Le 23 août dernier, trois soldats du 21ème régiment d’infanterie marine (RIMa), ont été grièvement blessés en Afghanistan par des tirs amis. On nous dit que c’est la faute à pas de chance et qu’aucune violation des règlements militaires n’a été constatée. Pourquoi pas !
Ce qui est gênant dans ce discours officiel, c’est que les règlements militaires paraissent se substituer à la loi, que le communiqué de l’EMA est livré aux médias comme une décision ayant l’autorité de la chose jugée, que les conclusions de l’enquête de commandement opérée par d’autres militaires sont présentées comme la quintessence de la vérité.
On joue ainsi la transparence tout en faisant croire qu’on est compétent pour décider des responsabilités éventuelles des uns ou des autres.
Un petit recadrage juridique de ces beaux discours pré-formatés est indispensable.
L’Aghanistan n’est pas une zone de non droit. Bien au contraire, on ne cesse de nous dire que l’armée française y est juste en manœuvres… à balles réelles et avec engins explosifs improvisés disséminés sur le terrain par les talibans pour motiver les troupes. En tout cas, on nous répète qu’il ne s’agit pas d’opérations de guerre, malgré le bilan actuel d’une cinquantaine de morts.
C’est donc que la loi française, et le code pénal doivent s’appliquer intégralement.
Or, infliger une blessure par un tir non accidentel constitue une « atteinte volontaire à l’intégrité physique » d’autrui. Et le code pénal détaille dans ses articles 222-1 et suivants les infractions susceptibles d’être commises de ce chef.
Bien sûr, on nous objectera que ceux qui ont tiré ont accompli un acte commandé par l’autorité légitime agissant dans le cadre du mandat de l’ONU et des règles d’engagement, et qu’en conséquence, ils ne sont pas pénalement responsables en application de l’article122-4 du code pénal,… sauf qu’ils se sont trompés de cibles.
On ne manquera pas alors de plaider l’argument juridique de « l’erreur sur la personne » : on a le droit de tirer sur les insurgés et malheureusement, on a confondus nos troupes avec des insurgés. Mais l’erreur sur la personne ne constitue pas, en principe, un fait justificatif ou une excuse absolutoire de la responsabilité pénale.
En tout état de cause, c’est au juge qu’il faut démontrer que l’erreur commise était « insurmontable ou invincible». Et c’est au juge d’apprécier les responsabilités dans une telle affaire et de déterminer, indépendamment des dispositions du code des pensions militaires d’invalidité, les réparations à accorder aux victimes.
Ce qui ressort du compte-rendu produit par l’EMA aux médias, c’est que l’enquête a été décidée par l’autorité militaire, effectuée par un officier supérieur qui, a priori, n’est pas officier de police judiciaire, alors même qu’une enquête préliminaire a été ouverte, semble t’il.
Que fait donc le parquet près le tribunal aux armées de Paris encore compétent à ce jour pour les crimes et délits commis en temps de paix et hors du territoire de la République ? Ce serait à lui de communiquer, plutôt que de donner l’impression, par son silence, que c’est l’EMA et le ministre qui enquêtent sur l’incident et décrètent la vérité qu’il faut avaler.
Les atermoiements d’Hervé Morin dans l’affaire du Tanit -dossier dans lequel le ministre et ses services ont eu beaucoup de mal à reconnaître la bavure de l’un des commandos ayant entraîné la mort de l’un des otages- conduisent forcément à s’interroger sur ce qui se cache derrière une enquête de commandement, concluant à la faute à…pas de chances.
L’action de justice, qui marque le respect de la légalité républicaine, n’est pas sans conséquence sur les réparations octroyées aux blessés.
Si demain, nos soldats blessés s’en sortent sans infirmités et sans dommages –ce que nous leur souhaitons vivement– l’Etat ne leur devra rien. En revanche, si les victimes et leurs ayants-droits soulèvent le problème de la responsabilité pénale en déposant une plainte pour coups et blessures, ils auront accès au dossier, ils pourront prétendre à des réparations de l’ensemble des préjudices subis, y compris du pretium doloris et du préjudice moral et psychologique. Ils pourront également demander la protection juridique du ministère, comme le prévoit le code de la défense.
On voit bien dès lors que la lumière sur cet incident malheureux ne peut venir de la seule enquête de commandement menée au pas de charge.
Nous recommandons aux victimes de ces tirs fratricides de contacter un avocat et de déposer plainte, au besoin avec constitution de partie civile, si le ministère public ne donne pas suite à leur démarche.
Ils pourront prendre connaissance du dossier et obtenir des réparations plus larges que celles prévues par le code des pensions militaires d’invalidité dans l’hypothèse regrettable où ils en deviendraient bénéficiaires.
L’Adefdromil est en tout cas prête à les aider.
Un dernier point important : pas de décorations !
On espère enfin que les militaires blessés ne seront pas cités et décorés, comme c’est parfois l’habitude.
Ce sont des victimes et vouloir compenser leur préjudice par une récompense ou une décoration constitue une erreur, qui peut avoir des conséquences graves sur le psychisme des intéressés.
On a vu ainsi à l’Adefdromil, un militaire blessé par un tir ami en Côte d’Ivoire, sombré dans la dépression après avoir été décoré sur le front des troupes pour un fait d’armes inexistant et inventé de toute pièce par ses chefs qui croyaient ainsi compenser le préjudice moral subi.
*Colonel de gendarmerie (e.r), auditeur de l’IHEDN, ancien Avocat au Barreau de Nanterre (e.r).
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