Question écrite N° 21685 de Mme Tanguy Hélène (Union pour un Mouvement Populaire – Finistère) publiée au JO le 07/07/2003 page 5325
Mme Hélène Tanguy appelle l’attention de M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l’état et de l’aménagement du territoire sur l’application de l’article 3, alinéa 4 du décret-loi du 29 octobre 1936 relatif au cumul de retraites, de rémunérations et de fonctions des agents publics. Cet article prévoit qu’il est interdit aux agents publics, tels que les enseignants en droit, de donner des consultations, de procéder à des expertises et de plaider en justice dans les litiges intéressant les administrations visées à l’article 1er à moins qu’ils n’exercent leurs fonctions à leur profit. L’article 1er vise toutes les personnes morales de droit public ainsi que les organismes de droit privé dont le fonctionnement est assuré à plus de 50 % par des subsides publics (SEM, associations subventionnées…). Le champ de l’interdiction est extrêmement large et le non-respect de cette interdiction lourdement sanctionné : retenues sur salaire et sanctions disciplinaires (art. 6 du décret-loi). Le décret-loi de 1936 ne semble pourtant plus, sur ce point, répondre aux nécessités de notre société moderne comme le montre le rapport réalisé en 1999 par le Conseil d’état, qui critique l’archaïsme de ce texte. L’activité des enseignants, particulièrement ceux qui enseignent le droit public, est ainsi gravement compromise par une règle sévère qui les oblige à refuser un très grand nombre d’affaires et à ne traiter que des affaires pour le compte des personnes visées à l’article 1er, en contradiction avec le principe de l’indépendance des avocats et des professeurs d’université. Cette situation profite largement à de nombreux cabinets officiant en droit public car les avocats qui les composent ne sont presque jamais des agents publics. Au surplus, il semble que cette interdiction n’existe pas dans de nombreux autres pays européens. Les avocats de ces pays pourront donc conseiller et plaider en France contre les personnes visées à l’article 1er tout en étant eux- mêmes agents publics dans leur pays. Pour les avocats ressortissants français, une telle possibilité est exclue par l’application de l’alinéa 5 de l’article 3 du décret-loi selon lequel l’interdiction de conseiller et de plaider vaut aussi pour les litiges ressortissants des juridictions étrangères ou intéressant des puissances étrangères, sauf autorisation préalable donnée par le ministre compétent. Elle lui demande donc si les alinéas 4 et 5 de l’article 3 du décret-loi de 1936 ne sont pas de nature à introduire des distorsions excessives dans les règles de concurrences applicables entre les cabinets d’avocats de l’Union européenne, tant sur le plan du droit français que sur le plan du droit communautaire. Elle lui demande également si cette disposition n’est pas de nature à porter atteinte au principe de l’indépendance des avocats (art. 1er de la loi du 30 décembre 1971) et au principe de valeur constitutionnelle garantissant l’indépendance des professeurs d’université.
Réponse publiée au JO le 17/11/2003 page 8824
Aux termes du quatrième alinéa de l’article 3 du décret-loi du 29 octobre 1936 relatif aux cumuls de retraites, de rémunérations et de fonctions, les fonctionnaires qui exercent une profession libérale dans les conditions définies à l’alinéa 3 du même article ne peuvent « donner des consultations, (de) procéder à des expertises et (de) plaider en justice dans les litiges intéressant une des administrations visées à l’article 1er, à moins qu’ils n’exercent leurs fonctions à son profit ». En outre, le cinquième alinéa de l’article 3 précité précise que « la même interdiction s’applique aux litiges ressortissant à des juridictions étrangères ou intéressant des puissances étrangères, sauf autorisation préalable donnée par le ministre compétent ». Il importe de rappeler que la possibilité d’exercer une profession libérale constitue une dérogation au principe général posé par l’article 25 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, aux termes duquel : « Les fonctionnaires consacrent l’intégralité de leur activité professionnelle aux tâches qui leur sont confiées. Ils ne peuvent exercer à titre professionnel une activité privée de quelque nature que ce soit. » Cette dérogation est interprétée de manière très stricte par la jurisprudence du Conseil d’état qui, au demeurant, dans son rapport du 27 mai 1999, envisageait même sa suppression, ou tout du moins sa soumission à des conditions plus restrictives. En effet, le Conseil d’état relève que cette dérogation a donné lieu à des abus, dès lors que, pour certains professeurs d’université, « l’activité principale est devenue accessoire et vice versa : ils exercent d’abord une activité libérale, sur laquelle ils prennent quelques heures pour donner leur enseignement de professeur d’université ». L’impossibilité pour un enseignant d’exercer à titre dérogatoire l’activité d’avocat à titre libéral ne constitue en aucune manière une atteinte au principe d’indépendance des professeurs d’université. Ce principe doit s’apprécier au regard de l’exercice des fonctions même d’enseignement, comme l’a affirmé le Conseil constitutionnel (décision n° 2001-446 du 27 juin 2001). En tout état de cause, les restrictions apportées à l’exercice de la profession d’avocat par des fonctionnaires ne peuvent pas être considérées comme entravant le principe d’indépendance de la profession d’avocat, ni comme introduisant des distorsions au regard des règles nationales et européennes de la libre concurrence entre les cabinets d’avocats dès lors qu’elles sont exercées à titre accessoire par des agents publics. En effet, ces agents, dont l’activité principale demeure l’enseignement, sont, partant, soumis au premier chef à la réglementation statutaire relative aux cumuls d’emplois des agents publics, réglementation qui a essentiellement pour objet de garantir l’indépendance et la neutralité du service public.