Les militaires français connaissent peu EUROMIL (European Organisation of Military associations), pour la simple raison que personne n’avait vraiment intérêt à leur en révéler l’existence. Mais alors que s’estompent les flonflons poussifs des dernières élections européennes, que s’élabore tant bien que mal une constitution pour les états de l’Union, et que l’on peut entendre tout et n’importe quoi sur l' »Europe de la défense« , il est temps de combler un peu cette lacune et de comprendre ce dont nous avons été longtemps privé. Et surtout pourquoi…
EUROMIL n’a pas vocation à constituer une « force » armée européenne, ni même un quelconque squelette structurel de pouvoir (ou de contre pouvoir) militaire. Que ceux qui postulent déjà pour commander l’inexistant se rassurent. Néanmoins, il est difficile de croire que l’on puisse longtemps disserter de défense commune européenne en feignant d’ignorer l’existence d’une structure qui fédère actuellement 33 associations militaires de 21 pays (dont certains n’adhèrent pas encore à l’UE ou en provenance de l’ex-bloc soviétique) et qui grossit d’année en année. Si une organisation possède à la fois la culture militaire, l’approche sociale et l’envergure européenne, c’est bien celle ci, et depuis plus longtemps que la plupart de nos europhiles (ou europtimistes).
500 000 adhérents actifs partageant des idées et des ambitions socioprofessionnelles communes constituent une force politique significative. Même si EUROMIL déclare et cultive sa nature non gouvernementale et son indépendance politique et religieuse, son poids est tel qu’il fera immanquablement pencher la balance du côté de ses objectifs.
EUROMIL naissait il y a plus de 30 ans de la réunion de plusieurs associations ou syndicats de militaires de pays européens démocratiques pour promouvoir une idée simplissime et combattre une constatation navrante.
L’idée simplissime est que le militaire professionnel reste un « citoyen en uniforme » et qu’il est absurde de restreindre ses libertés fondamentales tout en escomptant qu’il puisse défendre les mêmes libertés au profit de ses semblables et au péril de sa vie. Napoléon Bonaparte, qui ne pourra jamais être taxé de pacifisme béat professait déjà que le militaire était citoyen avant d’être soldat. Ce qui, pour toute démocratie aspirant à le rester, est préférable à l’hypothèse inverse.
La constatation navrante est toujours d’actualité. Certains pays européens maintiennent leurs soldats professionnels dans un état de sous citoyenneté en alléguant l’incompatibilité de quelques libertés publiques avec le statut de militaire. Des juristes de talents ont parfaitement démontré la vacuité de cette allégation et en quoi cette restriction s’opposait aux différentes conventions ratifiées par ailleurs par ces mêmes pays.
Depuis 1972, date de création d’EUROMIL, que de chemin parcouru, d’épreuves de force engagées, d’associations et de militaires défendu, parfois devant les plus hautes instances. De lobbying aussi, et si l’on ne devait considérer que la résolution 1572-2002, adoptée par la Commission Permanente de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe, et relative au droit d’association du personnel professionnel des forces armées, quel succès collectif !
Mais interpellée sur cette résolution, par le député Jean-Pierre Masseret, notre ministre n’a condescendu à voir dans ce texte formidable qu’une « incitation sans caractère impératif« . Comment s’étonner alors que, dans un cadre plus général, les français ne s’intéressent plus à des instances européennes dont le pouvoir national conteste la validité et fustige l’impuissance ? Au regard des dernières consultations électorales françaises, quelle est la légitimité résiduelle des instances gouvernementales et leur aptitude à gouverner ? Ces piètres résultats ne devraient-ils pas inciter, sans caractère impératif, nos élites à remiser, dans les poubelles de l’histoire, cette façon de mépriser la volonté collective ?
La France, cumulant à la fois l’ambition de devenir leader européen en matière de défense, et la volonté de rester à la traîne en matière de citoyenneté de ses militaires, n’a jamais autorisé ces derniers à se regrouper pour défendre leurs intérêts professionnels. Le « statut nouveau » avalisé par un CSFM aux ordres rappelle l’interdiction et, sauf législatives anticipées, les députés vont voter comme un seul homme cette avancée sociale considérable. Qu’importe si ce droit est pourtant reconnu et garanti par la constitution française ou des conventions européennes et internationales.
Sans groupement représentatif des militaires en activité de service, il était impossible de rejoindre EUROMIL autrement que sous forme d’association de retraités dont la combativité en matière d’évolution sociale se limite, parfois et par essence, au montant de la pension de retraite ou d’invalidité, et de quelques avancements dans les ordres nationaux. L’ANFASOCAF a le mérite de siéger depuis plus de vingt ans à EUROMIL, comme d’ailleurs au CSFM. Sans grand changement fondamental perceptible.
Poursuivant des objectifs identiques au profit des militaires français qui sont de plus en plus nombreux à lui faire confiance, ADEFDROMIL s’est portée candidate au statut d’association membre d’EUROMIL à l’issue d’une rencontre discrète à Bruxelles en avril 2003. Le président d’EUROMIL a participé à la dernière assemblée générale d’ADEFDROMIL en septembre dernier, assemblée où le principe d’adhésion a été voté à l’unanimité.
A l’issue des procédures en usage, notre association a été admise à l’occasion du congrès de LISBONNE en mars dernier, sous les applaudissements chaleureux d’une centaine de délégués des autres associations membres. Nous serons présents au congrès de BUDAPEST, comme aux suivants.
Les conséquences de cette adhésion sont multiples, les espoirs sont immenses et partagés.
EUROMIL pour sa part, élargit un peu plus ses assises européennes avec l’arrivée de l’unique groupement professionnel de militaires français d’active et de réserve. La photographie insérée sur son site Internet (www.euromil.org/) représente d’ailleurs le président d’ADEFDROMIL et l’auteur de ces lignes à la cérémonie d’admission. Certes, de nombreuses associations d’anciens élèves officiers jouent un rôle de lobbying au profit de militaires, généralement officiers, et éloignant un peu plus des mêmes avantages ceux là même dont ils sont sensé défendre les intérêts. L’AOM (association des officiers de la marine) jouit d’un statut d’observateur à EUROMIL. Mais ADEFDROMIL demeure la seule à avoir été interdite d’accès par la ministre de la défense sous peine de sanction. Une référence, en quelque sorte, une preuve de crédibilité et d’indépendance. Nous n’avons rien à solliciter, le coup qui devait nous abattre a déjà été tiré et il a fait long feu.
EUROMIL nous ouvre la porte de toutes les associations militaires européennes de l’organisation et peut nous faciliter l’accès aux diverses instances européennes utiles. De nombreux groupements professionnels militaires possèdent déjà une longue expérience de représentativité et il n’est pas illogique de songer à la fin prochaine de la représentativité « made in France ». Quant à la cour de justice européenne, elle a déjà démontré sa pertinence à dépasser les visions archaïques de certains états membres en matière de restriction des libertés publiques.
La notion de citoyen en uniforme fut imposée dès les années cinquante au seul soldat allemand dans le but de le voir développer un esprit critique vis à vis des formes abusives de pouvoir. La légende veut que nous soyons a l’abri des dérives de cette sorte, mais un certain nombre d’affaires, financières ou non, nationales ou internationales, actuellement devant les tribunaux nationaux ou internationaux, pourraient bien mettre à mal pareille certitude.
Il est temps de libérer le citoyen qui sommeille en tout militaire et de le laisser s’exprimer sur toutes les facettes de son métier.