Intervention de M. Ver


M. Antonin Ver
,

député

Mesdames, messieurs, lorsque le 2 novembre 1971, dans cette enceinte, M. le ministre d’Etat chargé de la défense nationale annonça la présentation prochaine d’une loi portant statut de la fonction militaire, cette initiative, depuis longtemps souhaitée, fut considérée comme heureuse.

Certains des textes encore en vigueur, datant de 1832 et de 1834, ne pouvaient que paraître archaïques et inadaptés à la société dans laquelle nous vivons et aux conceptions de l’homme moderne. Il était donc nécessaire d’actualiser et d’adapter les principes qui régissent l’ensemble des personnels militaires et, d’une façon générale, de tous ceux qui, hommes ou femmes, font partie des cadres de l’armée.

Les fils conducteurs de cette évolution s’inspirent pour beaucoup d’entre nous premièrement, d’une libéralisation raisonnable et possible de la discipline faisant oublier que « le soldat n’était que matricule », comme aux temps lointains de mes vingt ans ; des progrès ont été déjà réalisés en ce sens dans les esprits et dans les faits ; deuxièmement, d’une harmonisation à rechercher, dans le maximum des cas, entre les fonctionnaires civils et leurs homologues militaires ; troisièmement, d’une revalorisation de la condition militaire.

Il est exact qu’aujourd’hui, dans les trois armées, le recrutement a baissé à tous les niveaux, quantitativement et parfois qualitativement, alors que les besoins techniques nécessitent un personnel en nombre suffisant et de plus en plus qualifié. Partant de cette vérité, il ne semble pas a priori, et sans tenir compte des amendements qui, je l’espère, seront acceptés au cours de la discussion, que le projet actuel de statut puisse efficacement contribuer à relever le prestige et l’attrait du métier militaire auprès des jeunes Français car il parait en retrait sur les déclarations d’intention figurant dans l’exposé des motifs et à l’article 1er. Je souhaite donc que les améliorations apportées concrétisent vraiment, comme cela a été dit au Nouvel an, « le souci du Gouvernement de faire bénéficier les militaires du progrès matériel de la nation ».

J’ai reçu, cette dernière semaine surtout, de nombreux militaires actifs ou retraités et vous me permettrez, monsieur le ministre d’Etat, de me faire a cette tribune l’écho, limité par le temps de parole qui m’est imparti, de leurs doléances.

El d’abord, comme vous l’avez évoqué tout à l’heure, l’insistance des intéressés en faveur de la primauté du législatif sur le réglementaire. le premier ayant un caractère officiel et général, voire péremptoire, le second se prêtant aux interprétations avec tout ce que cela peut présenter d’appréciations diverses et pas toujours concordantes. Le syndicalisme demeurant interdit à la profession militaire, ses membres ne sauraient trouver de meilleur soutien que dans le Parlement et dans la loi. Celle-ci, dans ses décrets d’application, devra donc être rigoureuse et précise.

Les arguments invoquant le « maintien des grands principes qui régissent notre droit » ou les « difficultés de discerner avec netteté les dispositions qui sont du domaine de la loi de celles qui relèvent du pouvoir réglementaire » apparaissent trop vagues ou ignorants des textes législatifs anciens ou actuels sur les mêmes matières. Puisque les intéressés préfèrent la garantie de la loi à celle du règlement, et je les comprends, pourquoi ne leur donnerait-on pas celle-là, comme le sollicitait d’ailleurs, le 2 novembre 1971, à cette même tribune, M. Rivière, rapporteur du budget des armées ?

L’article 6, sur la liberté d’expression, a également retenu mon attention. Quand on constate la très grande liberté d’expression dont jouissent les militaires d’autres nations aussi soucieuses que quiconque de discipline et d’efficacité – en particulier par la lecture de certains articles parus dans l’ U S. Naval Institute Proceedings – on n’a pas le sentiment de demander l’impossible, en souhaitant, pour les militaires français, des dispositions plus libérales que celles du projet. Avec la suppression de certaines revues spécialisées ne redoute-t-on pas que culture, au sens noble du terme, ne s’arrête en partie à la porte de nos casernes, freinant ainsi l’enrichissement de l’esprit et aboutissant à la stérilisation progressive de la pensée militaire en France ? Une liberté accrue, consentie dans le respect des lois et de la morale ce qui n’exclurait en rien le maintien de la discipline répondrait a un besoin d’information honnête, de dialogue pédagogiquement et socialement indispensable, d’échanges d’idées constructives et saines.

La réglementation limitative actuelle présente en outre un caractère désobligeant dans cette forme de tutelle qu’elle impose aux cadres de l’armée, soumis à l’autorisation du ministre quant à leurs écrits, conférences ou exposés.

Surprenante parait également la discrimination selon que l’auteur d’un écrit ou d’une conférence est fonctionnaire civil ou militaire. A une époque où la défense nationale est intimement liée aux problèmes économiques et sociaux, une collaboration étroite s’impose entre les diverses autorités responsables. Il est à craindre que ces contacts bénéfiques soient « déphasés » lorsque les autorisations sollicitées se feront trop attendre, au fatal détriment d’une organisation efficace et rationnelle de l’ensemble.

L’article 9 traite des groupements professionnels militaires qui ont déjà été longuement évoqués à cette tribune. Le droit d’association prévu dans la Constitution est jugé incompatible avec les règles de la discipline militaire. Comme l’a dit M. le rapporteur, cette façon de juger a été contestée par M. le doyen Vedel, professeur d’économie et de sciences sociales à l’université de Paris. M. Vedel admet que le législateur peut interdire aux militaires de former des groupements qui, sous couvert de la forme empruntée à la loi du 1er juillet 1901, équivaudraient à des syndicats avec leurs traits spécifiques – droit de grève, manifestation de masse, discipline syndicale substituée en cas de crise à la discipline de fonction. Mais si ce législateur interdisait aux militaires de former des associations ayant pour objet la défense de leurs intérêts professionnels sous des formes ne comportant aucun péril pour la discipline, cette conception semblerait contraire à l’esprit de la Constitution car il s’agirait alors de la suppression totale de l’exercice du droit d’association et non de sa réglementation.

Il est donc souhaitable, à mon avis, que sur ce point précis de droit les amendements déposés soient adoptés.

L’article 18 relatif aux rémunérations semble trop axé sur le système indemnitaire, comme l’ont répété de nombreux orateurs. A l’instar des membres de la fonction publique, les militaires de carrière désirent une rémunération permanente ordonnée sur un traitement de base, des indices, l’habituelle retenue pour le service des pensions et des indemnités justifiées par les sujétions auxquelles ils sont soumis. En cours de carrière, la solde mensuelle perçue par les officiers devrait être la même pour tous ceux qui ont acquis les mêmes titres ou diplômes après l’accès au premier grade d’officier.

L’article 24 sur la notation devrait, à mon sens, et comme cela se passe pour les fonctionnaires civils, prévoir la communication de la note dans des conditions à fixer par décret.

Enfin, j’exprimerai un souhait sans incidence financière qui satisferait l’amour-propre des sous-officiers, en particulier des adjudants-chefs et des adjudants qui plafonnent souvent, et de longues années, à ce grade : créer pour eux un « corps d’officiers adjoints », rôle qu’ils assumèrent si souvent dans les moments dramatiques de notre histoire.

Telles sont, monsieur le ministre d’Etat, les quelques remarques que je voulais présenter afin que nos militaires, toujours prêts à servir, retrouvent par la loi la sérénité un instant perdue, l’équilibre indispensable à leur force et la confiance dans leur avenir et dans la nation. ( Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ).

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