Même formulé il y a dix-huit ans, l’esprit de ce discours,
prononcé en 1985 six mois après la fameuse histoire du
Rainbow Warrior, par l’un des prédécesseurs de l’actuel
directeur du Cabinet n’en est pas moins toujours d’actualité.
En effet, il fait très bien ressortir, et d’emblée, que
le/la ministre est tout et que les membres de son cabinet
(l’équipe restreinte autour de lui/d’elle à ne pas
confondre avec la direction d’administration centrale ou des grands
services) ne sont rien sans l’aval de cette autorité
politique.
Elle seule donne le feu vert avec sa délégation de
signature publiée au JORF dans les domaines qu’elle autorise,
à l’exception toutefois des lois et des décrets,
règle valable pour l’ensemble des départements
ministériels.
A titre d’exemple courant, s’agissant du prix « Lazare Carnot »
(créé le 2 février 1933 au titre de la DGA), d’un
montant total de 33 000 euros pour l’année 2003, on peut lire
dans le JORF du 13 décembre 2002, p.20.591 :
« pour la ministre et par délégation
le directeur du cabinet civil et militaire
P. MARLAND »
L’auteur de la magnifique page d’écriture reproduite in extenso
ci-dessous est Grand Commis de l’Etat, Patrick Careil connaissait
déjà les arcanes du boulevard Saint-Germain avant son
arrivée à l’Hôtel de Brienne, siège du Cabinet
du Ministre de la Défense qui, géographiquement, fait
partie de l’îlot Saint-Germain.
En effet, il y avait effectué son service militaire, très
précisément à la DSF (direction des services
financiers), clef de voûte de tout l’ensemble, l’argent restant le
nerf de la guerre.
A nos lecteurs le soin d’apprécier à sa juste valeur la
forme et le fond de ce discours fort instructif qu’il faut saisir au
deuxième degré ; qu’ils sachent qu’à sa lecture,
certains hauts fonctionnaires avaient ri un peu jaune…
Annie ROMEIRO
VOEUX AU MINISTRE, PAR LE DIRECTEUR DE CABINET
Monsieur le Ministre, Madame et Monsieur les Secrétaires d’Etat,
J’ai conscience de l’honneur qui m’Incombe en étant aujourd’hui le
porte-parole de tous ceux, femmes et hommes, civils et militaires, qui
ont le privilège de travailler sous votre autorité directe
et en particulier l’interprète de mes collègues, M. le
Contrôleur Général Pellan et M. René Forgues.
Exercice traditionnel, la présentation des voeux est à
certains égards archaïque : pourquoi à la fin de
l’année et pas à la fin du mois, de chaque saison, ou de
l’été ?
C’est en tout cas un genre conventionnel qui ne se prête
guère à l’originalité.
On peut, de ce point de vue, envier ceux qui auront la chance de se
livrer à cet exercice dans les premiers jours de janvier 2000 car
ils pourront célébrer à la fois la fin d’une
année, d’un siècle et d’un millénaire… Mais, pour
nous, à la Défense, 2000 c’est demain avec tous les
programmes que nous lançons maintenant et qui verront le jour
à cette échéance.
Aujourd’hui, je me contenterai d’évoquer dans ces bilans et
perspectives trois points :
le rôle d’un cabinet ministériel ;
la spécificité du Cabinet du Ministre de la
Défense ;
l’originalité de l’année 1985 pour le Cabinet.
Le rôle d’un Cabinet ministériel est souvent mal
perçu, parfois exagérément critiqué, parfois
aussi très surestimé.
II convient tout d’abord de rappeler qu’un cabinet n’a pas d’existence
juridique. Si la Constitution organise la répartition des
tâches et des responsabilités entre le Ministre et son
Administration, elle ne mentionne jamais la notion de cabinet, qui ne
possède en tant que telle ni d’autorité, ni de
responsabilité. Il n’existe qu’au travers la personne du Ministre
à laquelle il est indissolublement lié.
Un cabinet c’est donc, d’abord et avant tout, ce que le Ministre veut
qu’il soit. Certains responsables gouvernementaux attendent de leurs
cabinets qu’ils les déchargent de la gestion quotidienne, d’autres
au contraire souhaitent que rien ne se fasse hors de leurs directives
générales ou particulières. Mais, même si
chaque Ministre a ses méthodes personnelles de travail, il reste
qu’il existe des principes de base.
Le premier et le plus fondamental d’entre eux est la transparence : seul
le Ministre a une légitimité démocratique, en tant
que membre du Gouvernement, désigné par le Président
de la République et responsable devant le Parlement, à
prendre des décisions et à donner des ordres à
l’administration qu’il dirige comme le prévoit la Constitution.
Dès lors, il est essentiel que le Cabinet ne soit pas un
écran entre le Ministre et son Administration. Transparent, il
doit l’être totalement dans la remontée de l’information des
responsables administratifs vers le Ministre. C’est indispensable pour
que le Cabinet puisse jouir de la confiance du Ministre, sans laquelle il
ne saurait exister et de la crédibilité auprès des
grands subordonnés dont il a besoin pour être efficace. Le
Cabinet doit être aussi, mais de manière différente,
transparent dans la transmission de la pensée du Ministre à
ses collaborateurs administratifs.
La transparence dans ce sens correspond au rôle de « porte
voix », voire d’amplificateur du Ministre que doit jouer le Cabinet
qui fera d’autant mieux exécuter les décisions
ministérielles, qu’il en aura expliqué la logique et
surtout la finalité ; mais transparence plus limitée dans
la mesure où le Ministre peut ne pas souhaiter que
l’évolution de sa réflexion, que les raisons réelles
de ses décisions, soient explicitées.
Ce point mérite d’être souligné : les membres du
Cabinet ne sont, ne doivent en aucun cas, être des
représentants de telles ou telles parties du Ministère
auprès du Ministre. Ils sont des collaborateurs directs et
personnels du Ministre.
Dès lors, bonne ou mauvaise, la décision n’a pas à
être atténuée, complétée ou
renforcée, elle ne peut être qu’exécutée dans
son état ; toute altération de la pensée du Ministre
serait un détournement inacceptable car les membres du Cabinet
n’ont pas de légitimité propre : ils procèdent du
Ministre, ils n’existent que par et pour lui, ils ne dépendent que
de lui.
Le deuxième rôle du Cabinet est évidemment de
conseiller le Ministre, et de faciliter sa tâche.
Conseiller le Ministre signifie d’abord de lui rassembler le maximum
d’informations pour lui permettre de prendre une décision en
l’éclairant sur toutes les conséquences de son choix.
Conseiller le Ministre veut dire imaginer d’autres solutions que celles
présentées par les services pour élargir son espace
de liberté.
Conseiller le Ministre, c’est aussi faire preuve d’initiatives en lui
suggérant des actions qui n’ont pas été
envisagées par l’Administration.
Conseiller le Ministre, c’est enfin et surtout analyser les dossiers en
fonction des critères politiques généraux, de
l’action du Gouvernement, et particulier au style et à la
personnalité du Ministre.
A ce titre, il est incontestable que dans un Cabinet on participe
à l’action politique du Gouvernement du moment et qu’on ne saurait
se limiter à un travail administratif d’étude des affaires.
Le Cabinet n’a pas vocation à faire à la place des services
l’instruction des dossiers.
Mais le Cabinet du Ministre de la Défense, s’il est régi
par des principes fondamentaux, est unique dans le système
français.
Il est en effet composé de deux parties fonctionnant de
manière différente :
le cabinet civil composé de conseillers techniques,
indépendants les uns des autres, même s’ils travaillent en
liaison étroite entre eux ;
le cabinet militaire qui, conformément aux règles de
l’institution militaire, est hiérarchisé et dont toutes
les cellules sont placées sous l’autorité d’un chef
unique, en l’occurrence l’Amiral Goupil.
Ce double système, avec une partie fonctionnant en « ligne
» et une partie « en colonne » est très
spécifique à la Défense. Même s’il existe
ailleurs des cabinets militaires, Elysée, Matignon, Dom-Tom,
Coopération, ils ne sont pas comparables à celui de la rue
Saint-Dominique car ils n’ont pas une importance équivalente.
Cette formule est aussi relativement nouvelle puisque, jusqu’à
Michel Debré qui les a fusionnés, les Ministres de la
Défense avaient deux cabinets distincts.
Si, à l’expérience, cette fusion est une réussite,
c’est parce qu’il n’y a aucune étanchéité entre les
deux parties du Cabinet, mais au contraire des liens étroits et
constants entre civils et militaires, grâce notamment à un
véritable réseau d’amitiés mis au service d’un
travail réalisé dans le souci constant d’être le plus
utile possible au Ministre.
S’il est bien un endroit où chacun a conscience que le travail
individuel se fond indissolublement dans l’effort collectif, c’est bien
ici.
L’année 1985 fut pourtant éprouvante, Monsieur le Ministre,
pour votre Cabinet.
Placé au centre d’une crise, dont on trouvera peu de
précédent, qui a affecté le Gouvernement et
préoccupé l’institution militaire, le Cabinet a su faire
preuve d’une sérénité, au moins apparente, d’une
totale disponibilité et d’une loyauté sans faille à
l’égard de vous-même comme de votre
prédécesseur.
Malgré le surcroît de charge de travail, malgré la
tension nerveuse, le Cabinet est resté profondément uni,
solidaire, et a manifesté une humeur tranquille, ne perdant jamais
le sens de l’humour et du relatif, même dans les instants les plus
difficiles.
Je voudrais enfin dire que je crois qu’en quelques semaines, la fusion
entre les collaborateurs de votre prédécesseur, que vous
avez conservés, et ceux qui vous entouraient dans vos
précédentes fonctions, que vous avez amenés avec
vous, a été totalement réalisée. Qu’il soit
ici rendu hommage aux uns et aux autres pour avoir réussi cette
osmose afin que vous disposiez d’une équipe unie et unique.
Le Cabinet n’est que le reflet du Ministre, faire l’éloge de
l’atmosphère qui règne parmi nous, c’est mettre en relief
implicitement vos qualités, votre capacité à faire
travailler ensemble un groupe de femmes et d’hommes, de civils et de
militaires, animés par le seul souci d’être utiles au pays.
En cette aube d’une année 1986 indéchiffrable,
imprévisible, mais n’est-ce pas le propre de toutes les nouvelles
années, nous vous prions, Monsieur le Ministre, Madame et Monsieur
les Secrétaires d’Etat, d’accepter tous nos voeux pour une
année heureuse à la fois sur le plan professionnel, de vos
responsabilités publiques et sur le plan personnel de vos vies
privées.