Quelle prescription pour les arrérages de pension militaire d’invalidité ?
Par Soufïa HENNI, Avocat collaborateur et Aïda MOUMNI, Avocat associé
Le Conseil d’Etat a rendu le 1er juillet 2019 (n°413995) un arrêt publié au recueil Lebon, au terme duquel il précise les règles de prescription opposables à un agent public ayant subi des prélèvements injustifiés sur sa pension militaire d’invalidité.
Les faits sont relativement simples.
Un agent public, bénéficiant d’une pension militaire d’invalidité depuis 1975, se voit notifier en juillet 1997 un trop perçu d’un montant de 4.546 euros au titre de sa pension.
Un ordre de recettes prévoit le recouvrement de cette somme par des retenues correspondant au 5e des arrérages de sa pension à compter d’août 1997.
Les prélèvements en question perdurent toutefois au-delà du montant du débet.
L’intéressé demande ainsi seulement en février 2015 à l’administration de suspendre le prélèvement.
Une décision intervient en mars 2015 et suspend le prélèvement.
Le mois suivant, l’ancien agent public demande donc le remboursement des sommes indûment prélevées entre janvier 2002 et janvier 2015, correspondant à un montant de 16.804,50 euros.
L’administration lui oppose toutefois la prescription quadriennale prévue par l’article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l’Etat, les départements, les communes et les établissements publics.
Ces dispositions prévoient en effet :
« Sont prescrites, au profit de l’Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n’ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis.
Sont prescrites, dans le même délai et sous la même réserve, les créances sur les établissements publics dotés d’un comptable public. »
Le Tribunal administratif de Nantes saisi du litige donne néanmoins raison à l’ancien agent public au motif que le délai de prescription de la créance courait à compter du premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle un acte régularisant sa situation était intervenu, donc en l’espèce mars 2015.
Le Conseil d’Etat saisi du pourvoi conclut toutefois à l’annulation dudit jugement en précisant les règles de prescription applicables aux arrérages de pension.
En premier lieu, le Conseil d’Etat considère que dans le cadre des litiges opposant un agent public à son administration quant au montant de ses rémunérations, le fait générateur à compter duquel la prescription doit courir se trouve dans les services accomplis.
Aussi, lorsqu’un prélèvement indu intervient sur la rémunération d’un agent public, le délai de quatre ans de prescription court à compter du 1er janvier de l’année suivant celle durant laquelle il devait être rémunéré.
Le Conseil d’Etat précise toutefois que la prescription ne court que si, à cette date, l’étendue de la créance peut être mesurée.
Ensuite, si le préjudice dont se prévaut l’agent résulte d’une décision individuelle illégale, alors le fait générateur à compter duquel la prescription commence à courir se trouve dans la notification de la décision en cause.
En second lieu, le Conseil d’Etat apporte des précisions quant au cas particulier des arrérages de pension.
Il indique ainsi que la prescription applicable à une créance relative au versement de la pension est celle prévue par la loi du 31 décembre 1968 et le fait générateur à compter duquel cette prescription commence à courir se trouve dans les échéances de la pension à condition que l’étendue de la créance puisse être mesurée.
Il conclut ainsi, dans le cas d’espèce, que dès lors que le litige porte sur le retard de l’administration pour interrompre le prélèvement, la prescription doit courir « à compter du 1er janvier de l’année suivant celle au cours de laquelle les arrérages correspondants auraient dû être versés » et non à compter de la décision d’interruption des prélèvements.
En sus, le Conseil d’Etat considère que puisque que l’intéressé avait été informé en juillet 1997 que le recouvrement du trop-perçu de pension serait effectué par prélèvement représentant 20% des arrérages de sa pension, l’étendue de la créance pouvait être mesurée et l’intéressé ne pouvait ignorer son existence avec la poursuite des retenues au-delà de 2002.
L’Etat n’est donc condamné qu’au remboursement de la somme de 5.304,25 euros au lieu de 16.805,50 euros.
Enfin, précisons que la demande de liquidation ou de révision d’une pension militaire d’invalidité n’obéit pas à la prescription de la loi du 31 décembre 1968 mais aux dispositions de l’article L. 151-3 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre qui prévoient :
« Lorsque, par suite du fait personnel du pensionné, la demande de liquidation ou de révision de la pension est déposée postérieurement à l’expiration de la troisième année qui suit la date à laquelle la pension aurait normalement pu être obtenue, le titulaire ne peut prétendre qu’aux arrérages afférents à l’année au cours de laquelle la demande a été déposée et aux trois années antérieures. »
En conséquence, nous ne pouvons qu’inviter les agents disposant d’une créance relative au versement des arrérages de leur pension à solliciter rapidement l’administration pour son remboursement et à demeurer vigilants sur les montants versés.
Pour aller plus loin: https://www.mdmh-avocats.fr/2015/04/07/chronique-n2-la-constitution-dun-dossier-de-demande-de-pension-militaire-dinvalidite/
© MDMH – Publié le 5 juillet 2019
Maître Aïda MOUMNI
Expert en droit des militaires, Aïda MOUMNI a plus particulièrement en charge au sein de MDMH AVOCATS le contentieux financier, social, indemnitaire et de fin de service des militaires et anciens militaires (soldes, accessoires de solde, Louvois, trop-perçus, moins versés, lien au service, retraite, pension de réversion, indemnités de départ …) Elle intervient conjointement avec Elodie MAUMONTdans le cadre du contentieux médico administratif des militaires, des pensions d’invalidité et des demandes connexes (jurisprudences BRUGNOT et autres).