UN JOUR AU PALAIS. Toutes les semaines, « l’Obs » s’assied sur le banc d’une salle d’audience. N’importe où en France. N’importe quel jour. Et peu importe la nature des crimes et délits.
Où ? Au tribunal de grande instance de Paris.
Quoi ? La 10e chambre correctionnelle, elle juge les délits commis par des militaires en service. Seule une dizaine de tribunaux en France traitent ces affaires. Celui de Paris a la spécificité d’être également compétent pour les délits commis lors des opérations extérieures (Opex), depuis la suppression du tribunal aux armées en 2012.
Quand ? Le 8 décembre 2018.
Pour les militaires qui y défilent tous les premiers mardis du mois, se retrouver devant la 10e chambre correctionnelle est un déchirement. La condamnation est souvent synonyme d’arrêt brutal de la carrière, d’une séparation de force avec l’institution, d’un retour imposé à la vie civile. Charlie G., 37 ans, n’échappe pas à la règle. Il tremblote, pleure, à la lecture des faits par le président de la cour.
Le 19 février 2016, il a blessé grièvement un de ses collègues et ami, Lorenzo P., en lui tirant une balle de Famas dans les jambes alors que les deux hommes partaient en patrouille à l’aéroport d’Orly dans le cadre de la mission Sentinelle.
« Ah ! mon ‘toc’, il a un problème ! »
Ce matin d’hiver 2016, sur l’ancienne base aérienne de Brétigny-sur-Orge (Essonne), il est 5h30 du matin, quand Charlie, Lorenzo et les autres reçoivent leur matériel. Charlie récupère un gilet pare-balles, son fusil Famas et ses quatre chargeurs de munitions, puis se dirige vers le bus qui doit les convoyer sur zone. Avant de monter dans le véhicule, le caporal-chef – dont c’est la deuxième participation à l’opération Sentinelle – engage un des chargeurs dans son fusil d’assaut.
Le Famas – qui a tiré sa révérence fin 2016 – a une particularité. Sa structure est équipée d’un « témoin d’occupation de la chambre », le « toc », censé permettre aux militaires français de mettre en sûreté leur arme, tout en pouvant la réarmer rapidement en situation d’urgence. Mais le « toc » du Famas est sensible. La petite pièce en aluminium, réputée fragile, a tendance à mal se positionner.
Au fond du bus, Charlie s’est placé tout près de Lorenzo pour discuter le temps du trajet. « Vous étiez bons amis, c’est pour ça que vous étiez l’un à côté de l’autre », note le juge, une fine barbe blanche, l’accent – étrangement – germanique. La cour continue de dérouler les faits. Alors que le bus démarre, le caporal-chef remarque le dysfonctionnement de son arme :
« Ah ! mon ‘toc’, il a un problème ! », dira-t-il tout fort, selon les témoignages de ses camarades entendus dans le cadre de l’enquête.
Le lieu est très étroit, il fait sombre, le barda et le gilet du militaire limitent ses mouvements, mais Charlie tente de replacer la pièce dans la bonne position. Aucune inquiétude particulière, la manœuvre de sécurité lui a été expliquée deux semaines plus tôt lors du stage « Griffon », la formation à l’opération Sentinelle dans l’armée de l’air. Le Famas en bandoulière, le canon pointé vers l’intérieur du bus, il tire légèrement le levier d’armement vers l’arrière et presse la détente. Mais Charlie a oublié que quelques minutes plus tôt, il a engagé un de ses chargeurs. En déplaçant sur le levier, il entraîne une cartouche dans la culasse et fait feu. Le projectile traverse les deux mollets de Lorenzo….
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