO. – Comment expliquer que les militaires aient été pris pour cible ?
Jean-Francis COMET. – En compensation des conditions de vie parfois difficiles en Afrique, les militaires disposent de soldes améliorées. Ceux qui nous ont démarchés étaient bien placés pour le savoir puisqu’il s’agit de deux anciens officiers militaires.
ll y a quand même eu beaucoup de victimes avant que le pot aux roses ne soit découvert. L’escroquerie était-elle à ce point bien ficelée ?
Elle était au contraire très simple. Ces deux militaires, que l’on connaissait, avaient toute notre confiance. Ils étaient inséparables, comme Dupont et Dupond. Claude Derusco clamait bien fort le grade de général de son associé. Leur passé forçait le respect. Ils venaient nous rendre visite et nous démarchaient deux fois dans l’année, en octobre et en mars. C’était suffisant. Vous savez, les bases militaires sont comme des petites villes : le bouche à oreille fonctionne très bien. Et on s’est repassé entre nous le bon tuyau de ces placements juteux. Au début, les clients récupéraient leurs avoirs. Tout le monde était satisfait.
Comment sont apparus les premiers soupçons ?
Tout a basculé en 1998, quand certains n’ont pu récupérer leur mise de départ ou leur avoir. Malgré les lettres qui nous étaient adressées, où l’on parlait de mauvaise conjoncture passagère, les soupçons ont grandi. Les courriers comportaient trop de contradictions. C’est alors que les adresses des sociétés – Monaco, Genève, Chypre – nous ont inquiétés. On a compris qu’on avait été pris pour des gogos.
Connaissiez-vous Claude Lipsky ?
Son nom figurait dans le courrier en tant que directeur ou administrateur. Il ne venait pas en Afrique, laissant le soin à ses associés de nous démarcher. Pour tout dire, nous ignorions tout de ses antécédents judiciaires et de cette escroquerie d’envergure pour laquelle il avait été condamné. Mais quand les doutes se sont multipliés, son nom a circulé et les mémoires se sont réveillées. On a su alors que nous étions en face d’un ancien escroc.
Votre association compte combien de victimes ?
Nous sommes 342 réunis en association, mais il y a, à ce jour, près de 500 victimes recensées.
En métropole, des commerçants ont été mis en relation avec Claude Lipsky, par un ancien directeur adjoint d’une agence du Crédit agricole.
Il y a eu vraisemblablement différents réseaux actionnés pour démarcher différentes catégories de la population.
A combien le préjudice global est-il estimé ?
On parle de 150 MF. Des familles avaient fait des placements importants. Elles ont tout perdu. Un officier, par exemple, avait confié l’ensemble de son patrimoine. II est aujourd’hui démuni. Alors qu’il envisageait de prendre sa retraite, il a alors demandé à conserver son poste.
Pour ma part, j’ai perdu 150 000 francs. Pour d’autres, les placements atteignaient plusieurs millions de francs. On se demande où est allé tout cet argent.
En voulez-vous à ces deux anciens gradés ?
Leur responsabilité est importante. Sans leur passé de militaire, ils n’auraient pu aussi facilement nous démarcher, ce que Claude Lipsky avait parfaitement compris.
Mais ont-ils été complices eux-mêmes de ce dernier, comme ils le prétendent ? La justice vient de trancher pour l’un d’eux.
Propos recueillis par A.N.
Association d’Entraide des usagers de l’administration et des services publics et privés
LA NOUVELLE AFFAIRE LIPSKY
par Jean-Claude DELARUE
Les années 70 ont été fertiles en scandales financiers, les plus anciens d’entre nous s’en souviennent. Des dizaines de milliers d’épargnants avaient été dépouillés de leurs économies par des escrocs de haut vol (si l’on ose dire !) dans des affaires comme celles de la Garantie Foncière et du Patrimoine Foncier.
A l’époque, l’ADUA n’existait pas. C’est donc aux côtés de l’ingénieur général des télécommunications Henri Jannès que j’ai participé au combat pour la défense des épargnants victimes de ces voyous de luxe, et aussi du laxisme de l’administration. Je rappelle que, par ailleurs, Henri Jannès dénonçait les prix énormes auxquels les PTT achetaient du matériel téléphonique désuet au géant américain ITT et à ses filiales. » une bêche pour le prix d’un tracteur « , pour H. Jannès.
C’était l’époque où les Français se divisaient en deux catégories. » ceux qui attendent 1e téléphone (un an et demi dans mon cas !) et ceux qui attendent la tonalité » !
L’escroc en chef du scandale du Patrimoine Financier Claude Lipsky, a été condamné en son temps à huit ans de prison.
Aujourd’hui, à 69 ans, il réapparaît dans la rubrique » faits divers « .
L’ADUA a en effet été alertée par un capitaine de nos adhérents de l’escroquerie dont ont été victimes à son profit des centaines de militaires français en poste en Afrique. Ces officiers devaient recevoir entre 10% et 20% d’intérêt par an, net d’impôts. Bien entendu, leur argent a disparu.
Nous suivons l’affaire.