Reconversion des militaires – Examen du rapport et du texte de la commission

M. Josselin de Rohan, président. – L’ordre du jour appelle l’examen du projet de loi relatif à la reconversion des militaires (n° 611, 2010-2011).

M. André Dulait, rapporteur. – Avec la reconversion des militaires, nous abordons un grand sujet et un petit texte. N’y voyez pas là une critique. On se plaint trop de l’inflation législative pour ne pas se féliciter que l’on n’apporte au code de la défense que les petites touches de modification nécessaires.

Les armées prennent à la société une partie de notre jeunesse pour la lui rendre quelques années plus tard. Depuis le brassage de Français de toutes origines qu’assurait l’armée de conscription, il existe un lien historique entre les armées et leur mission sociale de reconversion de leurs soldats.

Il y a ensuite un lien structurel entre les armées et cette mission de reconversion. Les carrières militaires sont en effet courtes. Quatre militaires sur cinq n’effectuent pas l’intégralité de leur carrière dans les armées. Celles-ci ont donc besoin de jeunes soldats en nombre et de peu de généraux. La question de la reconversion se pose ainsi dès le recrutement. Les armées le savent bien : elles pourront d’autant mieux recruter qu’elles sauront reconvertir.

Il y a évidemment une importance toute conjoncturelle à cette préoccupation. Avec le nouveau format des armées, avec ce que l’on appelle la grande manoeuvre des ressources humaines, nos armées se seront, en 2014, séparées de 54 000 hommes : c’est considérable. Nous l’avons jugé nécessaire. La modernisation passe par des effectifs resserrés, mieux équipés, plus entraînés. Mais nous devons veiller à la cohérence globale de l’action des pouvoirs publics. Les réformes actuelles préoccupent les familles de militaires et les bassins d’emplois concernés. S’il nous faut moderniser notre outil de défense, il nous faut aussi lutter contre le chômage dans un contexte économique défavorable, d’où l’impérieuse nécessité de reconvertir au mieux les anciens militaires.

La reconversion est un sujet d’importance, mais aussi un sujet délicat, où il faut concilier aspirations individuelles et besoins de l’institution militaire. Les armées ne recrutent pas, ne forment pas pour reconvertir ; les armées recrutent et forment les soldats pour accomplir les missions qui leur sont confiées. Il faut donc trouver un juste équilibre entre la nécessité de rentabiliser les efforts consentis en matière de recrutement et en matière de formation des soldats et celle de les préparer à leur reconversion et à une seconde carrière. Comme l’a dit le chef d’état-major de l’armée de terre lors de l’université d’été de la défense, il faut veiller à ce que les efforts faits pour ceux qui partent ne soient pas supérieurs à ceux qui sont faits pour ceux qui restent.

Le chômage des militaires a un coût croissant puisqu’il revient à l’Etat de financer les allocations chômage des anciens militaires. Cette charge est passée en six ans de 75 millions à 110 millions : c’est très important eu égard au bouclage financier de la réforme et aux gains attendus de la diminution du format des armées.

Pour toutes ces raisons, les pouvoirs publics ont, depuis plusieurs années déjà, renforcé le dispositif d’aide à la reconversion des militaires qui s’articule traditionnellement autour de deux dispositifs : le premier est l’accès à la fonction publique et le second regroupe toutes les aides au départ vers le secteur privé, qui vont de l’évaluation à l’orientation, jusqu’à la formation professionnelle.

En 2009, le Gouvernement a mis en place une agence unique : l’agence de reconversion de la défense. Son action se décline à trois niveaux : national, régional – avec dix pôles de reconversion – et local, avec une cellule de reconversion dans chacune des cinquante et une bases de défense. Elle s’appuie également sur un recours plus important à des intervenants extérieurs.

D’ores et déjà, et en dépit d’un contexte économique difficile, les résultats sont globalement satisfaisants. Le taux global de reclassement des militaires est aujourd’hui de 69 % : 71 % pour les officiers, 73 % pour les sous-officiers et 50 % pour les militaires du rang, et 35 % pour les militaires du rang ayant quatre ans d’ancienneté. Ces chiffres permettent de comprendre clairement ce que doit être la priorité : les militaires du rang et plus particulièrement ceux qui ont le moins d’ancienneté.

Les reclassements dans la fonction publique sont, eux, de moitié inférieurs aux objectifs initiaux. Les administrations réduisant leurs effectifs, elles n’accueillent pas nos militaires à bras ouvert. Leur nombre a pourtant augmenté de 54 % entre 2008 et 2009, pour atteindre deux mille militaires reclassés dans la fonction publique.

Des dispositifs complémentaires sont nécessaires, c’est l’objet du projet de loi.

Le premier article assouplit les règles du congé de reconversion pour permettre aux militaires de suivre une formation segmentée dans le temps. Le congé est fractionnable par journées, dans la limite de 120 jours ouvrés cumulés, contre six mois consécutifs au maximum actuellement. Dans le cas d’un congé fractionné, la durée totale est de deux ans.

Le projet de loi ouvre aussi le congé de reconversion, dans la limite de vingt jours, aux volontaires ayant moins de quatre ans de services. Pour cette population dont on a vu qu’elle était fortement exposée au chômage, il s’agit d’une avancée importante.

Le deuxième article créé une nouvelle position statutaire d’activité : le congé pour création ou reprise d’entreprise, directement inspiré du dispositif existant pour la fonction publique. Ce congé est destiné aux militaires ayant huit ans d’ancienneté ; il sera d’une durée maximale d’un an, renouvelable une fois, sur demande agréée.

L’Assemblée nationale a autorisé, en fin de carrière, un cumul d’activité entre l’activité de militaire et celle d’auto-entrepreneur. Ce dispositif prévu à l’article 3 est très encadré : il est réservé aux militaires à moins de deux ans de la limite d’âge ou de durée des services, ou dans le cadre d’un congé de reconversion ; les activités doivent être agréées par le commandement militaire pour vérifier la compatibilité de celle-ci avec le bon fonctionnement des services. Ces deux dispositifs complémentaires doivent permettre à des militaires de tenter l’aventure de la création d’entreprises et leur mettre le pied à l’étrier. Ils sont conçus comme des dispositifs expérimentaux : on prévoit une vingtaine de militaires par an pour le congé pour création d’entreprise. Nous verrons à l’expérience ce que cela donne.

A l’initiative du Gouvernement, l’Assemblée nationale a également adopté deux articles additionnels relatifs aux emplois réservés de la fonction publique ouverts aux invalides de guerre et militaires blessés en opération, aux veuves et orphelins, aux enfants de harkis, ainsi qu’aux militaires en activité ou libérés depuis moins de trois ans.

L’accès devient possible à tous les corps ou cadres d’emplois des catégories B et C des trois fonctions publiques. L’aptitude est fondée sur la reconnaissance et la valorisation des acquis de l’expérience professionnelle et sur des entretiens de sélection. L’article 4 permet aux candidats d’effectuer leur année de stage dans leur emploi réservé en conservant la rémunération qu’ils auraient perçue s’ils étaient restés en position d’activité au sein des armées – au lieu de se trouver en détachement et perdre en rémunération.

L’article 5 autorise la prorogation des contrats des candidats aux emplois réservés aux seules fins de suivre le stage ou la scolarité préalable à la titularisation dans le corps d’accueil. Le dispositif des emplois réservés est accessible, à partir de 4 ans d’ancienneté, aux volontaires sous contrat de cinq ans non renouvelable. L’Assemblée nationale a adopté un article 6 nouveau touchant les modalités de fixation de la liste des établissements concernés par le mode d’accès supplémentaire aux emplois réservés. Le Code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre ouvre l’attribution des emplois réservés non pourvus à des fonctionnaires et ouvriers de l’État appartenant à des établissements restructurés. L’article 6, introduit par l’Assemblée nationale à l’initiative du Gouvernement, prévoit que la liste des établissements restructurés sera fixée non plus par décret, mais par arrêté du ministre compétent, procédure plus souple.

Voilà vraiment un texte qui fixe les grands principes…

L’Assemblée nationale a enfin adopté à l’initiative du Gouvernement deux articles additionnels, 7 et 8. La loi du 3 août 2009 relative à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique autorise le ministère de la défense à mettre des agents à la disposition d’un organisme titulaire d’un marché d’externalisation – il s’agit surtout d’activités de soutien. Ces dispositions valent quels que soient le statut, la catégorie, le corps d’appartenance, militaires de carrière, servant en vertu d’un contrat, officiers, sous-officiers, militaires du rang. Les emplois visés sont pour l’essentiel administratifs ou techniques, dans la restauration ou la maintenance informatique.

En 2009, deux situations ont été oubliées. Celle, rare, des établissements publics qui dépendent du ministère de la défense : ainsi l’école Polytechnique souhaite externaliser sa restauration et pourrait mettre à la disposition du prestataire ses agents contractuels, prolongeant ainsi leurs contrats. Celle, aussi, des partenariats comportant des sous-traitants. Une interprétation littérale de la loi de 2009 interdit la mise à disposition d’un sous-traitant dans le cadre d’un marché de partenariat comportant un titulaire et des sous-traitants – le projet Balard par exemple, qui comporte des lots de restauration. Ces deux derniers articles constituent une réponse très concrète aux besoins du ministère de la défense.

Comme vous le constatez, ce projet de loi comporte des dispositions très techniques et de portée limitée. Certaines, je pense à la prise en compte des congés maladie dans la durée maximale du congé de reconversion, s’éloignent beaucoup de l’esprit et de la lettre de l’article 34 de la Constitution. La loi fixe les principes fondamentaux, or ici il s’agit de modalités pratiques ! C’est l’illustration de l’inflation législative : toujours plus de lois, votées lors de sessions toujours plus longues, conformément au goût très français pour la norme et les statuts ; nous avons sinon une passion pour la réglementation, en tout cas un appétit certain pour la loi.

Montesquieu disait que les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires. Ce projet n’est pas inutile. Ses dispositions telles qu’adoptées par l’Assemblée nationale répondent chacune très concrètement à des besoins des armées. Et si des dispositions figurent dans une loi, il faut bien une autre loi pour les modifier.

Nous avons expertisé les mesures et procédé à plusieurs auditions : l’actuelle rédaction semble bien atteindre les objectifs fixés. Il n’y a donc pas lieu de vous proposer des amendements. Cela serait certes la vocation du rapporteur ; mais il se refuse à contribuer à l’inflation législative par des amendements superflus !

Je vous propose donc d’adopter ce texte sans modification.

M. Jean-Louis Carrère. – Ce n’est pas un grief à votre égard mais je trouve particulièrement regrettable que ce texte vienne en séance publique le 22 décembre – pourquoi pas le 24 à minuit ?

Le texte est très technique. Il est lié à la formidable déflation des emplois dans les armées françaises et si nous pouvons être d’accord avec son contenu, sa pertinence sera-t-elle durable ? L’aboutissement de la RGPP conduira à des modifications dans des délais plus brefs que nous ne l’imaginons… Le texte semble nous convenir mais il n’aborde pas la vraie question, celle des moyens. Je reconnais que ce n’est pas son objet. Mais un ministre va défendre ces mesures, qui ne pourra les mettre en oeuvre ! Il faut concilier la réalité de la configuration de l’armée, son renouvellement, la reconversion des partants, de plus en plus nombreux. Mais si nous n’avons pas les moyens de cette reconversion, c’est tout l’édifice qui s’effondre. Je lance donc un appel vibrant au rapporteur, au président de notre commission et à la majorité sénatoriale : serons-nous le moment venu capables de délibérer sur la mise en oeuvre de la politique, c’est-à-dire les moyens ?

M. André Dulait, rapporteur. – Depuis 2005, on est passé de 28 000 départs à 34.000 aujourd’hui, officiers, sous-officiers, hommes de troupe : l’inflation, effectivement, est notable. Lors du projet de loi de finances, nous avions souligné l’insuffisance des crédits du titre II ; après un « resoclage » de 113 millions d’euros, le déficit actuel est de 200 millions d’euros. L’impasse budgétaire est là et je conclus mon rapport sur une interrogation relative à l’évolution financière.

M. Jean-Louis Carrère. – Pourquoi s’affronter politiquement, stérilement, sur un tel sujet ? Voyons plutôt comment interpeller le Gouvernement de façon constructive sur les suites à donner à ce projet de loi.

M. Josselin de Rohan, président. – La question sera posée.

L’ensemble du projet de loi est adopté sans modification.

Source: Comptes rendus de la Commission des affaires étrangères du sénat du 7 décembre 2010.

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