« Lorsqu’on presse les états-majors de faire des économies, il faut les empêcher de les faire sur les haricots du soldat » Charles de Gaulle
Citation extraite du livre « Charles de Gaulle – Traits d’esprit – choisis par Marcel Jullian Editions de la Seine)
HISTORIQUE :
Décembre 1990 : Examen du dossier « carrières des militaires »
Lors de la 42ème session du Conseil supérieur de la Fonction militaire qui s’est déroulée du 10 au 13 décembre 1990, les membres de cet organisme de consultation ont été invités à donner un avis sur le dossier « carrières des militaires » et notamment sur la création d’une indemnité de départ.
En effet, dans le but de fidéliser les jeunes sous-officiers pendant une période de huit à douze ans en contrepartie des coûts élevés de formation et afin de rendre le début de carrière plus attractif tout en compensant un départ précoce, le gouvernement a envisagé de créer une indemnité de départ.
Après avoir examiné le projet, le CSFM a émis un avis favorable tout en demandant que cette indemnité corresponde aux caractéristiques énoncées, à savoir :
montant égal à 14 mois de solde budgétaire afférente au grade et à l’échelon détenus au moment du départ, non imposable, non contingentée, attribuée tant aux sous-officiers de carrière qu’aux sous-officiers et caporaux-chefs sous contrat.
Juin 1991 : création de l’indemnité de départ
Le 27 juin 1991, le décret n° 91-606 relatif à l’indemnité de départ allouée à certains militaires non officiers est régulièrement publié au journal officiel n° 149 du 28 juin 1991.
Il dispose :
Article 1er :
Une indemnité de départ est attribuée aux sous-officiers, officiers mariniers, caporaux-chefs et quartiers-maîtres de 1re classe engagés, en position d’activité, qui ayant au moins huit ans et au plus onze ans révolus de services militaires sont rayés des cadres au terme de leur contrat.
Les sous-officiers de carrière pourront bénéficier de l’indemnité de départ, dans les mêmes conditions d’ancienneté que les militaires engagés, sous réserve que leur demande de démission ait été agréée par le ministre chargé de la défense.
Article 2 :
L’indemnité est égale à quatorze mois de solde brute soumise à retenue pour pension.
La solde brute à prendre en considération est celle afférente au grade, à l’échelon et à l’échelle de solde détenus lors de la radiation des cadres. Elle est versée lors de la cessation des services.
L’indemnité de départ ne peut être allouée qu’une seule fois à un même militaire.
Article 3 :
Sont exclus du bénéfice de l’indemnité de départ les militaires engagés ou de carrière qui ont été radiés des cadres par mesure disciplinaire ou qui, dès leur radiation des cadres, sont nommés dans un emploi des administrations de l’Etat, des régions, des départements, des communes et de leurs établissements publics, y compris les établissements énumérés à l’article 2 de la loi no 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière
Article 4 :
Le montant de l’indemnité de départ perçu est reversé par tout bénéficiaire nommé à l’un des emplois énumérés à l’article 3 ci-dessus ou souscrivant un nouvel engagement dans les armées. Le reversement est effectué dans le délai d’un an à compter de cette nomination ou de cet engagement.
Février 1997 : 1ère modification du décret 91-606 du 27 juin 1991
La nouvelle armée professionnelle privilégie les carrières courtes. Aussi, l’IDPNO est considérée comme une aide au départ qui se justifie en compensation de la précarité du statut de contractuel.
« A ce titre, elle s’intègre complètement dans la politique des ressources humaines conçues en 1996 dans le cadre de la professionnalisation des armées qui se voulait complète et cohérente sur l’ensemble de la carrière des jeunes professionnels, y compris la reconversion et l’entrée dans une carrière civile » (Terre Info Juin 2003)
C’est pourquoi, dans cet esprit, l’IDPNO est revalorisée le 12 février 1997 par décret 97-132.
Ainsi, le premier alinéa de l’article 2 du décret du 27 juin 1991 susvisé est remplacé par la disposition suivante : l’indemnité est égale à vingt-quatre mois de solde brute soumise à retenue pour pension.
et le dernier alinéa de ce même article est remplacé par les dispositions suivantes : l’indemnité de départ ne peut être allouée qu’une seule fois à un même militaire et ne peut se cumuler avec le bénéfice d’une pension de retraite à jouissance immédiate.
Cette revalorisation a également eu pour but d’augmenter l’incitation au départ des sous-officiers afin d’atteindre les objectifs fixés de déflation dans le cadre de la loi de programmation militaire 1997-2002.
Septembre 2003 : 2ème modification du décret 91-606 du 27 juin 1991
Estimant que la professionnalisation des armées est arrivée à son terme, le gouvernement décide de revenir sur les avantages accordés en 1997 afin de favoriser les mesures de fidélisation.
A l’article 1er du décret du 27 juin 1991 susvisé est ajouté, après les mots « au terme de leur contrat » les mots : « à la condition que l’autorité militaire ne leur ait pas proposé un nouveau contrat ». Au deuxième alinéa sont ajoutés, après les mots : « sous-officiers de carrière », les mots : « en position d’activité »
Puis un alinéa est ajouté, rédigé comme suit :
« à compter du 1er janvier 2004, la durée minimale de services militaires à prendre en compte pour l’appréciation du droit à l’indemnité de départ est portée à neuf ans ».
Enfin, le premier alinéa de l’article 2 est remplacé par les dispositions suivantes :
« L’indemnité est égale à vingt mois de solde brute soumise à retenue pour pension et à quatorze mois de solde brute soumise à retenue pour pension à compter du 1er janvier 2004. »
Novembre 2003 : publication de la circulaire d’application dans l’armée de terre.
La circulaire n° 11026/DEF/PMAT/EG/B relative à l’indemnité de départ allouée à certains militaires non officiers de l’armée de terre du 22 octobre 2003 est publiée au BOC/PP n°46 du 10 novembre 2003.
C’est donc très tardivement que l’ensemble des militaires de l’armée de terre et des autres armées découvre les changements intervenus dans la réglementation.
Dorénavant, l’indemnité de départ doit être considérée comme un accompagnement au départ pour le personnel dont le contrat n’est pas renouvelé par l’autorité militaire.
L’indemnité de départ est attribuée aux sous-officiers et caporaux-chefs engagés qui se trouvent dans la position d’activité et qui, ayant au moins neuf ans (huit ans jusqu’au 31 décembre 2003) et au plus onze ans révolus de services militaires accomplis, sont rayés des cadres de l’armée d’active au terme de leur contrat.
La notion de terme de contrat doit être comprise comme la date de radiation des cadres consécutive soit, à l’échéance normale du contrat ou de sa prorogation du fait de l’obtention de certains congés, soit à sa résiliation sur demande agréée.
Les sous-officiers de carrière en position d’activité peuvent également bénéficier de l’indemnité de départ, dans les mêmes conditions d’ancienneté que les militaires engagés, sous réserve que leur demande de démission soit agréée par le ministre de la défense.
Sont exclus du bénéfice de l’indemnité de départ :
les militaires engagés qui se sont vus proposer un nouveau contrat par l’autorité militaire, neuf mois au plus tard avant le terme du contrat les militaires engagés ou de carrière qui ont été radiés des cadres par mesure disciplinaire ou à l’issue d’un congé exceptionnel d’une durée maximum de six mois accordé sans solde pour convenances personnelles ou qui, dès leur radiation des cadres, sont nommés dans un emploi des administrations de l’Etat, des régions, des départements, des communes ou de leurs établissements publics, y compris les établissements énumérés à l’article 2 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 modifiée, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière.
Le montant de l’indemnité de départ perçu doit être reversé par tout bénéficiaire qui est nommé à l’un des emplois définis ci-dessus. Le reversement est à effectuer dans le délai d’un an à compter de cette nomination ou de cet engagement.
MONTEE DU MECONTENTEMENT :
Le brutal changement intervenu dans les conditions d’attribution de l’IDPNO génère une vague de mécontentement aussi bien parmi les sous-officiers que parmi les caporaux-chefs.
Les origines de ce mécontentement sont multiples.
Certains dénoncent une publicité mensongère et une arnaque à l’engagement. En effet, les sergents recruteurs, au début de la professionnalisation, ont présenté l’IDPNO comme étant une compensation accordée du fait de la précarité des carrières courtes et de la non obtention d’une retraite à jouissance immédiate.
D’autres reconnaissent avoir été sensibles aux arguments des chefs qui mettaient en avant le montant non négligeable de l’IDPNO pour les convaincre de renouveler leur contrat d’engagement.
Enfin, il y a ceux qui, en stage de reconversion, ont appris au dernier moment qu’ils ne percevraient plus rien. Pour eux, c’est tout un rêve qui s’écroule. Leur sentiment de révolte contre l’armée est d’autant plus grand qu’ils comptaient sur ce pécule en fin de contrat pour ouvrir ou acheter un commerce.
C’est dans ces conditions que de nombreux militaires ont été rendus à la vie civile après 8 ans de services !
Mais la grogne confine à l’exaspération lorsque le militaire qui a refusé un nouveau contrat apprend qu’il n’aura pas droit non plus à l’attestation de perte involontaire d’emploi…c’est à dire au chômage !
N’arrivant pas à fidéliser les engagés, le gouvernement en est réduit à soumettre à une forme de chantage à l’indemnité de départ, les militaires les plus performants. Les moins bons n’ont aucun souci à se faire, ils percevront l’IDPNO à 9 ou 10 ans de services militaires.
DES MODIFICATIONS PREVISIBLES ?
Pouvait-on s’attendre à des modifications substantielles du décret 91-606 du 27 juin 1991 ?
Concernant l’armée de terre, on peut répondre par l’affirmative sur le principe d’une modification à intervenir.
En effet, suite à la descente des gendarmes dans la rue, un dossier a été constitué pour accompagner la communication des annonces du ministre de la défense Alain RICHARD faite à Istres le 28 février 2002, concernant la revalorisation de la condition militaire.
Ce dossier, comporte des fiches explicatives à l’usage des chefs de corps et des autorités investies de responsabilités de commandement pour leur permettre d’inscrire cette communication dans le cadre plus large et plus global des difficultés auxquelles l’armée de terre fait face depuis plusieurs années et des perspectives d’évolution à venir.
La fiche n°1 PLAN D’AMELIORATION DE LA CONDITION MILITAIRE (PACM) dispose :
« IDPNO
Bien que ne figurant pas strictement dans le PACM, l’indemnité de départ pour le personnel non officier (IDPNO) sera réaménagée et son montant réduit sur la période 2003-2006. Dispositif interarmées, l’IDPNO avait été augmentée de façon très importante, son montant passant de 14 mois à 24 mois de solde dans le cadre de la professionnalisation 1997-2002. Il s’agissait alors de faciliter le départ des sous-officiers, pour accompagner à la fois la résorption du sureffectif existant et la réduction des effectifs budgétaires.
Les effectifs professionnels étant désormais réalisés, cette indemnité doit reprendre sa vocation et sa forme d’origine. En effet, il ne s’agit plus d’inciter du personnel à quitter l’institution, mais d’accompagner de façon satisfaisante le départ du personnel qui est contraint à quitter l’armée de terre ».
Comme on peut le constater tout du moins pour l’armée de terre, les chefs depuis 2002 savaient que l’IDPNO devait être réformée. Pourquoi n’ont-ils pas averti le personnel concerné ?
En juin 2003, alors que le décret modificatif n’est pas encore paru, Terre info a publié un article intitulé « Evolutions de l’indemnité de départ du personnel non officier (IDPNO) ».
Cet article fait le point exact de l’évolution attendue en 2003 et du dispositif final mis en vigueur au 1er janvier 2004.
Dans ces conditions, il paraît difficile de dire « on ne savait pas ! »
L’ADMINISTRATION POUVAIT-ELLE CHANGER LES REGLES ?
Cette question est constamment posée à l’ADEFDROMIL.
Il résulte de l’article 3 de la loi 72-662 du 13 juillet 1972 portant statut général des militaires que les militaires sont dans une situation statutaire
Cela veut dire que leur situation juridique est définie unilatéralement par des dispositions générales et impersonnelles, édictées sous forme de lois ou règlements, qui constituent leurs statuts.
Les conséquences du caractère statutaire (légal et réglementaire) de la situation des militaires sont les suivantes :
la situation des militaires résulte d’un statut général et de statuts particuliers fixés par la loi et le règlement et non d’un contrat passé entre l’administration et eux. Il en résulte par exemple que la nomination à un grade n’est pas un élément d’un accord contractuel, mais un acte unilatéral de l’administration militaire. La situation résultant du statut doit être la même pour tous les militaires se trouvant dans la même catégorie (militaires de carrière, militaires servant en vertu d’un contrat : les officiers sous contrat, les militaires engagés, les officiers servant sous contrat, les militaires servant à titre étranger). De ce fait, aucune convention particulière ne peut être passée entre l’administration militaire et un de ses agents en vue de l’établir dans une situation spéciale. Celle-ci serait illégale. Le statut peut être modifié à tout moment. Les militaires n’ont pas droit au maintien des dispositions statutaires qui les régissent (Conseil d’Etat 21 mars 1980, Gradella requête n°17267 ; 31 mai 1989, Pierron). Au même titre que les fonctionnaires, les militaires ne peuvent renoncer à aucune disposition de leur statut. Une telle renonciation serait sans valeur juridique. A titre d’exemple, dans un arrêt dame Lamaison du 7 mai 1955, le Conseil d’Etat a jugé qu’un fonctionnaire ne peut renoncer à son traitement. Le contentieux de la fonction publique militaire est un contentieux objectif c’est à dire un contentieux de la légalité. Il peut toutefois être un contentieux subjectif lorsque le militaire défend un droit personnel.
Compte tenu des éléments qui précèdent, les militaires n’avaient aucun droit acquis au maintien des dispositions régissant l’attribution de l’indemnité de départ du personnel non officier (IDPNO) et l’administration militaire pouvait changer ses règles d’attribution.
C’est d’ailleurs ce que fait ressortir l’administration dans la motivation de ses décisions prises après avis de la Commission des recours des militaires :
« Considérant que le sergent X…, placé dans une situation légale et réglementaire, n’a aucun droit acquis au maintien des dispositions réglementaires qui lui sont applicables et qui peuvent être modifiées unilatéralement à tout moment ;
Considérant que l’autorité militaire, en refusant à ce militaire le bénéfice de l’indemnité de départ allouée à certains militaires non officiers, a fait une exacte application de la réglementation en vigueur à la date de la radiation des contrôles de l’activité de l’intéressé, le 30 janvier 2004, où ce militaire ne comptait alors que huit ans de services militaires… »
UNE DECISION NEANMOINS CONTESTABLE
Même si l’administration militaire est fondée juridiquement à changer les règles statutaires qui régissent les militaires, il faut bien reconnaître qu’une telle modification ne serait jamais intervenue aussi brutalement dans la fonction publique ! Les syndicats seraient montés au créneau et les fonctionnaires concernés seraient descendus dans la rue !
Il est facile de citer en exemple la réussite de la transformation de l’armée de conscription en une armée professionnelle lorsque celle-ci s’est faite au détriment d’un personnel complètement désarmé face à l’omnipotence de l’administration militaire. Les changements sont intervenus en dehors de toute concertation et lorsqu’il y a eu semblant de concertation, l’administration est passée outre les avis défavorables du Conseil supérieur de la fonction militaire. La peur de faire partie des cadres « déflationnés » a calmé plus d’un esprit rebelle !
A moins d’être complice des décisions prises par le gouvernement, une nouvelle fois le chef de l’article 10 du SGM n’a pas défendu les intérêts de ses subordonnés.
Dans le cas d’espèce, défendre les intérêts de ses subordonnés, c’était avant tout faire en sorte que :
les mesures transitoires lèsent le moins de militaires possible. Tel n’est pas le cas dans ce dossier puisque celles-ci ne concernent que le motif de non renouvellement de contrat et non l’ensemble des militaires à qui l’on a fait signer des contrats jusqu’à 8 ans tout en leur faisant miroiter l’indemnité de départ ; soit pris en considération les quelques dossiers de militaires arrivant en fin de contrat et effectuant leur stage de reconversion ; les militaires qui ont consacré 8 ans de leur vie à la défense de leur Pays obtiennent une juste compensation de la précarité de leur contrat ; l’indemnité de départ des personnels non officiers censée être une aide au départ ne se transforme en un instrument de chantage à l’engagement ; tous les militaires qui quittent les armées, à l’exception de ceux qui les quittent par mesure disciplinaire, bénéficient des indemnités de chômage.
Rendre à la vie civile des militaires dans ces conditions n’est pas rendre service aux armées. Particulièrement mécontents à juste titre, des conditions dans lesquelles ils ont été floués au terme de leur contrat, ces militaires viennent grossir tout naturellement ce que le ministère de la défense nomme « le bassin de pollution ».C’est à dire qu’ils véhiculent, dans le secteur civil, des messages peu flatteurs à l’encontre des armées et susceptibles de décourager les candidats potentiels à l’engagement. Est ce bien cela que nous souhaitons pour l’armée ?