Lettre ouverte à Madame le ministre de la Défense

Les épouses du 43ème BIMa
SP 85106 / C
00855 armées

Port-Bouet le 3 mai 2005

Madame le Ministre

Les épouses du 43ème BIMa adressent cette lettre à la femme que vous représentez au sein de l’Etat et qui sait tout autant que nous l’importance de notre rôle dans une famille. Nous voulons vous faire part de notre inquiétude concernant notre éventuel départ du camp militaire, rumeur qui nous gâche la vie depuis novembre 2004.

Avant de venir ici, nous connaissions la situation instable du pays et nous avions confiance en ceux qui se sont occupés de notre mutation.

Au cours des événements de novembre 2004, nous avons prouvé que nous pouvions faire face à la situation, dans laquelle les français et surtout les militaires étaient directement visés et nous avons largement contribué par notre présence et nos différentes actions au bon déroulement de l’évacuation. Nous pensons avoir réellement aidé le 43ème BIMa puisque tous les militaires étaient occupés dans d’autres missions.
Nous avons hébergé des familles démunies.
Nous les avons soutenues moralement et psychologiquement dès leur arrivée dans le camp.
Nous les avons aidées matériellement.
Nous étions là près de nos époux qui ont été mis à rude épreuve.
Rien ne nous avait été demandé et nous l’avons fait avec plaisir et humanité.
Les familles qui ont voulu partir ont eu la possibilité de le faire à ce moment là. Nous avons décidé de rester ici en famille comme nous étions parties de France et sachant aussi que dans l’enceinte du camp nous étions en sécurité.

Depuis la vie a repris son cours normal et tout a été organisé même pour nos enfants qui suivent une scolarité au CNED avec l’appui d’au moins 5 heures de cours par jour sur place avec des professeurs. Savez vous aussi Madame que des familles ont décidé de rescolariser leurs enfants en ville dès décembre 2004 ?
Vous pouvez noter que ce sont les familles elles-mêmes qui se sont organisées aussi bien pour la réinscription scolaire que pour le transport et que depuis il n’ y a eu aucun problème (ni agression, ni paroles verbales hostiles) bien au contraire.

Par cette présente, nous vous demandons de répondre simplement et en toute franchise aux questions que nous nous posons toutes. Notre inquiétude croit et rester dans l’ignorance nous pèse.
Après avoir été convoquées par le général PONCET et reçu de larges félicitations pour nos actions, nous ne comprenons pas pourquoi notre départ est à l’ordre du jour alors que beaucoup de signes tendent vers l’accalmie en Cote d’ Ivoire.

Nous en sommes arrivées à nous demander au vu des agissements des décideurs qui nous commandent si cette décision ne serait pas en grande partie personnelle plutôt que politique sachant que le général Poncet a toujours été défavorable au maintien des familles sur le camp (il ne s’en est jamais caché) ainsi que Monsieur l’ Ambassadeur.

A l’heure actuelle, au nombre de sous entendus, de langue de bois, même nos maris ne savent plus à Saint se vouer et qui croire.

Si la situation était si critique, pensez vous que nous n ‘aurions pas pris la décision de partir nous mêmes et que les militaires de l’opération licorne passeraient tous leurs dimanches tranquillement à Assinie (80 Km d’ Abidjan) dans des hôtels touristiques ?

Il faut noter également que l’activité nocturne soit disant « non secrétaire » entrave de beaucoup la liberté des familles (restriction des horaires de sorties de nuit) mais pas celle du commandement de la force Licorne qui s’octroie beaucoup de passe-droits.

Nous avons reçu la visite du général Cuche pendant quelques jours et nous avons cru que notre gouvernement s’intéressait à notre avenir. Cette visite ne nous semble pas avoir été d’une grande utilité. N’était elle prévue que dans le but de nous faire croire en la bonne volonté de l’armée Française ? Et la décision n’était elle pas déjà prise ?

D’autres questions se posent : Cette décision est elle prise en vue des élections présidentielles prévues en octobre 2005 ? si c’est le cas, nous vous rappelons que nous avons déjà vécu bloquées sur le camp du 43ème BIMa pendant plusieurs semaines sans avoir à nous plaindre et à vivre normalement dans son enceinte.

Pourquoi lors des événements de novembre 2004, on nous a offert le choix de rester ou de partir, alors que la situation était très critique, nous aurions alors compris et accepté de quitter la Côte d’ivoire mais aujourd’hui la situation est pour nous très calme et nous ne comprenons pas cette décision.

Peut être nous cache-t-on certaines informations ainsi qu’à nos maris qui sont dans l’incapacité de répondre à nos soupçons.

Comment se fait il que nous les premières intéressées nous n’ayons jamais été consultées ?
Quels sons de cloches recevez-vous à Paris de la situation en Cote d’Ivoire ?

Nous nous permettons alors de vous préciser que nous vivons normalement à l’ intérieur comme à l’extérieur et que nous faisons nos courses sur les marchés où nous sommes toujours bien accueillies par la population locale.

Si vous vous souciez tant de notre insécurité pourquoi alors les familles de l’ambassade et du consulat sont elles autorisées à rester sur le territoire sachant qu’elles résident en plein centre d’ Abidjan ?

Qu ‘en serait il de leur sécurité en cas de manifestation : ces familles ayant déjà trouvé refuge chez nous lors des derniers événements !

L’année étant déjà bien avancée, si la décision de nous faire partir était prise, nous aurions à faire face à de multiples problèmes, toutes ces rumeurs nous font penser que nous allons rentrer, mais encore une fois on nous demande d’être calmes , d’ attendre et de rester à notre place :

où serons nous logées et dans quelle ville allons nous être affectées ? comment allons nous organiser notre vie de tous les jours, double vie, double frais que certaines catégories de militaires ne pourront assurer financièrement ? comment s’organisera notre déménagement (avec ou sans notre mari) ? inscription de nos enfants à l’école ? éclatement des familles et risque futur ? pour certains enfants, un soutien psychologique risque d’être nécessaire suite à la séparation avec le père.

Vous allez nous dire que nous avions le libre choix de rentrer avec nos maris, mais nous nous apercevons aujourd’hui que les mutations de ceux qui ont choisi cette option après de nombreuses années au service de la France, se retrouvent mutés dans des affectations qui ressemblent plus à une punition. C’ est peut être ce qui a engagé nos maris à sacrifier un an de vie commune plutôt que de sacrifier 8 à 10 ans dans une garnison qui ne répond pas du tout à leurs désirs ou à leur travail.

Voyez vous Madame le Ministre, trop de questions restent sans réponse et c’est ce que nous déplorons.

Si vous aviez eu la possibilité de vous déplacer, vous vous seriez vite rendue compte par vous même que les femmes se sentent heureuses ici et qu’aucune ne se plaint. Nos maris n’ont rien à voir avec cette réaction. Ceux qui choisissent de partir, le font et ceux qui veulent rester en célibataire géographique ont signé des papiers.

Nous les épouses, nous disons NON.

Nous connaissons trop les risques que ce départ va engendrer tant coté familial que dans la vie militaire et le travail de nos époux.

Notre dernier mot est que nous ne voulons pas partir et surtout pas ainsi. Nous avons la désagréable impression d’être jetées dehors comme des personnes indésirables. Notre seul voeu est de finir notre séjour en famille pour notre bonheur et notre équilibre. Nous vous savons très appréciée de nos époux, c’ est pourquoi nous nous tournons vers vous car une femme sera peut être plus sensible à notre désarroi et aussi en tant que ministre car vous avez des pouvoirs de décision.

Nous vous remercions du temps que vous avez pu nous accorder en lisant cette lettre et osons espérer qu’elle ne restera pas sans suite.

Nous vous prions d’agréer, Madame le Ministre, l’expression de nos considérations distinguées.

Les épouses du 43ème BIMa

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