Lundi dernier, 54 gendarmes de la Garde Républicaine assurant le service d’honneur à l’Elysée ont refusé de présenter les armes lors d’une répétition. Cet incident s’est déroulé devant l’adjoint au commandant militaire de la place. Selon nos sources, ce mouvement de protestation d’une ampleur jamais atteinte au sein de la gendarmerie avait pour but de dénoncer les conditions de travail de plus en plus insupportables, et non en solidarité avec un officier puni comme cela avait été rapporté.
La direction de la gendarmerie nationale a immédiatement diffusé un message destiné à tous les personnels, pour les avertir qu’une enquête de commandement allait être ouverte et que des sanctions seraient prises.
Cependant, la direction a fait savoir qu’elle était consciente des difficultés des conditions du travail dans la gendarmerie.
Il nous apparaît clair que la « grogne » amorcée dans la gendarmerie depuis quelques mois est en train de prendre de l’ampleur. Toutefois il n’est pas certain que le ministère et la direction de la gendarmerie aient pleinement pris conscience du dangers de laisser la situation s’envenimer. Ainsi, plutôt que de prendre des sanctions, aurait-il été préférable de se pencher sur le problème de fond qui a contraint ces militaires à cet acte désespéré.
AFP – 23 octobre 2001 : Le mouvement d’humeur sans précédent, lundi à l’Elysée, d’une compagnie de la garde républicaine illustre le malaise des gendarmes qui attendent du gouvernement une reconnaissance financière de leurs lourdes charges de travail.
54 gardes républicains ont refusé de présenter les armes lors d’une répétition dans la cour de l’Elysée pour protester contre la sanction infligée à un de leurs officiers.
Les trois régiments (deux d’infanterie, un de cavalerie) de la prestigieuse garde républicaine (3.000 hommes) sont chargés principalement de la protection des trois pouvoirs dans la capitale: législatif (Assemblée et Sénat), judiciaire (palais de justice) et exécutif (Elysée, Matignon, quai d’Orsay, ministère de la Défense).
Cet acte symbolique est surtout révélateur, comme le reconnaissait dès mardi soir la direction de la gendarmerie pour l’incident de la garde, des contraintes de service des quelque 100.000 gendarmes (départementaux, mobiles, gardes républicains, unités spécialisées et de soutien, écoles, et près de 2.000 civils).
Ainsi, les gardes républicains, qui ont refusé de présenter les armes lundi, n’avaient eu aucun dimanche libre depuis le mois d’août en raison des « nécessités du service », expliquait-on mercredi à la direction de la gendarmerie.
En outre, ajoute-t-on de même source, les 123 escadrons de gendarmes mobiles (quelque 16.000 hommes) ont passé, en 2000, en moyenne 214 jours « hors résidence » (en dehors de leur caserne, ndlr), dépassant largement les 180 jours annuels en déplacement, chiffre retenu pour permettre la prise des permissions et des repos et les entraînements.
L’euro et vigipirate
Dans la gendarmerie départementale (52.000 hommes et femmes), déployée dans les zones rurales et périurbaines et dans certaines villes de moins de 20.000 habitants, les gendarmes ont, selon la direction, une moyenne quotidienne de huit heures trente d’activités auxquelles s’ajoutent six heures trente « d’astreinte immédiate » (période pendant laquelle le gendarme est tenu de rester dans la caserne). Cette sujétion est en partie compensée par le logement gratuit pour tous les gendarmes.
« Les 35 heures, connaît pas!, Surtout avec le plan vigipirate renforcé et le passage à l’euro! », résume crûment un sous-officier de gendarmerie d’une brigade du Rhône. Tenus au devoir de réserve et interdits de grève par leur statut militaire, certains gendarmes s’expriment anonymement sur le web, par l’intermédiaire de mouvements de « femmes de gendarmes en colère » ou à travers L’Essor, le mensuel de l’union nationale du personnel en retraite de la gendarmerie.
En 1989, un très fort mouvement de mécontentement, lié aux conditions de travail, s’était exprimé dans la gendarmerie, par le biais de centaines de lettres qui avaient inondé les rédactions.
Douze ans plus tard, des gendarmes « soucieux de ne pas dégrader la condition militaire par rapport à la condition civile » ne revendiquent pas les 35 heures, mais demandent une « compensation indemnitaire », sous la forme d’un 13e mois, une forme de reconnaissance de leurs charges de travail.
Au ministère de la Défense, on soulignait mercredi que le ministère « accordait une grande attention » aux conditions de travail des gendarmes. Cette question, ajoutait-on de même source, sera au centre, au cours des prochaines semaines, des sessions d’automne du conseil de la fonction militaire gendarmerie (CFMG) et du conseil supérieur de la Fonction militaire (CSFM, regroupant toutes les armées), instances de concertation des militaires.