L’idée d’aider les généraux à se reconvertir n’est pas venue toute seule. Elle est le fruit d’une mission « officiers généraux » confiée au conseiller du gouvernement pour la défense : un général remplacé depuis, qui a commis un rapport envoyé à la Ministre le 24 juin dernier. Ce document que l’Adefdromil a pu consulter permet de mieux comprendre où se situent les besoins.
En effet, certains passages laissent pantois, soit par le caractère abscons du raisonnement, soit par la nébulosité du style. Pour aider nos braves généraux à séduire de futurs employeurs, une première mesure consisterait donc à leur donner quelques conseils relatifs à l’expression écrite, car ce qui se conçoit bien, s’énonce clairement..
La bonne raison de l’aide au retour à la vie civile
« Un retour à la vie civile moins difficile et plus flatteur qu’aujourd’hui permettra par les effets d’un cercle vertueux à amorcer, d’améliorer et de valoriser la carrière des officiers généraux en première section. »
Bref, pour améliorer la carrière militaire des généraux en première section, il faudrait les recaser correctement dans le civil, quand ils quittent le service actif ! Et on dira que les généraux manquent de courage ! Car il en faut beaucoup pour soutenir le paradoxe de la valorisation d’une carrière sous l’uniforme en fonction des pantouflages réservés ou facilités dans le civil. Ainsi, l’amélioration de la carrière militaire des généraux serait directement conditionnée par le prestige des postes auxquels ils accèderaient dans le « civil » – notion d’ailleurs différente de celle de secteur privé. Est ce bien sérieux ?
Le style, c’est l’homme
Plus loin, on peut lire : « Il reste que la tâche est rude et vaste. Parce que les officiers généraux ont « disparu » de la classe des dirigeants civils de notre société en particulier mais pas uniquement de celle du monde économique, nul ne pense à faire appel à eux pour occuper un poste qui utiliseraient (sic) leur compétence, hors du cercle rapproché de la défense, quand bien même il n’est pas répondu : « il nous paraît difficile d’étudier des candidatures qui a priori seront éloignées du profil que nous recherchons ».
Une telle phrase qui doit être relue plusieurs fois avant d’être comprise, ne peut que dissuader des employeurs éventuels d’explorer la ressource. On peut craindre que le défaut de maîtrise de la syntaxe ne cache en fait une certaine indigence de la pensée.
C’est pourquoi il nous semble salutaire, pour le bien de la prose d’icelui et d’autres, de livrer les conseils sur le style donnés à un officier rédacteur par un maréchal de France qui n’a jamais eu pourtant la réputation d’être un écrivain. Les propos sont rapportés par Georges Loustaunau Lacau (1) dans Mémoires d’un Français rebelle. La scène se passe dans les années trente, alors qu’il vient d’être affecté à l’état-major du Maréchal… Pétain.
« Il me fait asseoir et sa voix un peu chevrotante qui semble venir du fond des siècles, s’élève lentement :
– Fabry vous a fait une saloperie. Je vous recueille et j’en suis enchanté. J’ai lu quelques unes de vos études, car je lis beaucoup. Mes yeux valent mieux que mes oreilles. Vous pouvez vous rendre très utile ici.
– Croyez, monsieur le maréchal…
– Il y a deux secteurs, le mien et celui de l’état-major…
Il faut être simple et avare, c’est le meilleur moyen. Voici ce que je veux : une idée centrale qui soutient le texte d’un bout à l’autre. Des paragraphes peu nombreux, proportionnés à leur importance. Pour les phrases, le sujet, le verbe, le complément, c’est encore la façon la plus sûre d’exprimer ce que l’on veut dire. Pas d’adjectifs, l’adjectif, c’est ridicule, c’est comme ces ceintures de soie que portent les officiers dans les armées d’opérette. Encore moins de superlatifs. Rarement des adverbes et toujours exacts. Et surtout pas de chevilles au début des phrases. Elles cachent l’indigence de la pensée. Si la pensée est en ordre, les phrases s’emboîtent d’elles-mêmes. Le point-virgule est un bâtard.
– On pourrait se contenter du titre, monsieur le maréchal !
Ca y est, c’est parti. Un coup du Béarn. Je voudrais rattraper ma phrase, mais il l’a bien entendue. Ses yeux clignotent, il me regarde comme on regarde le tapir de l’Amazone au Jardin des Plantes. Franchet d’Esperey m’aurait jeté par la fenêtre. Il avale sa salive et continue. »
Nos modestes conseils – ceux d’une association rebelle – seront-ils suivis d’effets ? On voit mal les états-majors réhabiliter le maréchal, même comme écrivain. Ce serait un comble, lui qui, à défaut d’écrire lui-même, le faisait faire par d’autres. Et puis surtout, ce serait reconnaître une certaine forme d’échec de l’enseignement militaire supérieur. Dommage, car le maréchal est un bel exemple de reconversion réussie, mais qui se termine mal, faute d’avoir su prendre sa retraite à temps. Il est vrai qu’il jouait dans la catégorie au-dessus de celle des officiers généraux. Paix à son âme !
Mais, que de bon sens paysan – de l’Artois, bien sûr – dans cette prescription : LE SUJET, LE VERBE, LE COMPLEMENT ! C’EST ENCORE LA FACON LA PLUS SURE D’EXPRIMER CE QUE L’ON VEUT DIRE. Alors oublions un instant le nom de l’auteur et écrivons More Majorum (2) comme on dit à la Légion, et sans se contenter des titres, évidemment.
(1) Georges Loustaunau Lacau, saint cyrien, héros de la première guerre mondiale, condisciple du général de Gaulle à l’Ecole de Guerre, radié des cadres en raison de son appartenance à La Cagoule, il est rappelé en 1939. Après la défaite, il entre en résistance et fonde le réseau « Alliance » sous le pseudonyme de Navarre. Arrêté, il est déporté à Mauthausen. Témoin de la défense au procès du maréchal Pétain.
(2) More Majorum : devise du 2ème Régiment Etranger de Parachutistes qui peut se traduire par « selon la coutume de nos anciens ».
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