la Cour administrative d’appel de Paris a considéré dans deux arrêts récents que les dispositions de l’article 37-1 de la loi du 12 avril 2000 qui instaure un régime de prescription spécifique aux rémunérations versées aux agents de la fonction publique n’est pas pas applicable en Polynésie Française ni en Nouvelle Calédonie dès lors que la loi qui institue cet article n’a pas prévu expressément qu’il s’appliquait également sur ces territoires.
La loi du 12 avril 2000 n’est pas une loi de souveraineté
par deux arrêts rendus au mois de mars et septembre 2019, la Cour administrative d’appel de Paris a écarté les dispositions de l’article 37-1 de la loi du 12 avril 2000 qui prévoient que:
« Les créances résultant de paiements indus effectués par les personnes publiques en matière de rémunération de leurs agents peuvent être répétées dans un délai de deux années à compter du premier jour du mois suivant celui de la date de mise en paiement du versement erroné, y compris lorsque ces créances ont pour origine une décision créatrice de droits irrégulière devenue définitive.
Toutefois, la répétition des sommes versées n’est pas soumise à ce délai dans le cas de paiements indus résultant soit de l’absence d’information de l’administration par un agent de modifications de sa situation personnelle ou familiale susceptibles d’avoir une incidence sur le montant de sa rémunération, soit de la transmission par un agent d’informations inexactes sur sa situation personnelle ou familiale.
Les deux premiers alinéas ne s’appliquent pas aux paiements ayant pour fondement une décision créatrice de droits prise en application d’une disposition réglementaire ayant fait l’objet d’une annulation contentieuse ou une décision créatrice de droits irrégulière relative à une nomination dans un grade lorsque ces paiements font pour cette raison l’objet d’une procédure de recouvrement ».
dans le cadre de ces deux arrêts, il s’agissait de militaires qui invoquaient le bénéfice de la prescription biennale prévue par ce texte et s’étaient vus déboutés en première instance par les juridictions administratives de ces territoires qui rejetaient l’applicabilité de l’article 37-1 de la loi du 12 avril 2000.
la Cour administrative d’appel leur a donné raison au tribunal administratif de Nouméa et de Papeete a toutefois considéré que ces dispositions, qui ne mentionnent pas expressément leur applicabilité sur le territoire de Polynésie française ou de la Nouvelle-Calédonie, ne sauraient s’appliquer dès lors que la loi du 12 avril 2000 n’est pas une loi de souveraineté.
La notion de loi de souveraineté n’a pas de définition légale mais est une notion qui a été dégagée par la jurisprudence administrative.
La loi de souveraineté peut se définir comme étant celle dont l’objet doit nécessairement s’entendre comme devant être appliqué à l’ensemble du territoire de la République telles que les dispositions à valeur constitutionnelle, les lois organiques ou les lois transposant des traités.
Ainsi, la loi du 12 avril 2000 qui est relative aux relations entre les citoyens et l’administration n’a pas été considérée comme telle.
une telle interprétation est regrettable dès lors qu’elle interprète à notre sens de façon très restrictive les dispositions prévues aux statuts particuliers de ces territoires.
En effet, s’agissant par exemple de la Loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française, l’article 7 prévoit quant à lui que :
Dans les matières qui relèvent de la compétence de l’Etat, sont applicables en Polynésie française les dispositions législatives et réglementaires qui comportent une mention expresse à cette fin.
Par dérogation au premier alinéa, sont applicables de plein droit en Polynésie française, sans préjudice de dispositions les adaptant à son organisation particulière, les dispositions législatives et réglementaires qui sont relatives :
1° A la composition, l’organisation, le fonctionnement et les attributions des pouvoirs publics constitutionnels de la République, du Conseil d’Etat, de la Cour de cassation, de la Cour des comptes, du Tribunal des conflits et de toute juridiction nationale souveraine, ainsi que de la Commission nationale de l’informatique et des libertés et du Contrôleur général des lieux de privation de liberté ;
2° A la défense nationale ;
3° Au domaine public et privé de l’Etat et de ses établissements publics ;
4° A la nationalité, à l’état et la capacité des personnes ;
5° Aux agents publics de l’Etat ;
6° A la procédure administrative contentieuse ;
7° Aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations de l’Etat et de ses établissements publics ou avec celles des communes et de leurs établissements publics ;
8° A la lutte contre la circulation illicite et au blanchiment des capitaux, à la lutte contre le financement du terrorisme, aux pouvoirs de recherche et de constatation des infractions et aux procédures contentieuses en matière douanière, au régime des investissements étrangers dans une activité qui participe à l’exercice de l’autorité publique ou relevant d’activités de nature à porter atteinte à l’ordre public, à la sécurité publique, aux intérêts de la défense nationale ou relevant d’activités de recherche, de production ou de commercialisation d’armes, de munitions, de poudres ou de substances explosives.
Sont également applicables de plein droit en Polynésie française les lois qui portent autorisation de ratifier ou d’approuver les engagements internationaux et les décrets qui décident de leur publication, ainsi que toute autre disposition législative ou réglementaire qui, en raison de son objet, est nécessairement destinée à régir l’ensemble du territoire de la République ».
La « saga » LOUVOIS se poursuit
Après deux avis rendus par le Conseil d’Etat, l’un le 31 mars 2017 confirmant que la prescription biennale s’appliquait bien à toutes les rémunérations des militaires en ce compris les avances et celui du 25 juin 2018 qui se prononçait sur la nature des décisions de trop versé susceptibles de recours, nous pensions que tout avait été dit.
Toutefois, c’était sans compter sur ce nouveau rebondissement à la suite des arrêts rendue pas la cour administrative d’appel de Paris.
MDMH Avocats estime que la position de la Cour administrative d’appel est discutable à plusieurs égards.
L’on pourrait notamment citer le fait que les militaires doivent servir en tout temps et en tout lieu et ils restent soumis en toutes circonstance à leur statut de militaire et ce, quelle que soit le territoire d’affectation.
A cet effet, les rémunérations versées aux militaires sont directement issues de ce statut et des sujétions qui en découlent de sortent qu’il s’agit selon nous d’une question relative au statut des agents de la fonction publique de l’Etat qui ne peut différer dans tout le territoire de la République
La rémunération des agents publics de l’Etat ainsi que le régime de prescription qui s’y applique nous semble entrer dans cette catégorie.
En outre se pose la question de l’égalité de traitement des militaires dès lors qu’ils sont placés dans une situation identique face à ces affectations, et qu’il n’existe pas, à notre sens ,de différences objectives dans les fonctions qui seront remplies entre un militaire affecté en Polynésie française, en Guadeloupe ou à Djibouti à grade identique.
La Cour administrative d’appel de Paris estime quant à elle qu’il s’agit de situation différentes.
En outre, la mention aux seules lois de souveraineté semble trop réductrice dès lors que le statut particulier des territoires prévoit également que les lois qui ont trait aux agents de la fonction publique sont applicable sans aucune mention expresse.
Enfin, il est difficile de se prononcer sur l’étendue de l’inapplicabilité de l’article 37-1 dès lors que la Cour administrative d’appel évoque des rémunérations versées sur le territoire en question.
Or, de nombreux militaires sont rémunérés soit au moyen d’avances sur le territoire national avant l’affectation en cause soit après leur retour au titre de régularisations diverses et nous ignorons s’il s’agit du lieu de versement qui importe ou l’affectation en tant que tel.
Trop de questions demeurent à notre sens et elles méritent ainsi d’être approfondies et tranchées définitivement par la juridiction suprême qui décidera si l’article 37-1 de la loi du 12 avril 2000 est d’application sur l’ensemble du territoire de la République.
MDMH Avocats a donc décidé de former un pourvoi en cassation. Affaire à suivre donc !
© MDMH – Publié le 09 octobre 2019
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Maître Aïda MOUMNI
Expert en droit des militaires, Aïda MOUMNI a plus particulièrement en charge au sein de MDMH AVOCATS le contentieux financier, social, indemnitaire et de fin de service des militaires et anciens militaires (soldes, accessoires de solde, Louvois, trop-perçus, moins versés, lien au service, retraite, pension de réversion, indemnités de départ …) Elle intervient conjointement avec Elodie MAUMONTdans le cadre du contentieux médico administratif des militaires, des pensions d’invalidité et des demandes connexes (jurisprudences BRUGNOT et autres).