Questions fondamentales à propos des évènements récents en Côte d’Ivoire

Questions fondamentales à propos des évènements récents en Côte d’Ivoire.

Des évènements graves viennent de se dérouler les jours derniers en Côte d’Ivoire, mais compte tenu des versions incomplètes voire contradictoires que l’on trouve dans la presse ou sur plusieurs sites « Internet » il nous faudra attendre les résultats d’une enquête indépendante, objective et neutre pour en savoir un peu plus, c’est dire que nous risquons d’attendre fort longtemps pour que ces trois conditions soient réunies.

Cependant sans attendre, les évènements doivent conduire les militaires à s’interroger sur au moins trois aspects de ce drame :

1 – Les pouvoirs du Chef des armées

La constitution de 1958 en son article 15 affirme, sans autre précision, que « le Président de la République est le chef des armées. Il préside les conseils et comités supérieurs de la défense nationale ».
Cet article, à notre connaissance, à l’exclusion du domaine « nucléaire » n’a fait l’objet d’aucun texte d’application. Dans ces conditions, compte tenu de l’histoire et notamment de la teneur des précédentes constitutions, les pouvoirs du président de la république résultent davantage d’un usage, d’une conception de l’usage que de règles de droit précisément définies.
La pratique depuis 1990 en particulier tendrait à montrer que les présidents en exercice apprécient de détenir les clés du feu nucléaire.

2 – Le fondement juridique de l’acte de destruction de l’aviation ivoirienne

Cette question n’est pas une élucubration de juriste « pinailleur ». Elle est légitime dans la mesure où la France ne cesse de réclamer l’application du droit international, dans la mesure où elle agit en Côte d’Ivoire, non pas en tant que puissance coloniale, mais sous mandat de l’ONU. Bref, lorsqu’on veut donner des leçons ou démontrer le bien fondé de prise de position, il faut soi même être irréprochable.

Bien sûr, le citoyen lambda est dans l’impossibilité de connaître la chronologie rigoureuse des faits et ordres donnés et reçus, mais quoiqu’il en soit, trois thèses peuvent être avancées :

1° – la première serait celle de la légitime défense, mais, comment la fonder ? En droit, la riposte doit être simultanée et proportionnelle à l’agression. On se trouverait dans un tel cas, si les avions Sukhoï avaient été abattus au moment de leurs tirs meurtriers. Mais, le délai de latence, de réaction pour engager l’action exclut que la légitime défense justifie la destruction de l’aviation ivoirienne.

2° – la deuxième thèse serait celle d’un acte relevant plus de la déclaration de guerre que d’un geste de courtoisie internationale. La destruction de tous les appareils de l’aviation de la Côte d’Ivoire peut apparaître comme un acte de guerre. Là encore, cette justification n’est pas satisfaisante. D’une part, la déclaration de guerre n’a pas été autorisée par le parlement conformément à l’article 35 de la constitution. D’autre part, on ne peut raisonnablement affirmer que la France est en état de guerre avec la Côte d’Ivoire que le chef de l’état a qualifié récemment de pays, « ami de la France ». Il n’en demeure pas moins qu’il y a tout de même une contradiction fondamentale dans le fait d’engager une action militaire de destruction envers un pays ami.

3° – Une action préventive de désarmement autorisée dans le cadre du mandat de l’ONU.

Reste alors la justification de la destruction de l’aviation ivoirienne par l’autorisation expresse ou tacite du mandat de l’ONU. Il s’agirait alors d’une action préventive ne visant que le matériel et destinée à garantir le succès de la mission. L’embargo décidé par l’ONU sur la livraison d’armes au gouvernement de la Côte d’Ivoire semble accréditer a posteriori ce fondement juridique qui mériterait en tout cas d’être expliqué. Cette justification est sans doute la plus satisfaisante pour l’esprit, mais tout aussi fragile que les précédentes. D’une certaine manière, on pourrait dire que la France aime tellement la Côte d’Ivoire qu’elle a préféré lui supprimer son joujou aérien pour lui éviter faire de nouvelles bêtises. Certains pourraient voir derrière cette thèse l’expression d’un complexe néo-colonial de supériorité.

En tout état de cause, à défaut de fondement juridique clair de l’action française, celle-ci peut être sujette à caution et critiquée, voire entraîner des poursuites sur le plan international.

Comme on le voit aucune de ces trois thèses n’est parfaitement satisfaisante et chacune suscite son lot de légitimes interrogations.

Certes, demain, de savants hommes politiques ou des politologues ne manqueront pas de souligner qu’il s’agissait d’une réaction au « tac au tac » à un acte d’attaque surprise; l’enquête devrait le déterminer. De toute façon, l’accomplissement d’un tel acte, désormais définitif – nos soldats sont morts, les armes d’attaque ont été détruites – montre qu’il est urgent que les hommes politiques se penchent , d’une part sur la définition et l’application de la thèse de la légitime défense dans des situations de cette nature et, d’autre part, sur l’adaptation de la Constitution à des situations jusque là inconnues.

3 – Le troisième point, tout aussi fondamental, touche à l’exécution d’un ordre

Certes l’article 15 du statut général des militaires rappelle que « les militaires doivent obéissance aux ordres de leurs supérieurs et sont responsables de l’exécution des missions qui leur sont confiées ». Mais le texte ajoute immédiatement après avoir posé ce principe de l’obéissance absolue (rappelé à l’article 8 du projet de statut): « Toutefois, il ne peut être ordonné et ils ne peuvent accomplir des actes qui sont contraires aux lois, aux coutumes de la guerre et aux conventions internationales ou qui constituent des crimes ou délits notamment contre la sécurité et l’intégrité de l’Etat ».

Selon la presse, l’ordre venait du plus haut niveau. Les subordonnés ne pouvaient donc qu’exécuter. Mais ils étaient en droit de s’interroger sur le fondement de leur action en ayant en mémoire que l’article 15 du SGM dispose que « la responsabilité propre des subordonnés ne dégage les supérieurs d’aucune de leurs responsabilités ».

A l’occasion de l’examen du projet de loi relatif au statut général des militaires, déposé par le Premier ministre et la Ministre de la défense devant l’Assemblée Nationale, nos souhaitons que le Parlement aborde ces questions fondamentales pour l’avenir des institutions de la République.

La rédaction de l’ADEFDROMIL

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