Le linge sale des gendarmes de Libourne

Libération – Lundi 8 septembre :

Accusations de tortures contre soupçons de vengeance. Procès pour outrage.

Bordeaux correspondance.

Un méchant tract distribué dans les rues de Libourne, en Gironde, le 28 mai 2002, qui accuse un supérieur hiérarchique, d’être un as de la matraque. Seize mois plus tard, vendredi dernier, le gendarme Olivier Renaud, 34 ans, s’est retrouvé devant la chambre militaire du tribunal correctionnel de Bordeaux, poursuivi pour « outrage » envers sa hiérarchie.

Bouée.

Le gendarme Renaud est un homme d’honneur. Il a tenu à se présenter en uniforme. Le regard net, il se tient droit à la barre. Son combat ? Dénoncer les ripoux de la gendarmerie. Ce tract ? C’était une bouée de secours. « On me disait :  » Vous êtes là pour la fermer  » Je voulais une réponse à des comportements inadmissibles », explique-t-il à la barre. Et il raconte lorsqu’il est affecté pour une mission d’un mois et demi à la compagnie de Saint-Laurent-du-Maroni, en Guyane, en décembre 1996, Olivier Renaud affirme avoir découvert des détentions arbitraires, des actes de torture et même des agressions sexuelles. Le tout, selon lui, avec la bénédiction de Bernard Dedieu, alors maréchal des logis chef, qui aurait couvert de tels agissements ou y aurait participé. Le gendarme Renaud se révolte et alerte ses supérieurs. Deux enquêtes de la gendarmerie ne donneront rien. Mais pour lui c’est la sanction. Rapatrié de Guyane, hospitalisé une semaine en psychiatrie, il se retrouve, dit-il, « placardisé ». On le mute de poste en poste. « Pendant sept ans, je me suis fait matraquer ».

Il est privé de son arme de service. Pense à démissionner. Et puis en 2001, c’est la mutation à l’école de gendarmerie de Libourne. Pour se retrouver nez à nez avec Bernard Dedieu, qu’il a mis en cause en Guyane. En sept ans, l’ancien chef de brigade, lui, a pris du galon. Il est adjudant-chef et commande la section des recherches de Libourne. Le tract devient la dernière arme du gendarme Renaud.

Honneur perdu.
De fait, dans la salle d’audience, se déroulent deux procès. Le président du tribunal entend juger un gendarme poursuivi pour avoir outragé un supérieur hiérarchique. « Voilà un soldat de l’honneur perdu », affirme le procureur. Qui rappelle à plusieurs reprises que « l’on ne va pas élargir le débat à d’autres faits ». Philippe Fortabat-Labatut, l’avocat d’Olivier Renaud, veut lancer « le vrai procès », celui de ceux qui font le déshonneur de la gendarmerie, celui de la psychiatrisation abusive, celui du harcèlement moral dont a été victime son client. Là, il sonne la charge. D’abord en faisant intervenir à la barre deux témoins : deux médecins militaires, Stéphane Lewden et Marc Lemaire, qui ont analysé les dysfonctionnements du système dans un livre, le Service de santé des armées : la face cachée. Puis c’est au tour d’un collègue d’Olivier Renaud, en Guyane de témoigner « j’ai rarement vu un tel contexte de violence, de vexations, de jeux stupides », explique-t-il. D’une voix mal assurée, il confirme les accusations lancées par Renaud : l’interrogatoire d’un homme à genoux, mains dans le dos, en appui sur une règle, giflé par le chef Dedieu. La défense n’est pas à court de munitions. Après les gendarmes du bas de l’échelle, c’est un cinq étoiles qui vient témoigner. Le général André Lorant, ex-conseiller du ministre de la Défense, a revu Olivier Renaud, en décembre 2000. Il lui propose d’oublier l’affaire et de prendre un nouveau départ à Libourne.

Le procureur demande une peine de six mois de prison. Estimant que le sous-officier a tout simplement voulu se venger des ratés de sa carrière en s’efforçant de montrer qu’il était « plus gendarme que les autres ». Le jugement a été mis en délibéré au 7 novembre.

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