N’expliquez pas ce dont vous avez besoin, nous savons déjà comment vous en passer
Ainsi c’est décidé, les nouveaux statuts n’allégeront en rien la chape de plomb que font peser ceux de 1972 sur la civilianisation du militaire.
Pas de politique, pas de syndicat et pas d’association professionnelle. Pour la défense de sa condition, faire confiance à ses Chefs, au CFM, au CSFM, là où ils ont notoirement échoué depuis leur création. Le site de l’Adefdromil, à cet égard, est éloquent.
Pour que la machine se bloque encore plus sûrement, on va même lui créer un truc de plus, un certain Haut conseil de la fonction militaire. Comme ce nouveau machin sera exclusivement composé de civils, nul doute que la condition du militaire va s’améliorer comme par magie.
Malheureusement ce dispositif d’encadrement de la Grande Muette, pour ne pas dire de musellement, ne relève pas d’une psychologie au long terme. Pour l’heure on va donc recoller les mêmes rustines sur la défroque militaire. Sans voir (en est-on bien certain ?) que c’est à marche forcée que l’on se dirige vers des lendemains bien difficiles.
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Pas de politique.
Pourquoi, en effet, ce principe de neutralité serait-il bafoué ? Le droit de vote des militaires est bien suffisant. Comme l’est aussi leur possibilité d’être élu, sous certaines conditions d’exercice de leur mandat.
Encore faut-il noter que l’exemple venant d’en haut, on s’interrogera toujours sur l’hiatus entre la théorie et les faits, puisque le Chef des Armées, le Ministre de la Défense et les membres du Ministère sont des politiques notoires. Voire nos Généraux pour être entrés dans la liste d’aptitude.
Pas de syndicat.
L’épouvantail du syndicalisme à la française, celui qui s’est dévoyé dans sa course au « toujours plus », est un alibi qui fonctionne à merveille, puisque les militaires eux-mêmes y sont farouchement opposés. Dit-on.
Puisque l’on réussit à faire de bons militaires,disponibles, disciplinés, neutres et loyaux à partir d’une société civile au civisme qu’on lui connaît, pourquoi craindre de ne pas réussir un syndicalisme militaire qui ne pourrait qu’être basé sur ces vertus militaires que sont la primauté de l’intérêt collectif et le respect de la signature donnée ?
N’aurait-on jamais entendu le Ministre de la Défense mettre en doute la discipline, la disponibilité, la haute conscience
professionnelle et le patriotisme du personnel civil de la Défense, pourtant fortement syndiqué, y compris à la CGT. Que nenni, leurs relations sont excellentes et jamais, au sujet de ce syndicalisme au sein de la Défense, la patrie n’a
été déclarée en danger. Peut-on raisonnablement faire accroire qu’un syndicalisme « à la militaire » l’y mettrait ?
Interdiction d’adhérer à des associations à caractère professionnel.
Ceci au titre de « la discipline ». Les associations de magistrats et de policiers, pour prendre ces exemples, pécheraient-ils contre la discipline ? Cela se saurait.
En revanche, la meilleure des disciplines ne serait-elle pas de se soumettre plus vivement à cette recommandation que fait l’Europe à ses Etats membres, à savoir organiser associativement la défense des intérêts professionnels des militaires ?
Ce que demande l’Europe sur ce point, comme sur de nombreux autres très médiatisés en ce moment, ne sera pas appliqué à l’armée française. Une exception culturelle de plus.
Naturellement tout le monde sera sommé de s’extasier devant une poudre aux yeux en ce domaine associatif. Celle d’une double suppression : suppression de l’obligation de rendre compte des responsabilités exercées dans une association et suppression de la possibilité d’imposer au militaire de démissionner d’une telle association.
En ne s’appesantissant pas sur le fait que cette libéralisation, dont on peut s’étonner qu’elle n’existât pas déjà, ne s’appliquera qu’aux associations dûment autorisées. A ce titre, les associations à caractère professionnel en sont exclues, puisqu’il est interdit aux militaires d’y adhérer.
Le statut de 1972 dispose que « les militaires jouissent de TOUS les droits et libertés reconnus aux citoyens. Toutefois, l’exercice de CERTAINS d’entre eux est soit interdit, soit restreint… ». Cette brillante subtilité entre ce « TOUT », à usage médiatique, et son contraire « CERTAINS », à usage interne, subsistera donc, au grand déplaisir des cartésiens que nous sommes.
L’Adefdromil, association 1901, dont les statuts pour la défense des intérêts professionnels et moraux des militaires ainsi que de leurs droits ont été agréés en bonne et due forme, mieux encore, sont allés au devant d’une directive européenne, se verrait donc interdite d’adhérents au titre du double langage tenu par la puissance publique l’ayant adoubée. Tout et son contraire.
Rien n’empêchera jamais un militaire d’adhérer à l’Adefdromil, lui ou son conjoint, son frère, sa soeur ou sa mère. Ne serait-ce qu’en visitant le site de l’Adefdromil pour se tenir informé de ce que la hiérarchie ne lui dit pas.
Faut-il des exemples de désinformation ? : Prime d’expatriation non versée aux militaires, frais de déplacement outre mer non revalorisés, tableau d’avancement illégal, pensions d’invalidité sans raison d’être, sévices moraux. N’allons pas plus loin, ce n’est pas le sujet, la cause est entendue.
Le Commandement veille, à tous les échelons, aux intérêts des subordonnés.
Qu’il soit permis à ce sujet d’en douter et de livrer une expérience personnelle.
A part taper dans le dos et demander si la soupe est bonne, le chef au contact de sa troupe ne peut rien changer de son social.
Les rapports au quotidien fatiguent des rédacteurs sans illusion et ulcèrent leurs destinataires au point de mettre en doute l’aptitude au commandement de ceux qui les rédigent.
Le rituel annuel du rapport sur le moral, qui de synthèse en synthèse ne signifie plus rien, a lui aussi, montré son
incapacité à réduire les dysfonctionnements.
Bref, la défense des intérêts des subordonnés est la mission impossible demandée au Commandement, car il ne peut
à la fois être juge et partie.
La défense de la condition militaire ne se fera jamais autrement qu’en fonction de la pression exercée dans la marmite. Se souvenir à ce sujet du mouvement des Gendarmes. Tout l’art consistera donc à priver la société militaire de toute marmite fédérative.
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Sur le plan de l’attente des militaires quant à la communication de ce que l’on désigne avec un brin de mépris comme
étant « leurs états d’âme », les nouveaux statuts n’innovent en rien sur ceux de 1972.
En ne lui octroyant aucune tribune à la hauteur de ses attentes, tout est fait pour que le social de la Grande Muette reste inchangé. C’est-à-dire déconnecté de la société globale.
L’allégement de la chape de plomb qui empêche le militaire d’exprimer ses aspirations sociales est donc, une fois encore, un rendez-vous doublement manqué.
D’abord parce que si par extraordinaire il n’était dans les intentions de la haute hiérarchie que d’interdire toute prétention sociale novatrice au militaire, elle se serait trompée de méthode. On ne combat efficacement que ce qu’on laisse librement s’exprimer. Premier loupé. Accordons lui que ce n’était pas là son dessein.
Ensuite, puisqu’il appartient au commandement de « veiller, à tous les échelons, aux intérêts des subordonnés », il apparaît, malgré ce louable credo disqualifié jusqu’à la trame, que rien n’est formé pour que ces aspirations sociales aient enfin le pouvoir de s’exprimer.
C’est dommage parce que si elles pouvaient s’exprimer, nul n’aurait les moyens de les contester. Question de décence. Deuxième loupé.
Dans leur état actuel, les nouveaux statuts se situent entre la chèvre et le chou, la figue et le raisin, le fer et le velours, la carotte et le bâton, le médiatique et l’usage interne.
Bref, le tout et son contraire. Or ce ne sont pas les assujettis qui sont aux commandes.
Mariallio
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