Question orale n° 2086S de M. Pierre Ouzoulias (Hauts-de-Seine – CRCE)
publiée dans le JO Sénat du 20/01/2022 – page 298
M. Pierre Ouzoulias demande à Mme la ministre des armées de l’informer de l’état d’avancement de la mise en œuvre législative, réglementaire et matérielle des dispositions nouvelles relatives aux archives introduites par l’article 25 de la loi n° 2021-998 du 30 juillet 2021 relative à la prévention des actes de terrorisme.
Par sa décision n° 2021-822 DC du 30 juillet 2021, le Conseil constitutionnel a émis deux réserves majeures d’interprétation de cet article.
Tout d’abord, il a considéré que les restrictions de communication de documents relatifs à certaines installations ne pouvaient s’appliquer à des informations déjà accessibles au public. Il s’interroge sur la manière dont cette règle de non-rétroactivité va être pratiquement appliquée par les services d’archives.
Ensuite, pour ces installations, le délai d’incommunicabilité des archives est prolongé jusqu’à la fin de leur affectation qui est constatée par un acte publié. Le Conseil constitutionnel a émis une réserve d’interprétation sur cette procédure en estimant que « la fin de leur affectation [peut être] révélée par d’autres actes de l’autorité administrative ou par une constatation matérielle ».
Il demande quelles instructions vont donc être adressées aux services de l’État pour organiser une constatation de la fin d’affectation conforme à la réserve du Conseil constitutionnel.
Ces restrictions de communication s’appliquent aussi aux documents relatifs aux « procédures opérationnelles ou [aux] capacités techniques de certains services de renseignement […] qui exercent une mission de renseignement à titre principal ». Ces services doivent être définis par un décret pris en Conseil d’État. Il demande quand ce décret sera publié.
Enfin, le service historique de la défense estime qu’il lui faut examiner les documents de 60 000 cartons pour identifier ceux qui rentrent dans le champ d’application des nouvelles dispositions de la loi du 30 juillet 2021. Cette procédure pourrait durer deux à trois ans. Pour les archives nationales, ce travail porterait sur plus de 9 000 cartons, soit entre un kilomètre et un kilomètre et demi de linéaires d’archives. Les modalités de cet examen n’ont pas encore été définies précisément pour les archives relevant du ministère de l’Europe et des affaires étrangères.
La loi du 30 juillet 2021 a été présentée illusoirement comme devant ouvrir plus largement les archives. Force est de reconnaître que de nombreux fonds vont être inaccessibles pendant un récolement qui est prévu pour durer deux ou trois ans. Il demande quels moyens supplémentaires pourraient être mis en œuvre pour réduire ces échéances et satisfaire l’obligation législative portée par l’article L. 213-3-1 du code du patrimoine qui impose aux services publics d’archives d’informer les usagers sur les délais de communicabilité des archives.
Réponse du Ministère auprès de la ministre des armées – Mémoire et anciens combattants
publiée dans le JO Sénat du 26/01/2022 – page 921
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, auteur de la question n° 2086, adressée à Mme la ministre des armées.
M. Pierre Ouzoulias. Madame la ministre, ma question, quelque peu technique, porte sur la loi n° 2021-998 du 30 juillet 2021 relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement, plus particulièrement sur son article 25, qui concerne les archives publiques, sur lequel le Conseil constitutionnel a émis deux réserves majeures d’interprétation.
Premièrement, il a indiqué que ce dispositif ne saurait être rétroactif. Pour dire les choses clairement, toutes les archives qui étaient communicables avant ce texte le resteront après.
Ma question est simple : comment allez-vous, concrètement et pratiquement, assurer le respect de cette obligation ?
Deuxièmement, le Conseil constitutionnel a considéré que la constatation matérielle du délai glissant qui concerne certaines installations pouvait être faite par d’autres moyens qu’un acte publié, ce que prévoit le texte de loi. Quelles instructions allez-vous donner à vos services pour que la fin de l’affectation des installations en question puisse être contrôlée par d’autres moyens que ceux qui sont indiqués dans la loi ?
En outre, lors des débats dans l’hémicycle, la ministre des armées nous avait indiqué que les missions de renseignement exercées à titre principal seraient sans doute limitées au service du premier et du deuxième cercles, cette précision devant être apportée par un décret en Conseil d’État publié à la fin de ce mois. Qu’en est-il ?
Enfin, les services se sont aperçus que cette loi, qui devait ne concerner que très peu d’actes, en concerne en fait énormément. Ainsi, près de deux kilomètres linéaires d’archives resteront inaccessibles.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès de la ministre des armées, chargée de la mémoire et des anciens combattants. Monsieur le sénateur, les dispositions relatives à l’accès aux archives les plus sensibles s’appliquent depuis six mois.
Rassurez-vous, le Service historique de la défense (SHD) n’a pas bloqué la consultation des archives susceptibles d’être concernées par un allongement du délai de cinquante ans ; au contraire, l’examen de la communicabilité de chaque archive est mené au fil de l’eau, en fonction de chaque demande d’accès.
Cette mise en œuvre requiert un surcroît d’engagement de la part des personnels, que je tiens à saluer, mais n’entraîne aucune difficulté majeure avérée.
Les réserves d’interprétation du Conseil constitutionnel, que vous avez évoquées, ne soulèvent pas non plus de difficultés particulières.
Si les informations contenues dans un document classifié sont déjà connues du public, alors aucune prolongation de l’incommunicabilité au-delà de cinquante ans n’est possible.
De même, est pleinement mis en œuvre le principe de non-application de la loi nouvelle aux documents non classifiés ou formellement déclassifiés : les documents qui étaient déclassifiés le restent.
La seconde réserve n’exige aucune démarche particulière de la part des archives et du Service historique de la défense. Les services compétents doivent constater par un acte la désaffection de toute installation militaire, acte qui sera signalé au SHD.
Si une installation devait se trouver désaffectée sans que cela ait été officiellement constaté, l’usager pourrait apporter lui-même la preuve de cette désaffection, le SHD ne pouvant écarter celle-ci au seul motif de l’absence d’une constatation officielle.
Enfin, concernant le décret d’application désignant les services de renseignement du ministère de l’intérieur concernés par ces nouvelles dispositions, il sera publié en mars prochain.