Face à l’encombrement des juridictions administratives, la longueur des procédures et l’étape obligatoire du Recours administratif préalable et obligatoire devant la Commission des recours des militaires dont l’utilité demeure très discutée, – et même critiquée nous concernant -, nous nous rappelons ainsi qu’à nos clients, en gage parfois de réconfort, que patience et persévérance sont mères des vertus.
Et, il en aura fallu de la patience et de la persévérance à l’Adjudant A, ancien militaire de carrière au sein de l’Armée de Terre avant d’être rétabli dans ses droits et recouvrer son honneur et sa dignité.
Tout a commencé en 2016.
L’Adjudant A, après avoir servi depuis septembre 1998 et bénéficié d’états de service tout à fait satisfaisants, était placé à sa demande en congé pour création et reprise d’entreprise courant 2015.
Par décision du 6 octobre 2015, sa demande de démission avec bénéfice d’une pension afférente au grade supérieur (PAGS) à effet du 1er avril 2016 était agréée.
Pour autant, lors de son congé, l’Adjudant A, se rend en Égypte où il est arrêté et retenu brièvement.
S’en suit une procédure disciplinaire dont la célérité est en tous points remarquable.
Faisant l’objet d’un ordre d’envoi devant un Conseil d’enquête en suite des faits évoqués, la procédure disciplinaire sera menée avec une célérité jamais connue auparavant, du moins par MDMH AVOCATS, pourtant coutumier du droit disciplinaire et qui a eu l’honneur de défendre l’Adjudant A. tout au long de son parcours judiciaire.
Mais l’Adjudant A n’était pas dupe et avait compris que cette précipitation était voulue.
Outre une sanction disciplinaire du 3ème groupe portant radiation des contrôles décidée après une procédure particulièrement contestable, l’Adjudant A faisait donc l’objet d’une décision de deux décisions administratives ayant en définitive pour objet de lui retirer la pension afférente au grade supérieur.
Contestant la légalité des décisions dont il faisait l’objet, l’Adjudant A a saisi la juridiction administrative.
La voie du référé suspension n’a pas fonctionné et, par Ordonnance du 12 mai 2016, sans audience et en application de l’article L 522-3 du Code de justice administrative, le juge administratif a considéré que la condition d’urgence n’était pas remplie en retenant dans sa motivation :
« (…) Considérant que la modification de la situation ainsi créée revient in concreto à faire perdre à M. A l’espérance d’une majoration de pension, dont il ne précise d’ailleurs pas l’ampleur ; que cette réduction de ses espérances ne créé pas une situation d’urgence telle qu’elle justifierait, après appréciation du caractère sérieux des moyens, un audiencement de sa requête au fond « dans les meilleurs délais », c’est-à-dire par préférence aux requêtes plus anciennes »
Patiemment l’Adjudant A a attendu.
Persévérant l’Adjudant A a répliqué et continué à soutenir sa cause tant son départ dans ces conditions lui apparaissait injuste et arbitraire.
Il a été récompensé et la juridiction a suivi l’argumentation développée par MDMH AVOCATS.
S’agissant de la sanction disciplinaire, le tribunal administratif d’Orléans a par jugement définitif du 15 mai 2018 retenu : « s’agissant du moyen tiré du caractériel proportionné de la punition aux faits, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens » :
« Il ressort des pièces du dossier que M. A s’est pour la seconde fois au cours de sa carrière et délibérément, soustrait à l’obligation d’obtenir l’autorisation de sa hiérarchie pour voyager à l’étranger, cette seconde fois ayant mis l’autorité militaire française en situation de recevoir un signalement de la part d’une puissance étrangère, par ailleurs dans des conditions qui nonobstant les explications de l’intéressé, partiellement contradictoires, ne paraissent pas anodines. L’indulgence dont il a bénéficié la première fois n’excuse pas la réitération du comportement de l’intéressé. Le fait est établi, fautif, et de nature à justifier une sanction.
Cependant, le tribunal estime que la sanction de radiation, la plus élevée de l’échelle des sanctions est disproportionnée. Le moyen doit être accueilli. »
Il convient en effet de rappeler qu’il existe 3 groupes de sanctions disciplinaires allant de l’avertissement à la radiation des cadres ou la résiliation de contrat (article L 4137-2 du Code de la défense)
et que le juge administratif procède au contrôle de proportionnalité de la sanction infligée.
En ce même sens, MDMH AVOCATS évoquait déjà il y a près d’un an jour pour jour la nature dudit contrôle et la censure du Conseil d’enquête dans une affaire emblématique
https://www.mdmh-avocats.fr/2018/05/11/sanction-discplinaire-des-militaires-et-proportionalite-controle-et-censure-du-conseil-detat/
qui avait suscité des réactions hostiles nous obligeant même à une mise au point sur le sens de la victoire judiciaire : https://www.mdmh-avocats.fr/2017/10/11/sens-de-victoire-judiciaire-reponse-chef-detat-major-de-larmee-de-terre-sanction-droit-militaires/
S’agissant des autres décisions administratives faisant grief, le même jour, le 15 mai 2018, par un jugement avant dire droit et après avoir procédé à la jonction des procédures initiées par le requérant, eu égard aux différentes décisions lui ayant été notifiées – complexifiant d’autant le contentieux administratif, la juridiction administrative d’ORLEANS annulait également :
- la décision du 25 mars 2016 portant retrait d’agrément d’une demande de pension afférente au grade supérieur,
- la décision du même jour portant abrogation de l’arrêté portant agrément d’une demande de démission avec le bénéfice de la pension afférente au grade supérieur,
- ainsi que la décision implicite de rejet du recours exercé par le requérant devant la commission des recours des militaires contre lesdites décisions.
Plus précisément, la juridiction administrative relevait notamment :
« (…) Sur la « décision » du président de la commission des recours des militaires (requête..)5. Il ressort des pièces du dossier que M. A a formé le 6 mai 2016 un recours administratif préalable auprès de la commission des recours des militaires, dirigé contre la décision du 25 mars 2016 portant retrait d’un agrément d’une demande de pension afférente au grade supérieur, et la décision du même jour portant abrogation de l’arrêté portant agrément d’une demande de démission avec le bénéfice de la pension afférente au grade supérieur.
- Cette commission a été d’avis que le recours portait sur une décision à caractère disciplinaire et était dès lors irrecevable. Elle n’a cependant pas prétendu décider à la place du ministre.
- Il demeure que cet avis a été transmis au ministre pour décision, et qu’il y a lieu de regarder la requête comme dirigée contre le rejet implicite de la demande, par silence gardé. »
Sur les deux décisions du 25 mars 2016 (…)
Quant à la fin de non recevoir opposée en défense
- Le ministre soutient que le recours administratif devant la commission des recours des militaires, préalable obligatoire à l’instance contentieuse, a été introduit le même jour que la requête. Il en déduit que la requête est irrecevable.
- Toutefois, le tribunal statuant postérieurement à l’expiration du délai à l’issue duquel la décision du ministre est rendue, la condition de recevabilité de la requête est réputée satisfaite, et la fin de non recevoir doit être écartée.
Dès lors, s’agissant des moyens tirés de l’application de la jurisprudence Ternon et du défaut de motivation
- Aux termes des dispositions de l’article 1erde la loi du 11 juillet 1979, désormais codifié à l’article L. 211-2 du code des relations entre le public et l’administration: «Les personnes physiques ou morales ont le droit d’être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. À cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / – retirent ou abrogent une décision créatrice de droits (…)». Aux termes de l’article L. 242-1 du code des relations entre le public et l’administration, légalisant la jurisprudence Ternon: « L’administration ne peut abroger ou retirer une décision créatrice de droits de sa propre initiative ou sur la demande d’un tiers que si elle est illégale et si l’abrogation ou le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision. ».
- Par décision du 6 octobre 2015, la démission avec bénéfice de la pension afférente au grade supérieur de l’adjudant A a été agréée. Cette décision, créatrice de droits, ne pouvait être retirée ou abrogée, en l’absence de dispositions législatives ou réglementaires, qu’en raison de son illégalité, sous un délai expirant au plus tard le lundi 8 février 2016, par une décision motivée.
- En l’espèce, le retrait intervient le 26 mars 2016, au-delà du délai de quatre mois mentionné au point 9 en tout état de cause. Le moyen en cette seule branche doit être accueilli.
- Il n’est pas besoin d’examiner le surplus de l’argumentation et des moyens de M. A. pour faire droit à ses conclusions. (…) »
Après avoir ordonné une mesure d’instruction tendant à la mise en cause du ministre de l’action et des comptes publics, le tribunal a, par jugement du 22 janvier 2019, constaté que le titre de pension de l’Adjudant A avait été révisé pour prendre en considération l’annulation précitée et ce faisant le grade supérieur et statué sur l’article L 761-1 du code de justice administrative et les frais de procédure.
Ainsi après près de 3 ans de procédure, une procédure en référé, 3 procédures contentieuses et 2 recours formés devant la CRM, la patience et la persévérance de l’Adjudant A ont payé puisque l’Adjudant A a été entièrement rétabli dans son honneur et sa dignité.
Tout est, en ces quelques lignes, le sens notre défense.
© MDMH – Publié le 10 mai 2019