« Article paru en février 2004 dans « Le retraité militaire » (1), journal édité mensuellement par la Confédération Nationale des Retraités Militaires (CNRM), 17 rue de Bourgogne, 75007 Paris.
Alors qu’allait se dérouler, du 24 au 28 mai 2004, la 69ème session du Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM), au cours de laquelle serait examiné l’avant projet de loi portant réforme du statut général des militaires, l’auteur, membre retraité de cette instance, a tenu à attirer l’attention sur l’attractivité du métier militaire et les dispositions qui, selon lui, devaient être prises pour répondre aux attentes des personnels et des recrues potentielles ».
La Rédaction de l’ADEFDROMIL
Les militaires qui constatent et subissent les conséquences des difficultés que rencontrent les armées pour recruter, et qui peuvent effectuer des comparaisons matérielles avec d’autres corps de l’Etat, s’interrogent sur la réelle attractivité du métier qu’ils exercent.
Si, selon les sondages et vues de l’extérieur, nos armées vont bien, ceux qui y servent, civils ou militaires, ne le ressentent pas toujours ainsi.
Souvent perçues comme un monde étrange, où sont valorisées des vertus telles que l’ordre, l’obéissance, l’esprit collectif, l’activité et la valeur physique, où se cultivent la rigueur et l’éthique militaires, qui met en oeuvre des matériels sophistiqués faisant appel à la haute technologie, les armées peuvent donc, pour certains, être un modèle attirant et un cadre de vie, de travail et d’action attachants.
Or, de plus en plus rares sont ceux qui choisissent ce métier ou cet emploi.
Les objectifs de recrutement sont difficilement atteints.
Les slogans des organismes chargés du recrutement : « les grands horizons », « vivre autrement », « bien plus qu’un métier », etc… démontrent à l’évidence que la seule défense de la Patrie ne fait plus recette !
Recruter des spécialistes de haut niveau est de plus en plus difficile et les meilleurs ne sont pas forcément attirés.
Il faut aller très loin dans les « listes complémentaires » de réussite aux concours pour recruter le nombre d’élèves officiers nécessaires à notre armée de Terre ou à notre Marine.
Le recrutement des élèves sous-officiers ne s’effectue plus qu’uniquement sur dossier, sans vérification du niveau réel, ce qui est dérogatoire aux principes d’accès aux services de l’Etat.
Ceci ne manquera pas, à terme, d’être un argument défavorable à toute revendication d’amélioration de la grille indiciaire de rémunération des militaires.
Si certains s’engagent par vocation pour exercer un métier qu’ils appréhendent déjà bien grâce à leur environnement proche, beaucoup le font pour échapper au chômage, rattraper un échec scolaire ou professionnel, travailler hors de murs ou pour échapper à un environnement qui ne leur convient plus.
Les officiers sous contrat viennent acquérir dans les armées la première expérience professionnelle qui leur sera nécessaire pour postuler ultérieurement à un emploi civil.
La professionnalisation a eu pour conséquence de rendre les crédits de fonctionnement pratiquement incompressibles et la France qui n’a pas de tradition d’armée totalement professionnalisée, devra donc consacrer beaucoup d’argent pour :
recruter en nombre et en qualité suffisants, par des salaires attractifs, fidéliser par un déroulement de carrière compétitif avec le secteur marchand, crédibiliser la reconversion et la financer suffisamment, valoriser au plan humain et professionnel, grâce à une formation à la 2ème carrière, le passage dans les armées.
Tout ceci a un coût dont le contribuable n’a pas forcément conscience.
La non perception de l’évidence d’une menace peut, à terme, entraîner un désintérêt pour les problèmes de défense, leur financement, et conduire à distendre encore plus le lien entre la Nation et ceux qui, sous les armes, la servent et la défendent.
Alors que l’armée de conscription était considérée comme un creuset où s’élaboraient en partie, s’entretenaient et se démontraient l’esprit de défense et l’appartenance à la Nation, l’armée professionnalisée n’est, dans l’esprit de la majorité des jeunes citoyens, qu’un instrument à leur service.
Toutefois ils lui reconnaissent :
une bonne compétence professionnelle, une capacité à utiliser de manière optimale le matériel, une disponibilité totale pour exécuter toutes les missions qui lui sont confiées en France, outre-mer et à l’étranger.
Mais pour ce faire, il faut que l’armée reste « jeune ».
Elle ne doit pas devenir un refuge pour « vieux soldats »;
En outre, il leur faut assumer une professionnalisation que certains, les plus influents, appelaient de leurs voeux et que d’autres, les plus réalistes, rejetaient et donc maintenant, subissent.
Il y a moins d’unités et moins de matériels à servir.
Les appelés ne sont plus là pour assumer certaines tâches « ordinaires » qu’il faut maintenant effectuer soi-même.
Dans l’armée de terre, le couplage historique et traditionnel entre le grade et la fonction a en partie disparu et les sous-officiers subalternes sont de plus en plus de simples exécutants.
Le rythme des missions extérieures, toujours supportées par les mêmes, s’accélère et les familles, malgré les compensations financières, ont du mal à suivre.
Nos militaires ont conscience qu’ils coûtent cher à la Nation mais ils se comparent aussi à d’autres corps de l’Etat moins performants mais plus écoutés et entendus.
Ils découvrent que depuis plus de 50 ans, on assiste à une banalisation et à une « ghettoïsation » de la fonction militaire et que leurs indices de solde de base ne sont plus en phase avec ceux de la société civile ou d’autres composantes de la fonction publique de l’Etat.
Ainsi, un élève officier à Saint-Cyr perçoit 278 euros (2 480 F) par mois de moins qu’un élève commissaire de police. Après 13 ans de services, sa solde de base mensuelle sera inférieures de 496 euros (3 258 F) à celle de son homologue policier.
Alors que les administrateurs civils atteignent, en fin de carrière, le traitement dit « hors échelle B », les militaires sont cantonnés au « hors échelle A ».
Le gardien de la paix atteindra en 8 ans, un indice de traitement que le sergent n’aura jamais.
La retraite à taux plein d’un adjudant-chef sera inférieure de 309 euros (2 026 F) à celle d’un brigadier-chef de police.
Les bonifications pour campagnes, acquises au prix de difficiles conditions d’exercice du métier, ne sont pas prises en compte dans la retraite du régime général, servie à ceux, les plus nombreux, qui n’auront pas fait carrière et n’auront pas intégré la fonction publique.
S’interroger sur l’attractivité de la fonction militaire est donc, pour les responsables de notre Défense, une ardente obligation, comme l’est celle d’offrir la possibilité d’une 2ème carrière, soit en interne, soit à l’extérieur de l’organisme, pour ceux qui ne bénéficieront pas de droit à pension.
En effet, à 20 ans, choisir une voie, un métier, est un acte de foi.
N’offrir aux jeunes qui s’engagent que la possibilité d’exercer le métier choisi pendant un temps limité, crée des obligations.
Faute de quoi, à terme, le recrutement sera le reflet imparfait de la Nation, en raison du faible niveau qualitatif des recrues et de la sur représentation de certaines minorités.
L’attractivité du métier militaire sera fonction des dispositions qui seront prises pour adapter le statut aux attentes des personnels, améliorer le positionnement indiciaire de la grille de rémunération, rendre plus efficace le dispositif de la réinsertion des engagés, en favorisant, entre autres mesures, les passerelles vers l’administration.
Et ce, avec l’aide des parlementaires qui devront cesser de ne s’intéresser à la Défense que lorsque les intérêts industriels, et donc les emplois, sont en jeu dans leur circonscription.
Les militaires méritent certainement plus de considération.
(1) Le Retraité Militaire
e-mail : retraitesmilitaires@wanadoo.fr
Tel : 01 45 51 57 28
Fax : 01 45 55 25 23