Le vétéran à la case départ

La République des Pyrénées – n° 18022 – Vendredi 13 février 2004

Le tribunal départemental des pensions militaires des Pyrénées-Atlantiques, placé sous la présidence de Gabriel Khaznadar, a décidé hier matin de renvoyer le dossier concernant Thierry Royaux, vétéran de la guerre du Golfe.
Le rapport sur la guerre du Golfe et ses conséquences sur la santé, confié au professeur Roger Salamon, directeur de l’unité Inserm U593 à l’université de Bordeaux II par le ministère de la Défense n’est pas terminé (voir notre édition du mercredi 11 février). Pour le tribunal  » il est difficile de prendre une décision tant que les conclusions de ce rapport ne sont pas connues. J’ai tendance à penser que la situation n ‘est pas mûre.Il est préférable de renvoyer cette affaire jusqu’à ce que nous disposions de tous les éléments, d’autant que le jugement fera jurisprudence  » a expliqué le magistrat. En effet, si Thierry Royaux obtenait gain de cause, il serait le premier militaire français à obtenir une pension qui reconnaîtrait ainsi qu’il est victime  » d’un syndrome du Golfe « . Des militaires britanniques et américains se sont vus déjà attribuer des subsides pour ce motif. En France, plusieurs affaires sont en cours d’instruction devant la juridiction pénale.

Reconnaissance de la nation

Accompagné de Me Pascale Camescasse, Thierry Royaux s’est présenté hier matin devant le tribunal départemental des pensions militaires des Pyrénées-Atlantiques avec tout un éventail des médailles décrochées glorieusement au cours de sa carrière : Croix de guerre étoile de bronze, défense nationale, Médailles d’Outre-Mer des anciens combattants de la libération du Koweit, et Titre de la reconnaissance de la Nation. Des « breloques » selon ses propres termes, qui attestent de son courage et de ses états de service. Il en est fier cependant. Mais il regrette que cette « reconnaissance » s’arrête là.Thierry Royaux est amer. On le serait à moins. Lui qui n’a pas hésité à risquer sa vie, se bat aujourd’hui pour obtenir une pension. Selon lui, et à l’instar de beaucoup de soldats français, anglais ou américains, il souffrirait du syndrome de la guerre du Golfe qui se traduit par  » des douleurs dorsales,musculaires, troubles du sommeil, de la mémoire, de l’humeur et une fatigue générale persistante. Un psychiatre du centre hospitalier des Pyrénées a diagnostiqué qu’il souffrait d’un état post-traumatique à la guerre du Golfe « . Tous ces maux lui pourrissent la vie.  » Il faut sans cesse prouver notre participation à ce conflit alors que le ministère de la Défense bloque toute information et fait état d’un stress de retour à la vie civile  » dénonce-t-il. La formule arracherait presque un sourire à l’ancien combattant, brigadier chef au 5e RHC, qui a opéré en Arabie Saoudite et en Irak. Il a participé notamment, au sein de la division Daguet, à la prise de l’aérodrome irakien d’Alsamana situé à 150 kilomètres à l’intérieur du territoire ennemi et assuré le contrôle d’un noeud de communication routière.  » Nous inhalions des gaz chimiques à base de pesticide et d’insecticide. Nous prenions toutes les quatre heures des cachets de pyridostigmine, antidote contre les gaz neurotoxiques et des pilules anti-sommeil. Des cocktails de vaccins nous ont été administrés. Les munitions utilisées étaient fabriquées à base d’uranium appauvri et nous nous trouvions à côté des puits de pétrole en feu « . « II a été soumis à des conditions de vie extrêmement dures. Il a affronté la chaleur extrême, le froid très vif, les vents de sable les pluies violentes. Il avait l’impression de subir une menace très forte et notamment celle des gaz et des tirs de Scuds » précise Me Pascale Camescasse.  » C’est là que j’ai laissé ma santé, ma vie sociale et familiale  » raconte-t-il.

40% d’invalidité

Thierry Royaux avait présenté une demande de pension d’invalidité le 27 juillet 1998  » parce qu’il souffrait de lombalgies et de névrose traumatique de guerre. Il a essuyé un refus  » précise son avocate. C’est pourquoi il a saisi le tribunal départemental des pensions militaires des Pyrénées-Atlantiques.
Aujourd’hui, l’ancien militaire bénéficie d’un contrat emploi consolidé. Il travaille au CAT Alpha. Son salaire s’élève à 5 200 F par mois. La Cotorep (commission technique d’orientation et de reclassement professionnel) lui a reconnu une invalidité de 40 % et lui a accordé un aménagement de son temps de travail.
Thierry Royaux attend avec sérénité le dépôt des conclusions de l’enquête épidémiologique qui doit se prononcer en juin 2004 lui qui s’est vu décerner une citation comportant l’attribution de la Croix de Guerre avec étoile bronze, compte tenu de  » son comportement militaire exemplaire et son très haut niveau opérationnel dans le cadre de l’opération Tempête du Désert « . N’empêche, il ne digère pas ce manque de reconnaissance de son pays qu’il a représenté dans une vraie galère :  » Dans le civil, dès qu’il y a un problème, un accident ou une catastrophe, une cellule psychologique est mise en place. Nous, on n’y a pas eu droit. Nous sommes revenus avec nos problèmes, nos peurs et nos angoisses  » regrette le vétéran palois.

300 demandes de pension

Compte tenu des plaintes d’anciens combattants conjuguées à l’existence sur le terrain de risques réels notamment chimiques, les Etats-Unis, le Canada et le Royaume-Uni ont été conduits à mettre en place des organismes officiels et à lancer des études épidémiologiques sur les troupes ou les affections qu’ils manifestaient.
Celles-ci ont été lancées en 1995 et 1997. La seconde portait sur 3 000 anciens combattants du Golfe et sur un groupe de témoins constitué de militaires n’ayant pas participé au conflit. L’ensemble de ces études a abouti au même type de conclusions. Elles font ressortir une plus forte incidence des problèmes de santé au sein du groupe des anciens combattants de la guerre du Golfe.

Maladies communes

Les pathologies recensées et constatées sont assez diverses mais les symptômes présentés paraissent tous correspondre à des maladies communes : troubles cognitifs (perte de mémoire, dépression, insomnie, maux de tête, ataxie (manque de coordination des mouvements), confusion. désorientation, étourdissements, troubles du raisonnement, impuissance sexuelle… Les conclusions actuelles sont celles d’une morbidité des anciens combattants de la guerre du Golfe sans que les symptômes observés puissent être médicalement justifiés par l’expression « syndrome de la guerre du Golfe ».

300 demandes de pension

En France, il a été établi que les anciens combattants se sont plaints mais beaucoup plus tardivement. 500 demandes de pensions au titre du Code des pensions militaires d’invalidité ont été demandées.
120 ont été concédées dont les 9/10ème pour blessure. Soucieux de répondre aux légitimes attentes des soldats ayant servi les intérêts de la nation, les membres de la commission de la défense nationale et les forces armées saisies de demandes visant à faire la lumière sur les circonstances exactes de l’engagement des militaires français ayant participé à la guerre du Golfe, ont décidé, le 2 octobre 2000. de créer une mission d’information composée de dix députés qui a procédé à de très nombreuses auditions afin de déterminer les risques auxquels les soldats auraient été exposés.

LES MILITAIRES CONTACTéS

Un questionnaire a été adressé à la moitié des 20 000 militaires français ayant servi dans le Golfe. Sur ces 10477 questionnaires, 6 146 ont été retournés et 5 469 ont pu être exploités. Dans l’armée de terre, 50 % des personnes contactées, soit 20 %, ont répondu. Parmi eux, 86 % étaient présents sur le terrain en février 1991 au moment du déclenchement de la guerre. Neuf militaires sur dix ont été en contact avec des tempêtes de sable et 80 % indiquent avoir connu des alertes chimiques, ce qui ne signifie pas pour autant qu’ils aient été exposés à des agents toxiques. Plus des trois quarts (79 %) ont été vaccinés avant ou pendant leur mission et près de la moitié (46 %) déclare avoir pris un antidote contre les gaz neurotoxiques.

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