La situation des militaires français est à plusieurs titres remarquable. Nous n’en retiendrons pourtant qu’un seul : c’est un double noeud gordien dont tout le monde se satisfait et que personne ne veut dénouer ou ne cherche à dénouer parce que, pour des raisons sans doute opposées, nul ne veut y toucher ou essayer d’y toucher.
Lors du dernier CSFM, la ministre de la défense a défendu, comme toujours, le thème de la Spécificité, si l’on s’en tient à la lecture de son discours.
La lecture de l’avis émis par le CSFM montre qu’à l’Unanimité le CSFM s’est déclaré favorable au projet de statut.
Il convient toutefois de se demander si c’est en toute connaissance de cause, mais c’est une autre affaire dont on se soucie peu; n’oublie-t-on pas un peu trop que pour porter la lourde charge de représenter la collectivité militaire dans des instances de concertation, il faut un minimum de formation, de connaissance des sujets à traiter.
La situation militaire présente est pour le moins un double noeud gordien qui dans la théorie de l’article 10 du SGM ne peut être dénouée que par une seule personne : le Chef.
Mais nul ne sait qui est le Chef. Le Chef des armées selon l’article 15 de la Constitution a plusieurs fois de suite émis le voeu d’un alignement ou d’un rapprochement avec « la société »; peut-il être le donneur d’ordre ?: on ne négocie pas, on tranche, comme dans la mythologie. Il y a peut-être un autre noeud gordien fondé sur les hésitations du Chef.
Les chefs délégués, c’est à dire les grands subordonnés, obéissent et, semble-t-il, se contentent tout à fait de la situation.
Les intéressés (c’est à dire les représentants des militaires) réunis en conclave périodique se déclarent satisfaits. Alors que demande le peuple ?
Donc Tout le monde « il est beau », Tout le monde » il est gentil », tout le monde est content.
Et c’est bien là le véritable noeud gordien de la Spécificité.
Ce noeud gordien de la Spécificité défendu par toutes les parties en cause est pourtant pur anachronisme.
Depuis 1945, on a procédé à la restitution du droit de vote aux militaires en 1945, à la suspension de la conscription en 1997; à cela s’ajoute le manque total d’intérêt de la classe politique pour la défense des intérêts des militaires. Bref, le monde a tant changé, la société civile s’est tellement transformée que le Militaire n’a plus d’autre bouclier que le repli derrière les murettes supposées éternelles de la Spécificité.
La Spécificité est telle que l’on a vu la ministre de la défense dans son discours au CSFM en venir à prôner, en quelque sorte, l’autonomie financière des armées : ceci va de la création de postes à la gendarmerie à l’octroi d’échelle B aux colonels, de la fin de carrière plus généreuse pour les majors à des miettes pour les caporaux et soldats etc.. En promettant ainsi généreusement, de son propre mouvement et comme si c’était de son propre gré, elle en vient presque à affirmer que la politique des rémunérations des militaires et des effectifs est une sorte de gestion autonome à la « régalienne »; mais quels sont donc les réels pouvoirs d’un ministre aujourd’hui ?
La presse n’a-t-elle pas, récemment, évoqué un conflit avec le ministre de l’économie et des finances ?
A quoi correspond, aujourd’hui, cette référence dans les textes à un décret du 10 juillet 1948 supposé intégrer les militaires comme les autres agents de l’Etat dans une unique grille de rémunération?
Dans ces conditions présentées par le ministre de la défense, les Militaires n’ont même plus à se fatiguer les méninges pour tenter de savoir, de chercher à comprendre ce qu’on a fait du cadre dressé en 1948, de ce classement hiérarchique des agents de l’Etat, cadre voulu unitaire depuis les ordonnances de 1945. Ils n’ont pas besoin de droit d’association ou de groupement professionnel, le chef en vertu de l’article 10 du SGM est chargé de veiller à la défense de leurs intérêts.. Et pourtant, la réalité semble bien être tout autre.
Les militaires, avant 1997, avaient encore un rôle particulier : celui d’encadrer en quelque sorte la jeunesse française pour le jour « J » hypothétique.
Mais aujourd’hui que ce rôle a disparu : que sont-ils devenus ? Des professionnels : soit mais de quoi exactement ?
En réalité, en ce qui concerne le « quotidien » (c’est à dire selon une vieille formule : »faire bouillir la marmite », le leur et celui de leurs familles, ils ne sont qu’une catégorie d’agents publics parmi d’autres, même s’ils sont les seuls en tant qu’entité constituée à pouvoir revendiquer le droit de recourir à la force quand l’ordre leur en est donné.
Forts de leur prétendue et intangible Spécificité qui arrange bien tout le monde, les militaires sont incapables de chercher à voir et à savoir ce qui se fait autour d’eux, tant ils se sentent « uniques », protégés par leur statut. Ils veulent, à tout prix, ignorer l’histoire, leur histoire. C’est leur droit.
Mais c’est une colossale erreur qui risque de leur coûter très cher.
L’avis émis par le dernier CSFM relève soit du « silence dans les rangs » alors que le CSFM est le seul lieu supposé d’expression directe, soit de l’autisme par défaut de pédagogie, de formation, de préparation à l’exercice de lourdes responsabilités.
Ne disposant pas du compte rendu écrit de la dernière session du CSFM, il y a tout lieu de penser que la place des militaires français dans la « constitution européenne » n’était pas du tout à l’ordre du jour et pourtant n’eût-ce pas été le moment d’en parler ?
Dans cette constitution, les articles relatifs aux questions de droit d’expression, d’association etc. sont très clairs.
Alors, si la dite Constitution entre en application dans l’état actuel (avec ou sans referendum) que fera le ministre de la défense pour mettre le statut (ancien ou le statut modifié Denoix de Saint Marc) en conformité avec la Constitution européenne dont le Conseil constitutionnel français vient de réaffirmer la supériorité ?
Le ministre de la défense ne pourra refaire le coup de 1949, sauf si le Conseil d’Etat émet un avis singulier, ce qui semble difficile à envisager.
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