Question écrite n° 08013 de Mme Laurence Cohen (Val-de-Marne – CRCE) publiée dans le JO Sénat du 06/12/2018 – page 6125
Mme Laurence Cohen attire l’attention de Mme la ministre des outre-mer sur la nécessité de réparation et de facilitation de procédure de changement de nom pour les descendants d’esclaves aux patronymes injurieux aux Antilles, à la Réunion et à l’Île Maurice.
En effet, quand en 1848 la métropole abolit l’esclavage, les officiers de l’état civil français remplacent les matricules de plus de 170 000 esclaves par des patronymes souvent dégradants tels « Trouabal », « Crétinoir », « Gros-Désirs », « Satan », « Bonnarien », « Macaque », etc. Aujourd’hui, de nombreux descendants de ces anciens esclaves portent encore ces noms humiliants et racistes imposés par ces fonctionnaires.
La procédure de changement de nom, telle qu’autorisée par la loi n° 93-22 du 8 janvier 1993 modifiant le code civil relative à l’état civil, à la famille et aux droits de l’enfant et instituant le juge aux affaires familiales, est lourde, payante et peut prendre des années. De surcroît, les populations concernées ne sont souvent pas informées de cette procédure ni en capacité d’entreprendre seules ces démarches.
L’esclavage est reconnu comme crime contre l’humanité depuis la loi n° 2001-434 du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité, dite loi Taubira. Il serait juste aujourd’hui de reconnaître officiellement la faute de l’État français dans l’attribution de ces noms injurieux et de permettre ainsi des réparations, des facilités juridiques et administratives ainsi qu’une gratuité de la démarche de changement ou de modification de nom sans condition ni légitimation pour ces populations.
Elle lui demande quelles mesures elle compte entreprendre afin de réparer cela.
Transmise au Ministère de la justice
Réponse du Ministère de la justice publiée dans le JO Sénat du 24/01/2019 – page 425
La procédure aux fins de changement de nom prévoit une simple requête adressée directement au Garde des Sceaux, ministre de la justice, accompagnée des pièces énumérées par le décret du 20 janvier 1994 (actes de naissance des personnes concernées, justification de la nationalité française, bulletin n° 3 du casier judiciaire, insertions de la demande au Journal officiel et dans un journal désigné pour les annonces légales dans l’arrondissement de résidence de l’intéressé, dans le cas d’un enfant mineur consentement de l’autre parent à la demande en cas d’autorité parentale conjointe ou du juge des tutelles dans l’hypothèse de divergence entre les parents). La représentation par un avocat n’est pas requise. L’article 61 du code civil subordonne le changement de nom à la preuve d’un intérêt légitime qui peut résider dans le caractère difficile à porter du patronyme, sa consonnance péjorative, son sens négatif ou dégradant. Ce principe dégagé par la jurisprudence du Conseil d’État est systèmatiquement appliqué par la Chancellerie qui s’est toujours montrée très largement favorable aux demandes fondées sur le caractère déplaisant du nom. Lorsque ce changement de nom est accordé, il fait l’objet d’un décret signé par le Premier ministre et contresigné par le Garde des Sceaux, ministre de la justice. Il est notifié à l’intéressé par voie postale. À l’expiration d’un délai de deux mois suivant la publication du décret au Journal officiel, le bénéficiaire peut faire rectifier ses actes d’état civil par le procureur de la République près le tribunal de grande instance de son lieu de naissance, après avoir obtenu un certificat de non opposition auprès du Conseil d’État. Cette procédure sur simple requête et sans avocat obligatoire n’impose aucun coût, à l’exception des frais d’insertions de la demande au Journal officiel et dans un journal désigné pour les annonces légales dans l’arrondissement de résidence de l’intéressé. Dès lors, la simplicité de la procédure, son moindre coût et l’acceptation large des motifs fondés sur le caratére difficile à porter du patronyme lui paraissent de nature à répondre à la fois, d’une part, aux attentes légitimes des personnes concernées par la nécessité d’obtenir un changement de nom, d’autre part, aux exigences tenant au principe de l’immutabilité du nom et au contrôle de ses exceptions.
Source: JO Sénat du 24/01/2019 – page 425