Intervention de M. d’Aillières


M. Michel d’Aillières
,

député

Mesdames, messieurs, le vote d’un texte comme celui qui nous est présenté est un acte important puisqu’il doit fixer les conditions de vie, les obligations, les garanties et les carrières d’un grand nombre de Français.

Les fonctionnaires civils ont vu leur situation codifiée par un statut de la fonction publique. Il était normal que le Gouvernement et le Parlement se préoccupassent d’adopter la même attitude envers d’autres Français qui sont, eux aussi, au service du pays, et souvent dans des conditions plus précaires.

C’était d’autant plus nécessaire que, depuis la fin de la dernière guerre mondiale, l’armée française a traversé, du fait de circonstances dont elle n’était aucunement responsable, des périodes difficiles qui ont provoqué en son sein un malaise certain.

Les militaires d’active, à tort ou à raison, ont un peu l’impression d’être en marge de la nation, d’autant que les conditions matérielles qui leur sont faites leur confèrent souvent un niveau de vie inférieur à celui de beaucoup d’autres Français dont ils se considèrent à juste titre comme les égaux.

Il est certes, mes chers collègues, assez normal que dans les périodes de paix, comme celle que nous vivons heureusement, le pays s’interroge sur la nécessité des dépenses militaires et que l’armée se pose des questions sur la mission qui lui est confiée. C’est précisément le rôle du Gouvernement et du Parlement que de répondre avec précision aux questions posées.

Lors de la discussion des lois de programme, et chaque année au cours des débats budgétaires, nous avons, mes amis républicains indépendants et moi-même, rappelé qu’il était nécessaire que la France, comme toutes les autres nations, fût dotée d’une défense et nous avons justifié la politique qui était suivie dans ce domaine en matière d’armement.

Mais nous avons aussi insisté sur le fait que la possession d’armes modernes et nucléaires ne pouvait suffire à rendre crédible cette politique et qu’il était indispensable que les hommes chargés de l’exécuter bénéficiassent de conditions de vie et de travail normales.

Aussi avons-nous accueilli avec faveur le dépôt de ce projet de loi qui devait définir ce qu’on appelle communément « la condition militaire ».

Au sein de la commission de la défense nationale, nous avons étudié très attentivement le texte qui nous est soumis, conscients du fait qu’il ne fallait pas décevoir les espoirs qu’il apportait.

Je ne procéderai pas à un examen du projet, que notre rapporteur a présenté avec beaucoup de talent et de précision, mais je voudrais indiquer notre position sur quelques points qui me paraissent essentiels.

D’abord, je vous félicite, monsieur le ministre d’Etat, d’avoir réussi a remplacer les très nombreux textes qui, depuis cent quarante ans, régissaient les armées et dont beaucoup présentaient un caractère certain d’anachronisme, par une codification plus claire et plus moderne.

En outre, il est vrai que votre texte définit plus clairement qu’auparavant la mission des militaires, leurs devoirs, les servitudes de leur métier et, en contrepartie, les garanties qu’ils sont en droit d’attendre.

Ce projet de statut contient, à côté d’une relative modernisation des règles antérieures – bien timide en ce qui concerne la liberté d’expression et le droit d’association – un certain nombre d’innovations intéressantes, notamment au sujet des garanties auxquelles ont droit les militaires en contrepartie de leurs obligations. Il convient de noter que, pour la première fois, de telles dispositions sont insérées dans un texte de loi.

Intéressante est aussi la création d’un pécule qui peut être accordé aux militaires faisant une carrière courte. Comme ce problème vient d’être évoqué, je n’insiste pas.

Mais. après ces approbations, je vous ferai part de nos réserves. La plus importante porte sur l’article 3 qui donne au Gouvernement la possibilité de fixer par décret les statuts particuliers des militaires de carrière, dérogeant ainsi au statut général qu’on nous demande de voter.

Je dois dire que sur ce point – et sur ce point seulement, je vous rassure – je rejoins les observations de nos collègues du groupe communiste tout en regrettant que, dans les pays ou leurs amis sont au pouvoir, on n’ait pas à ce point le souci des prérogatives parlementaires.

Je n’entrerai pas dans une discussion juridique sur les limites respectives du domaine législatif et du domaine réglementaire – d’autres que moi le feront avec une beaucoup plus grande compétence au cours de la discussion – mais je me demande à quoi servent cette discussion et ce vote si l’administration peut ensuite, sans consulter le Parlement, modifier les règles essentielles posées par la loi.

Si nous refusons cette interprétation, ce n’est pas pour limiter les prérogatives gouvernementales, mais parce que nous voulons que ce texte ne soit pas une simple déclaration d’intention et que les militaires puissent croire à la réalité et à la continuité de ce qui leur est garanti.

Je sais. monsieur le ministre, que vous consulterez le conseil supérieur de la fonction militaire, dont il est beaucoup question au cours de ce débat. Tout en considérant la création de cet organisme comme un net progrès dans la voie de la concertation, je n’en surestime pas la valeur car il n’a – et c’est normal – qu’une voix consultative. Nombreux sont ceux qui souhaiteraient que, pour le composer, le ministre puisse choisir, non sur des listes préétablies, mais sur des listes d’élus de chaque catégorie de personnel, afin que les représentants aient une compétence sur les problèmes soumis au conseil.

M. le ministre d’Etat chargé de la détente nationale . Monsieur d’Ailllières, me permettez-vous de vous interrompre ?

M. Michel d’Aillières . Volontiers, monsieur le ministre.

M. le président . La parole est à M. le ministre d’Etat, avec la permission de l’orateur.

M. le ministre d’Etat chargé de la défense nationale . Je vous remercie, monsieur le député, de votre éloge du conseil supérieur de la fonction militaire. C’est moi qui suis à l’origine de la création de cet organisme : par conséquent, chaque fois qu’on le loue, nous prenons, M. le secrétaire d’Etat et moi-même, notre part de compliments.

Je vous signale que le ministre ne nomme personne. Les membres du conseil supérieur de la fonction militaire sont tirés au sort.

Le bruit se répand, je ne sais pourquoi, que le conseil supérieur de la fonction militaire est composé de créatures du ministre. Mais le ministre ne fait qu’entériner le résultat du tirage au sort qui se déroule dans des conditions de très grande impartialité et selon une procédure complexe afin que chaque corps soit représenté.

Je vous prie donc de considérer, monsieur le député, que le ministre ne nomme personne, qu’il a tout juste le droit de présider – ce qui est déjà beaucoup – mais qu’il doit s’incliner devant les résultats du tirage au sort. L’expérience a d’ailleurs montré que cette façon de procéder n’est pas plus mauvaise qu’une autre.

M. Michel d’Aillières . Je me suis sans doute, monsieur le ministre d’Etat, mal fait comprendre. Je souhaite seulement que le tirage au sort ait lieu entre des candidats élus par chaque catégorie de personnel, ce qui n’est pas le cas actuellement.

M. Alexandre Sanguinetti . Avec campagne électorale !

M. Michel d’Ailllières . Comme cela a été fait pour les ingénieurs, les médecins, les contrôleurs, nous demandons que les statuts particuliers puissent être soumis à un certain contrôle du Parlement. Cette question est, pour mes amis et moi-même, particulièrement importante.

Dans un autre domaine, il a maintes fois été proclamé que les militaires de carrière et les retraités officiers et sous-officiers avaient droit aux mêmes avantages de traitement que les fonctionnaires civils. Hélas ! cette formule est restée souvent sans suite pratique.

Depuis de nombreuses années, nous demandons, comme d’ailleurs des collègues de tous les groupes, que des dispositions soient prises pour améliorer les soldes, rattraper le retard pris par rapport aux civils, notamment pour les sous-officiers, et prendre en considération les sujétions particulières de la carrière militaire.

Certes, il serait très injuste de ne pas tenir compte des efforts qui ont été faits pour remédier aux situations les plus défavorisées et combler certains retards, mais des problèmes n’ont pas encore été résolus sur lesquels j’ai déjà eu l’occasion, monsieur le ministre d’Etat, d’appeler votre attention, qu’il s’agisse de l’indemnité d’expatriation pour ceux qui ont servi en Allemagne ou des primes demandées par les militaires stationnés dans le Pacifique. Dans ces deux cas, les solutions imposées aux militaires sont différentes de celles dont ont bénéficié les civils et cela n’est pas normal.

Je sais bien qu’il n’est pas possible de tout mettre dans la loi, mais, à côté du rappel légitime des obligations et des servitudes militaires, il n’est pas fourni beaucoup de précisions sur les garanties accordées en contrepartie : droit au logement, problème des rémunérations, que le général Stehlin a largement évoqué et sur lequel je ne reviendrai pas, indemnités pour sujétions spéciales, définition de la pyramide des grades, règles d’avancement, sans que cette énumération soit limitative.

Je comprends que ces questions, qui intéressent au plus haut degré les officiers et sous-officiers, seront réglées dans des statuts particuliers et cela aggrave mes craintes. En effet, lorsque des mesures, prises par la voie réglementaire, paraissent peu conformes aux intérêts des fonctionnaires, ceux-ci ont la possibilité de manifester leur opposition par l’intermédiaire des syndicats et de recourir – ils ne s’en privent pas – à des mesures de pression, telle la grève. Les militaires n’ont pas les mêmes droits et ils pensent, avec raison, que leurs intérêts fondamentaux seront mieux sauvegardés par le Parlement que par une administration anonyme.

Avec la majorité de la commission de la défense nationale, nous nous sommes efforcés d’améliorer ce texte pour qu’il ne soit pas, je l’ai déjà dit, une simple déclaration d’intentions et qu’il insiste sur l’aspect humain qui, dans ce problème. est à nos yeux au moins aussi important que les modalités techniques.

Ceux qui ont choisi la carrière militaire l’ont fait parce qu’ils avaient un certain idéal et que pour eux le service du pays était une mission particulièrement noble. Ils acceptent que ce service comporte des restrictions et des servitudes mais ils estiment, comme nous avons tenu, avec la commission, à le rappeler à l’article 1er du projet de loi, qu’ils ont droit au respect des citoyens et à la considération de la nation.

Cela comporte, bien sûr, l’amélioration des conditions matérielles, mais aussi et peut-être surtout un effort de tous les responsables pour que la carrière militaire soit considérée à sa juste valeur par les Français et retrouve dans les aspirations des jeunes la place qui lui revient.

Je souhaite, monsieur le ministre, que vos réponses à nos questions nous permettent d’approuver ce texte qui ne doit pas décevoir l’attente que beaucoup ont mise en lui. ( Applaudissements sur les bancs des républicains indépendants et sur divers bancs ).

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