Question écrite n° 08540 de Mme Christine Prunaud (Côtes-d’Armor – CRCE) publiée dans le JO Sénat du 24/01/2019 – page 375
Mme Christine Prunaud attire l’attention de M. le ministre de l’intérieur sur l’interdiction de certaines armes utilisées dans le cadre du maintien de l’ordre. En effet, de plus en plus de signalements pour violences policières présumées sont effectuées auprès de l’inspection générale de la police nationale. Les griefs portent notamment sur l’utilisation de lanceurs de balle de défense LBD40 ou des grenades GLI-F4. Ces armes provoquent de graves blessures pour les personnes visées, de la simple contusion, à la perte d’un membre, d’un œil, voire plus grave au coma et au décès. Elle lui rappelle que notre pays est le seul à en être doté au sein de l’Union européenne. De plus, le Défenseur des droits, l’Organisation de nations unies, l’Union européenne et de nombreuses associations jugent ces armes extrêmement dangereuses et appellent à leur interdiction. Pour ces raisons, elle lui demande s’il entend interdire l’utilisation de ces armes par les forces de l’ordre, lors des manifestations.
Réponse du Ministère de l’intérieur publiée dans le JO Sénat du 21/03/2019 – page 1568
Dans un État de droit, il est impératif que le recours à la contrainte, parfois nécessaire et au besoin au moyen des armes, soit gradué et proportionné et s’exerce dans le respect du droit. C’est pour répondre à ces exigences que les forces de l’ordre disposent d’une législation et d’une gamme de techniques et de moyens pour rétablir l’ordre public républicain, pour protéger la sécurité des personnes et des biens, ou pour faire face aux menaces auxquelles elles sont exposées. Le niveau d’exercice de la contrainte prend en compte les situations particulières et se traduit par la mise en œuvre de la force physique, par l’emploi d’armes de force intermédiaire et, en dernier lieu, par le recours à des armes à feu létales. Les armes de force intermédiaire permettent de faire face à des situations dégradées pour lesquelles la coercition physique est souvent insuffisante mais qui nécessitent une riposte immédiate, par exemple pour faire face à des groupes armés ou violents, dissuader ou neutraliser des individus violents ou dangereux. Depuis plusieurs années, la multiplication des actes de violence à l’encontre des forces de l’ordre et l’aggravation des risques physiques encourus en font des outils indispensables pour la police et la gendarmerie. Dans bien des situations, elles évitent le recours aux armes létales et abaissent le niveau de risque, tant pour l’intégrité physique des personnes ciblées que pour celle des tiers ou des forces de l’ordre. Le code de la sécurité intérieure liste de manière exhaustive ces armements et définit les conditions dans lesquelles ils peuvent être utilisés. Les lanceurs de balles de défense (LBD) en font partie, comme les grenades lacrymogènes instantanées. Il convient à cet égard de préciser que la France n’est pas le seul pays de l’Union européenne dont les forces de sécurité sont dotées de lanceurs de balles de défense. Le LBD est par exemple utilisé en Espagne et en Allemagne. L’emploi des armes de force intermédiaire, dont celui des lanceurs de balles de défense, obéit à des règles de droit strictes et à des conditions d’utilisation précisément fixées (précautions d’emploi, conduite à tenir après emploi, etc.). Il relève du cadre juridique général de l’usage de la force et n’est donc possible que lorsque les conditions requises par la loi l’autorisent (légitime défense, attroupement, etc.). Il est soumis, en particulier, aux principes d’absolue nécessité et de proportionnalité. Dans le cadre du maintien de l’ordre par exemple, l’emploi des armes est strictement encadré par le code de la sécurité intérieure dans une logique de gradation, qui répond à des nécessités opérationnelles et à la volonté de limiter les risques pour les personnes. Par ailleurs, l’emploi des armes de force intermédiaire, notamment des LBD, est subordonné à une formation spécifique et les fonctionnaires et militaires autorisés à les employer doivent disposer d’une habilitation individuelle. Assorti de ces garanties, l’emploi de ces armes permet une réponse graduée et proportionnée lorsque l’emploi légitime de la force s’avère nécessaire. Le LBD peut ainsi être employé dans le cadre d’un attroupement (article 431-3 du code pénal), en cas de violences ou voies de fait commises à l’encontre des forces de l’ordre ou si elles ne peuvent défendre autrement le terrain qu’elles occupent (article L. 211-9 du code de la sécurité intérieure). Il s’agit donc d’armes indispensables pour lutter, par exemple, contre les attroupements, les exactions, les violences et les pillages que les forces de l’ordre doivent gérer au sein ou en marge de certaines manifestations. L’emploi de ces armes fait l’objet de contrôles et d’un suivi rigoureux. Il convient à cet égard de rappeler que la police nationale, comme la gendarmerie nationale, est l’une des institutions publiques les plus étroitement contrôlées. Dans les cas où l’usage légitime de ces armes est mis en doute, des enquêtes judiciaires ou disciplinaires sont systématiquement effectuées. Tout manquement ou faute commis dans les rangs de la police ou de la gendarmerie doit être et est poursuivi. Dans le cadre du mouvement dit des « gilets jaunes », l’inspection générale de la police nationale (IGPN) instruit ainsi plusieurs plaintes liées à des usages de LBD. La force et l’exemplarité sont en effet indissociables et le ministre de l’intérieur a récemment souligné l’importance qu’il attache à un strict respect des règles d’emploi des armes de force intermédiaire et plus largement de la déontologie. Le cadre juridique et les précautions d’emploi du LBD ont ainsi été rappelés, en détail, à l’ensemble des policiers par télégramme du 15 janvier 2019 du directeur général de la police nationale. Par ailleurs, le ministre de l’intérieur ne sous-estime pas le danger potentiel lié à l’usage des armes de force intermédiaire. Il connaît les préoccupations que ces équipements peuvent susciter et les blessures qu’ils peuvent provoquer. Leur utilisation, même par des agents qualifiés et dont le sang-froid et le professionnalisme sont reconnus, présente, comme toute arme, des risques. Tout est donc mis en œuvre, d’un point de vue doctrinal, managérial et matériel, pour que leur emploi soit exercé avec maîtrise et professionnalisme, dans des conditions maximales de sécurité. Mais il est toutefois faux d’affirmer que ces armes peuvent être létales : aucun décès n’est directement lié aux armes citées. Pour répondre à certaines polémiques, mais surtout pour protéger plus efficacement les policiers contre les accusations infondées dont ils peuvent être l’objet, le ministre de l’intérieur a également décidé de généraliser, chaque fois que possible et à titre expérimental, le recours aux « caméras-piétons » lorsque les LBD sont utilisés dans les opérations de maintien de l’ordre public. Dans le contexte de violences, physiques et verbales, parfois extrêmes, dont policiers et gendarmes sont de plus en plus fréquemment les victimes, le ministre de l’intérieur souhaite cependant rappeler que leur protection constitue en tout état de cause une priorité absolue. Depuis plusieurs mois en particulier, policiers et gendarmes assurent, avec professionnalisme et fermeté, courage et dévouement, le respect de la loi républicaine, dans des situations difficiles et dangereuses. Ils sont régulièrement confrontés à de véritables faits de « guérilla urbaine », qui les conduisent, naturellement, à riposter et à user de tout moyen que le droit leur offre, notamment lorsqu’ils font face à des individus qui manifestement ont décidé de porter atteinte à leur intégrité physique. Le Gouvernement continuera donc à prendre toute mesure utile à la défense de l’ordre public et à doter les policiers et les gendarmes de tous les moyens leur permettant d’assurer leur sécurité et celle de la population. D’ores et déjà, la doctrine de maintien de l’ordre a été modifiée pour que les forces de police et de gendarmerie soient plus pro-actives et plus mobiles. Cette doctrine sera en outre révisée en profondeur dans les mois à venir. Par ailleurs, la proposition de loi visant à prévenir les violences lors des manifestations et à sanctionner leurs auteurs, transpartisane et en cours d’examen au Parlement, dotera l’État de nouveaux outils pour garantir la liberté de manifester tout en luttant plus efficacement contre les « casseurs » et les mouvements ultra-violents qui se développent depuis quelques années en marge ou au sein de certaines manifestations.
Source: JO Sénat du 21/03/2019 – page 1568