Ça passe ou ça casse, « in cha’Allah » !

Sans qu’il soit nécessaire d’être un expert en pathologie des hautes altitudes, il est possible d’être interpellé par l’accident qui vient de coûter la vie à deux stagiaires étrangers de l’école de Saint-Cyr.
La ministre de la défense, ainsi que divers commandants impliqués ont déjà déclaré que seule la fatalité endosserait la responsabilité du drame.
Il eut été prudent d’attendre les résultats de la procédure judiciaire, censée faire toute la lumière, et ceux de l’enquête de commandement dont on n’attend qu’un simple éclairage, disons convenable.
Aux certitudes immédiates des autorités, il convient de préférer la conviction du juge, même s’il faut être patient et s’interroger.

En tout premier lieu, il n’est pas interdit de se poser la question de la présence d’un soutien santé adéquat sur les lieux mêmes de l’opération. Après tout il s’agissait là d’une activité à risques multiples (chutes, malaises, etc.) et spécifiques (mal des montagnes, gelures, hypothermies, etc.). Un exercice extrême peut-il s’affranchir d’un soutien médical extrême ?
Non seulement le médecin spécialisé dans l’intervention en montagne est habilité à reconnaître et traiter différents symptômes que ses confrères ne rencontrent jamais, mais il est pratiquement le seul à pouvoir constater un décès par hypothermie.
Il faut savoir que cette constatation est pratiquement impossible, et que, même en présence d’un arrêt cardiaque durable, la réanimation est envisageable longtemps avec des moyens adéquats. On cite le cas d’une hypothermie à 14° et d’un arrêt cardiaque d’une heure, réanimés par les équipes spécialisées (certes dans des services hospitaliers).
Ces équipes ont inventé l’adage selon lequel:  » personne ne peut être considérer comme mort de froid tant qu’il n’est pas réchauffé… et mort « .
De surcroît, seuls de tels spécialistes sont utilement capables de mettre en oeuvre les matériels spécifiques au traitement des hypothermies constituées. Il s’agit d’équipements allégés dont il ne semblerait pas incongru de prévoir la présence sur les lieux d’exercices de cette nature.
Au cas où…

Le fait que la plupart des victimes masculines (5 sur 7 dont deux décès) étaient d’origine africaine mesure toute l’importance de la période d’acclimatement aux conditions particulières des exercices en montagne. Tout laisse supposer que cette phase d’adaptation a sans doute été trop brève pour des physiologies exotiques.

Chaque stagiaire devait assurer trois adaptations concomitantes et indispensables:

Une adaptation au froid: acclimatement physiologiquement identique à celui des hautes températures sauf que là il s’agit de garder les calories alors que l’autre il faut s’en débarrasser à tout prix.

Une adaptation à l’anoxie: car l’oxygène diminue au fur et à mesure que l’on s’élève.

Une adaptation à l’effort particulier de la marche en montagne ou dans la neige (40 cm de neige fraîche plus vent glacial le cas présent). Ce qui pourrait expliquer que les stagiaires étaient épuisés et trempés (dixit ministère de la défense). Et l’humidité diminue considérablement la restituer au froid.

La formation théorique a-t-elle été suffisante ? Quand on entend le commandant de l’école, de retour de l’hôpital, déclarer que les survivants lui avaient surtout demandé ce qui s’était passé, il est logique d’en déduire que les stagiaires n’avaient pas une notion précise des risques encourus.
Or la formation est indispensable pour guetter la survenue des premiers signes de l’hypothermie, avant qu’elle ne pose un problème plus grave. Les montagnards parlent de  » veille constante les uns sur les autres ». Un peu comme au cours d’une plongée, ou même en ambiance thermique élevée. Dans ces activités comme en situation climatique glaciale, ce sont bien souvent des bizarreries de comportement qui attirent l’attention.

Enfin, la variation climatique brutale et imprévisible constitutive de la fatalité, ne lasse pas d’étonner.

Est il réellement surprenant de trouver une tempête de neige à 2500 mètres d’altitude dans les Alpes de Hautes Provence en plein mois de janvier ?

Eusse-t-elle été moins brutale, que pouvait faire une colonne de 95 piétons dans l’obscurité, et avait-elle d’autres solutions que de s’enterrer ?

Survienne l’accident, est-il normal que les secours ne puissent intervenir dans cette tempête ?

La réponse est non, trois fois non.

***

La fatalité n’intervient réellement qu’en l’absence de prise en compte du prévisible. Il semble que différents facteurs, humains, matériels et climatiques n’ont pas été « intégrés » à leur juste valeur prédictive. Observons à ce sujet que la météorologie locale se défend de n’avoir pas annoncé l’évènement climatique, la veille.

Le commandement a immédiatement déclaré que cet accident, pour regrettable qu’il soit, ne remettait pas en question les exercices du même type. Nous ne pouvons qu’espérer une meilleure appréciation des risques et l’interruption de l’exercice dès que ces risques ne peuvent être compensés par des moyens de secours, pré positionnés ou en alerte.
Les règles de sécurité sont contraignantes et il n’est pas évident que les périodes d’entraînement coïncident toujours parfaitement avec les possibilités climatiques. Mais toute règle de sécurité est le témoin fantomatique d’un ou de plusieurs drames antérieurs.

Il ne semble d’ailleurs pas suffisant de tirer les enseignements de tel ou tel accident avéré pour qu’ils ne se reproduisent pas. Il faut sans doute étudier chaque évènement, quelle qu’en soit la gravité, et éditer une sorte de recueil des accidents évités, en partant du principe que ce n’est pas toujours la fatalité qui tue, mais souvent la chance qui sauve.

Renaud Marie de BRASSAC

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