Discours d’ouverture du présidium d’EUROMIL, prononcé par Monsieur Bauke Snoep, Président d’EUROMIL

Le présidium annuel d’EUROMIL placé sous l’autorité de son président, Monsieur Bauke SNOEP, s’est déroulé à Lisbonne au Portugal du 25 mars 2004 au 28 mars 2004. A cette occasion, plus de 80 présidents et délégués d’associations européennes se sont retrouvés pour réaffirmer que le but d’EUROMIL est de faire en sorte que chaque militaire européen soit considéré comme un citoyen en uniforme.

Félicitations

Certains d’entre vous savent que j’ai servi comme navigateur radio dans les transports aériens de l’armée de l’air royale Hollandaise de 1972 à 1979. En préparant ce discours, je me suis demandé combien d’escales j’avais pu faire au Portugal à cette période. Consultant mon carnet de vols (précieusement et fièrement conservé), je constate que je suis venu à Lisbonne et Porto sept fois avant et cinq fois après la révolution de 1974. Ainsi, il n’est pas injuste de dire que je suis un témoin, en dépit de la distance, de la transformation de ce pays magnifique. A l’issue de ma dernière visite en février 1979, cela m’aura pris encore 12 ans pour revenir, cette fois ci comme représentant d’EUROMIL.

Depuis 1991, j’ai fait plusieurs visites et j’ai eu l’opportunité de m’entretenir avec des avocats, des sociologues, l’Ombudsman, le Conseiller militaire de la Présidence, des politiciens et des dirigeants militaires, la commission de la défense nationale et, enfin mais pas les moindres, des représentants des associations et les médias. Lors de ces 12 dernières années, j’ai pu voir ce pays et sa jeune démocratie croître et embellir année après année. J’en félicite chaudement le Portugal et ses citoyens à l’occasion de ce trentième anniversaire de cette révolution dite « des oeillets »: puissent les jours noirs ne jamais revenir.

Terrorisme

La date du 11 septembre 2001, communément appelée « 9/11 », a constitué un tournant dans l’approche du terrorisme par les Etats Unis. La guerre contre le terrorisme fut déclarée aux auteurs des atrocités commises au dépend des civils innocents, ou autres tentatives de détruire la société civilisée. Bien que les Nations Unies proclamèrent rapidement l’application de l’article 5 du traité de Washington, donc le support direct des Etats Unis, on peut difficilement nier que ce parcours américain créa aussi de sévères différences, et dans certains cas des ruptures, de partenariat avec eux. Il semblait alors que les Européens pensaient que le terrorisme était loin du vieux continent, et que, en dépit de nos relations transatlantiques, les Etats Unis devraient en faire leur guerre personnelle.

Et bien, ce 11 mars 2004, l’Europe fut réveillée par un acte cruel, brutal et lâche de terrorisme en plein Madrid, fauchant 190 vies de civils, en blessant 1500 autres, hommes, femmes, enfants. Je vous prierais de vous lever et de commémorer ces victimes en silence. Puissent-elles reposer en paix. ( minute de silence )

Aucune cause au monde ne peut justifier une telle barbarie et nous ne pouvons que condamner ceux qui commettent de tels actes horribles de violence sans discrimination. La peine, la crainte et la colère furent et demeurent les sentiments qui dominent nos coeurs et nos esprits depuis lors. Les destructeurs de nos valeurs communes des droits de l’homme, de la démocratie et du droit doivent être délogés, arrêtés et traduits en justice. Notre intérêt commun est que le terrorisme soit écrasé.

Cependant, nous commettrions une grave erreur en supposant que les explosions de Madrid sont une faute tactique, ou pure coïncidence, et que cela ne se reproduira pas en Europe. De telles violences minutées, et dirigées contre des civils innocents ne sont pas des erreurs ou des coïncidences. Ce sont des tentatives délibérées de perturber et de détruire nos sociétés partout en Europe. Par conséquent, après le 9/11, et le 11/M (comme les espagnols l’appellent), il est grand temps que les pays européens mettent de coté leur vue personnelle, et parfois très provinciale en matière de renseignement, de sécurité et de défense. En particulier pour les pays membres de l’Union Européenne, il faut :

Mieux formuler et exécuter une politique commune pour les affaires étrangères, la sécurité et la défense, Mieux réaliser que, depuis les accords de Schengen, les frontières sont à la périphérie de l’Union, Mieux ajuster et investir dans le renseignement, la sécurité et la défense commune.

Puisse la volonté récemment exprimée des politiciens européens, d’accords entre autre pour désigner un « Mr terrorisme » ne pas s’égarer dans l’impasse des rencontres sans fin…

Toutes ces intentions, cependant, ne doivent pas conduire à l’idée que, en raison du 9/11 ou du 11/M, les droits de l’homme et les libertés fondamentales doivent être limitées. Quelques gouvernements penchent vers cette attitude car  » en temps de guerre, il ne peut y avoir de totale liberté « .
Et bien je concède immédiatement que la chasse au criminel et au terrorisme est plus facile quand on ne respecte pas certains droits, mais je fais remarquer que les conventions de Genève garantissent les droits fondamentaux même en temps de guerre et que les sociétés civilisées ne devraient pas empiéter sur ces droits là.

Du reste, nous devons réaliser que la formulation des droits de l’homme et des libertés fondamentales vint après les atrocités de la seconde guerre mondiale. En Europe, il fut décidé que ces atrocités devaient être prévenues par tous les moyens. En conséquence, les 45 Etats membres du conseil de l’Europe ont signé et ratifié la Convention Européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Si nous mettons de coté cette convention, alors les terroristes auront gagné et désorganisé nos sociétés civilisées. Pour lutter contre le terrorisme, l’abandon de nos valeurs communes n’est pas la bonne solution, bien au contraire. Nous devons exporter ces valeurs des droits de l’homme, de démocratie et de force de la loi, et convaincre les autres nations et peuples que la prospérité, la stabilité et la paix peuvent aussi atteindre leur partie du globe.

Droits fondamentaux

Vous vous demandez pourquoi je ne parle pas avec plus de retenue de ces problèmes quelque peu politiques et sensibles. Après tout, EUROMIL représente les personnels militaires, et les soldats sont subordonnés aux politiques, n’est-ce-pas ? Certainement ! mais cela ne les rend ni aveugles, ni sourds, ni muets. Les soldats voient et entendent ce qui se passe dans le monde. Ils ont un cerveau pour penser et le droit, sinon le devoir, d’exprimer leurs inquiétudes, en respectant la primauté du politique et de la chaîne de commandement. Dans mon opinion, c’est une preuve sonnante de participation démocratique dans une société civile moderne que les soldats puissent exprimer leurs sentiments :

Vis a vis des évènements de Madrid et si les nationaux et les politiciens Européens serrent les rangs et se soutiennent mutuellement, Vis à vis de la possibilité d’une restriction des droits et libertés fondamentales du fait du terrorisme, surtout au détriment des forces de sécurité, Du fait que la réalisation ou l’évolution des droits fondamentaux pour les militaires puissent être remis à plus tard, voire remis en cause au profit de relations de type médiévales, Du fait qu’ils sont parfois exclus de la société civile qu’ils sont sensés défendre jusqu’au sacrifice suprême si nécessaire, Du fait qu’ils sont, in fine, comme traités en citoyen de deuxième catégorie.

Certains doutent que les soldats puissent avoir le droit d’exprimer leurs doléances, en particulier dans les moments sensibles. Et bien je fais référence au point de vue constamment répété par le Conseil de l’Europe sur la nature indivisible des droits de l’homme, civils, politiques, sociaux, économiques ou légaux. Le Conseil de l’Europe oppose qu’une exclusion de la société civile de ce type conduit inévitablement à l’injustice et l’instabilité. Cette approche renforce pleinement celle du credo d’EUROMIL des « citoyens en uniforme » qui, dans des circonstances normales, doivent être autorisés a participer à la vie de la société et d’exercer les droits civiques. Si cela n’est pas le cas, les militaires sont exclus de la société dans laquelle ils vivent. C’est comme dire à des enfants qu’ils peuvent aller jouer dehors alors que les portes et les fenêtres sont fermées. Ou, en référence à Harry Bellafonte: les soldats se voient remettre un récipient avec un trou dans le fond.
A cet égard, je dois dire que trop de gouvernements européens semblent oublier ce qui a été décidé au plan international et par Traités. Je parle de la Convention Européenne des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales, et en particulier de son article 11:
 » Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association , y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts « .

Bien entendu, je sais pertinemment que la suite de cet article permet aux états membres d’imposer des restrictions. Quoiqu’il en soit je n’ai pas à expliquer à l’auditoire qu’une restriction est quelque chose d’entièrement différent d’une interdiction absolue. Je n’arrive pas à comprendre pourquoi et comment trop de gouvernements européens peuvent s’éloigner de ce texte principal du Conseil de l’Europe et dénier à leurs soldats le droit fondamental d’association. En lieu et place d’un récipient troué, c’est remettre au soldat pas de seau du tout.

Portugal

Le Portugal appartenait à ces pays qui interdisait le droit d’association à ses soldats. Bien que la Convention fût signée le 9 novembre 1978, sans réserve ni observation, les militaires portugais ne pouvaient avoir d’association représentative.
Plus tôt dans mon discours, je parlais des visites que je fis ici pour assister nos collègues. Je me souviens encore le séminaire de l’ANS et CASMO en juin 1991 et les titres plutôt neutres des journaux. Cependant, les courriers d’officiers généraux aux éditeurs étaient très différents. Les autorités militaires de l’époque craignaient que les syndicats de militaires ne mettent en péril la hiérarchie des forces armées, que les grèves soient prévisibles et que les syndicats et l’anarchie prennent le commandement.

Depuis, on ne peut nier qu’il y a eu des différents entre la hiérarchie et les associations, et que dans quelques cas des mesures disciplinaires ont même été misent en oeuvre. Mais il serait difficile de soutenir que les associations ont réalisé la prophétie des autorités des années 90. Je voudrais dire que, tout au contraire, elles ont clairement montré leur loyauté envers le Portugal et ses forces armées. Tout comme leur attitude responsable au travers de la gestion des problèmes de ces forces armées. Ce doit être cette attitude de maturité et de professionnalisme qui a conduit le Parlement Portugais, à l’été 2001, à adopter plusieurs lois en faveur du droit d’association et de concertation des militaires. Mes sincères et chaudes félicitations ! Quelques trois années plus tard, j’ai cependant le sentiment que ces droits acquis ressemblent un peu au seau percé cité supra.

Observant les changements dont ils étaient porteurs à l’été 2001, je demande aux autorités portugaises de suivre la volonté politique du Parlement. De surcroît, je demande aux parlementaires portugais d’en superviser l’application. En particulier l’article 2 de la loi organique N°3 du 29 août 2001 qui défini le droit pour les associations d’être membre des conseils consultatifs, comités ou groupes de travail des forces armées. Ce même article précise que les associations ont le droit d’être consultées sur les thèmes professionnels, salaires et affaires sociales de leurs membres.

A mon grand regret, j’ai appris hier que le Portugal refuse la résolution européenne sur la sécurité et la santé au travail, et la protection sociale pour ses militaires. A cet égard, je rappelle le jugement de la cours de justice européenne (cas KREIL). Ce jugement indique que la politique sociale de l’Europe Unie inclue le secteur de la Défense. L’article 2 de la résolution européenne ne permet d’exclusion que dans des circonstances précises et les restrictions doivent être proportionnées et justifiées. La sécurité du travail, la santé et la protection sociale dans l’armée portugaise me semblent presque médiévales, voire criminelles. Les militaires portugais doivent être traités comme des citoyens en uniformes. Leurs associations ont d’excellentes idées sur la sécurité, la santé et la protection sociale au travail, tout à fait cohérentes avec la directive européenne.

En d’autres mots, et je ne peux le formuler différemment, il est grand temps qu’un système régulier et réglementé de concertation soit mis en oeuvre. Cela, et seulement cela pourra réparer « le trou dans le seau » des droits d’association et de concertation des militaires portugais. »

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