Evolution des frais de déplacement dans les DOM-TOM

L’ADEFDROMIL révèle une attitude passive scandaleuse !

Dans Terre magazine n°142 du mois de mars 2003, EMAT/BPRH diffuse sous le titre « Evolution des frais de déplacement dans les DOM-TOM », l’information suivante :

« Les frais de déplacement des militaires en mission à l’intérieur d’un département d’outre-mer (DOM) étaient remboursés sur la base de taux qui n’avaient pas évolué depuis 1983. Depuis le 1er juillet 2002, ces déplacements sont remboursés sur la base des montants alloués au personnel civil, plus élevés dans l’ensemble que ceux appliqués aux militaires. Par ailleurs, les armées ont convenu de saisir la Direction de la fonction militaire et du personnel civil (DFP) afin d’étendre cette mesure aux territoires d’outre-mer (TOM) et aux missions exécutées de métropole vers les DOM.
Il existe désormais un taux journalier unique par département.
Martinique, Guadeloupe 38,74 € Guyane 46,75 € Réunion 53,14 € Saint Pierre et Miquelon 48,99€ »

Faut-il se réjouir de cette annonce ?

Bien entendu, car tout militaire en service dans ces départements d’outre-mer va en bénéficier. On peut s’en féliciter d’autant plus que cette mesure contraste singulièrement avec l’affaire des soldes « OPEX ». Cependant, une seconde approche de cette réjouissante annonce révèle qu’hélàs, depuis 1989, les frais de déplacement dans les DOM ont été payés irrégulièrement (taux inférieur) aux militaires en application d’un arrêté de 1983 abrogé, une arnaque qui a duré 13 ans en quelque sorte !

Démonstration : L’I-N-C-R-O-Y-A-B-L-E dossier !

Le 3 septembre 1990, le capitaine B…, en service au 9e Bataillon d’Infanterie de Marine adressa, par la voie hiérarchique, une demande (lire le document en [cliquant ici]) afin d’obtenir au bénéfice des militaires en service aux Antilles-Guyane l’application de l’Arrêté du 12 avril 1989 (lire le document en [cliquant ici]) fixant les nouveaux taux de l’indemnité de mission applicable aux fonctionnaires civils dans les départements d’outre-mer, annulant ainsi implicitement l’arrêté interministériel du 9 décembre 1983 (lire l’extrait en [cliquant ici]).

Pour faire valoir son droit, l’officier se fondait sur l’article 7 « Tarif des indemnités » du décret du 6 février 1950 qui stipule clairement :

« Les tarifs des indemnités énumérées à l’article 6 du présent décret sont ceux prévus par la réglementation applicable aux personnels en service dans la métropole, sauf dans les départements d’Outre-mer où ces tarifs sont calculés sur les mêmes taux de base que ceux utilisés pour la détermination du montant des indemnités de mission auxquelles peuvent prétendre les fonctionnaires civils en service dans ces départements ».

Il semble difficile d’être plus explicite !

Or, jusqu’au 11 avril 1989, les frais de déplacements des fonctionnaires civils ont été payés selon les taux de l’arrêté interministériel de 1983 et à partir du 12 avril 1989, selon les taux fixés par l’arrêté du 12 avril 1989 puis à compter du 1er juillet 1999 selon les dispositions de l’Arrêté du 15 septembre 1999 (lire le document en [cliquant ici]) et enfin à compter du 1er janvier 2002 selon les dispositions de l’arrêté du 30 août 2001 (lire le document en [cliquant ici]). La différence entre les nouveaux et les anciens taux est très importante !

Les militaires auraient donc du se voir appliquer successivement et de plein droit ces nouveaux taux !

L’administration militaire – probablement surprise – afficha, face au recours hiérarchique introduit par le capitaine B…, un mutisme total et imperturbable !

Certes, il convient tout de même de noter que le directeur du commissariat de l’armée de terre aux Antilles-Guyane adressa alors – à la seule attention du ministre de la défense – l’avis suivant :

« Les militaires en service aux Antilles-Guyane sont régis, en matière de frais de déplacement, par le décret du 6 février 1950 qui stipule que dans les DOM les tarifs sont calculés sur les mêmes taux de base que ceux utilisés pour la détermination du montant des indemnités de mission des fonctionnaires civils en service dans ces départements.

Les taux actuellement applicables aux militaires sont ceux fixés par l’arrêté interministériel du 9 décembre 1983 pris en application du décret 53-511 du 21 mai 1953 relatif au remboursement des frais de déplacement des personnels civils.

Or le décret 89-271 du 12 avril 1989 a redéfini le régime des frais de déplacement des personnels civils et l’arrêté du 12 avril a fixé les nouveaux taux de l’indemnité de mission applicable aux fonctionnaires civils dans les DOM.

Le requérant, s’appuyant sur l’article 7 du décret du 6 février 1950, demande à ce qu’il soit fait application aux militaires des taux de base de l’indemnité de mission des fonctionnaires civils fixés par l’arrêté interministériel du 12 avril 1989.

En l’absence de directives d’application propres aux militaires une suite favorable ne peut actuellement être donnée à la présente demande.

Toutefois, compte-tenu de l’argumentation présentée, il semble que cette requête puisse pouvoir aboutir. »

Ce qui tendrait à prouver que les experts ne manquent pas dans les armées mais plutôt la … volonté de les écouter.

L’Administration étant restée muette pendant plus de quatre mois, le capitaine B… considera alors que son recours hiérarchique était implicitement rejeté sous la forme d’un … silence assez méprisant pour l’auteur dudit recours.

Il saisit alors le Conseil d’Etat le 14 février 1991 d’un recours contentieux en excès de pouvoir contre la décision implicite de rejet du ministre de la défense concernant sa demande d’application au bénéfice des militaires en service aux Antilles-Guyane des dispositions de l’Arrêté du 12 avril 1989 fixant les taux des indemnités forfaitaires de déplacement – avec rappel des moins-perçus à compter de cette date (lire le document en [cliquant ici]).

La suite est est à la fois pittoresque et particulièrement révélatrice.

1. l’étonnant mémoire en défense du ministère de la défense : lire le document en [cliquant ici].

2. le mémoire en réplique juridiquement incontournable du capitaine B… : lire le document en [cliquant ici].

3. la décision à rendre par le conseil d’état susceptible d’être fondée sur un moyen soulevé d’office : le 23 juin 1994, le Président de la 7ème sous-section de la Section du Contentieux du Conseil d’Etat informe le capitaine B… qu’en application du décret du 22 janvier 1992, la décision à rendre dans l’affaire 123 527 est susceptible d’être fondée sur un moyen soulevé d’office : le requérant présente-t-il un intérêt à agir au nom de l’ensemble des militaires en service dans le département des Antilles et de Guyane ?

4. Acrobaties juridiques du capitaine B… : lettre à Monsieur le Président de la 7ème Sous-Section de la section du contentieux du Conseil d’Etat (lire le document en [cliquant ici]).

5. Tout cela pour aboutir, in fine et cinq longues années plus tard, à une condamnation sans appel du ministère de la défense.

Statuant au contentieux, le Conseil d’Etat a rendu le 15 février 1995 le verdict suivant :

Article 1er : La décision implicite du ministre de la défense rejetant la demande de M.B…tendant à l’application, pour le remboursement de ses frais de déplacement, des dispositions de l’arrêté du 12 avril 1989 relatives aux taux de base des indemnités de mission est ANNULEE.

Article 2 : le surplus des conclusions de la requête est rejeté (lire l’Arrêt 123527 du Conseil d’Etat en [cliquant ici]).

Quelles sont les conséquences juridiques de cet arrêt ?

Dans un considérant, le Conseil d’Etat a estimé que

« c’est à tort que, pour rejeter la demande de M.B…, le ministre de la défense s’est référé, pour la détermination des taux de base des indemnités de mission auxquelles peuvent prétendre les fonctionnaires civils en service dans les départements d’outre-mer, aux dispositions de l’arrêté du 9 décembre 1983 modifiant l’arrêté du 21 mai 1953 relatif aux taux des indemnités de déplacement prévus par le décret du 21 mai 1953, lequel a été abrogé par le décret du 12 avril 1989…, que, par suite, M.B… est fondé à demander l’annulation de la décision implicite du ministre de la défense en tant qu’elle rejette sa demande tendant à l’application, pour le remboursement de ses frais de déplacement, des dispositions de l’arrêté du 12 avril 1989 relatives aux taux de base des indemnités de mission ; »

Finalement, les frais de déplacement du capitaine B… ont été régularisés le 26 juillet 1995 selon les taux fixés par l’arrêté du 12 avril 1989 (consulter l’Etat récapitulatif des sommes dues en [cliquant ici]).

De surcroît, et au-delà du cas particulier de B…, c’est bien à l’ensemble des militaires ayant effectués des déplacements dans les différents DOM que devait s’appliquer la décision et donc la régularisation.

Telle est la conséquence subsidiaire de l’aboutissement d’un recours en « excès de pouvoir » devant une juridiction administrative.

Ainsi, l’abrogation de l’arrêté du 9 décembre 1983 par l’arrêté du 12 avril 1989 devenait opposable pour tous les ressortissants militaires. En conséquence, le ministre de la défense avait l’obligation de procéder à la régularisation des sommes dues aux militaires concernés, dans la limite de la prescription quadriennale et à compter de la date de publication de l’Arrêt du Conseil d’Etat.

Il devait bien évidemment, et à compter de cette même date, payer les frais de déplacement des militaires selon les nouveaux taux !

Il est tout bonnement stupéfiant – répétons-le – de constater que l’arrêt du Conseil d’Etat n’a été suivi d’aucun effet sur les frais de déplacement, treize année durant (d’avril 1989 à juillet 2002).

Dans cette affaire qui met en jeu des sommes considérables, le ministre de la défense a montré une négligence coupable en ne payant pas les frais de déplacements des militaires aux taux légaux et à l’identique des fonctionnaires civils.

Une fois encore, le « chef de l’article 10 du statut général des militaires » a failli à son obligation de « veiller aux intérêts de ses subordonnés ». La Direction du Commissariat de l’armée de terre et les services juridiques du ministre de la défense étaient parfaitement au courant du verdict rendu par le Conseil d’Etat et l’avait même anticipé. « Aide-toi car tes chefs ne t’aideront pas !« 

Le Conseil supérieur de la fonction militaire, averti par le capitaine B… par lettre du 26 avril 1991 a, une nouvelle fois, montré les limites de son pouvoir ! Il s’est contenté d’enregistrer la question du requérant et la réponse de l’administration sous le n°322/4-79 et de les publier dans son fascicule QUESTIONS/REPONSES en 1995 ! Depuis, le CSFM ne s’est jamais inquiété de savoir où en était cette affaire, laissant ainsi le champ libre au ministre de la défense !

Voilà comment une annonce à l’aspect particulièrement avantageux peut camoufler une ignominie réalisée aux dépens des assujettis militaires par une hiérarchie sans état d’âme, toujours à l’heure pour invoquer les obligations inscrites dans le statut des militaires afin de mieux étouffer leurs «droits et garanties».

Est-il trop tard pour faire valoir ses droits ? Non car…

L’article 1er de la loi 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l’Etat stipule :

« Sont prescrites, au profit de l’Etat,… toutes créances qui n’ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. »

Qui est en droit de réclamer la régularisation de ses frais de déplacement dans les DOM ?

Tous les militaires qui ont effectué des déplacements dans les départements d’outre mer visés par les Arrêtés de 1999 et 2001 (Martinique, Guadeloupe, Guyane, Saint Pierre et Miquelon et La Réunion) et qui ne sont pas frappés par la prescription quadriennale, peuvent adresser par la voie hiérarchique, au ministre de la défense, une demande de régularisation de leurs frais de déplacement calculés sur les même taux de base que les fonctionnaires civils conformément à l’article 7 du décret du 6 février 1950 et à l’Arrêt du Conseil d’Etat n° 123527 du 15 février 1995.

Un conseil : ne pas omettre de réclamer le montant au principal assorti des intérêts moratoires au cours légal.

Renaud Marie de BRASSAC

Vous pouvez nous adresser vos observations sur ce dossier par courrier électronique à contact@defdromil.org ou en nous écrivant à ADEFDROMIL 14, rue Fould Stern 60700 PONT SAINTE MAXENCE.

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