Morin sanctionne Desportes : «Sois pro-américain ou tais toi !»

L’économiste Jacques Sapir s’insurge contre la volonté d’Hervé Morin de sanctionner le général Desportes pour sa tribune publiée dans Le Monde sur la stratégie américaine en Afghanistan.

Une dépêche d’agence nous apprenait tard dans la soirée de vendredi que le ministre de la Défense avait engagé une procédure disciplinaire contre le général Vincent Desportes, responsable du CID (le Collège Interarmées de Défense ou ancienne « École de Guerre ») pour sa tribune libre publiée dans un quotidien du soir sur la stratégie suivie en Afghanistan.

Le général Desportes ne prenait pas position sur la guerre elle-même ni sur les buts de guerre, qu’il soutient. Il ne prenait pas position sur la stratégie française non plus. Il questionnait la stratégie américaine, ou plus exactement son ambivalence qui aboutit à une absence. Il ne faisait que remarquer, et souligner, les hésitations du président Obama. Les positions affirmées dans cette tribune ne font que traduire le sentiment d’une très large partie de l’Armée.

On peut penser ce que l’on veut de la tribune du général Desportes. Reconnaissons lui le mérite insigne d’ouvrir un débat qui est plus que nécessaire au vu de la tournure des opérations en Afghanistan. Il faut ici signaler qu’il est dans la vocation même du CID de mener de tels débats. Le  général Desportes était dans sa mission et dans son droit quand il a écrit cette tribune, qui était légitime.

La décision du ministre de la Défense est inique. Elle est aussi scandaleuse et stupide.

Elle est scandaleuse parce qu’elle revient à sanctionner l’un des plus brillants cerveaux de l’Armée française non pas pour avoir critiqué ses autorités politiques mais celles d’un autre pays. Il faut noter qu’aux Etats-Unis ce type d’article, de la part d’officiers d’active, est monnaie courante. Va-t-on alors se donner le ridicule de sanctionner en France ce qui est passé dans les mœurs outre-atlantique ? Ira-t-on jusqu’au comble du ridicule en sanctionnant un officier supérieur non pour avoir critiqué sa propre hiérarchie mais celle d’un autre pays ?

Quand le général Petraeus qualifie de très sérieuse la situation en Afghanistan, ne critique-t-il pas, lui aussi, du moins implicitement, la stratégie qui a été menée depuis des années ?

Le général Desportes n’est pas un factieux, mais un homme qui fait ce pourquoi il a été nommé à son poste. Venir le lui reprocher aujourd’hui serait donc un scandale.

Au-delà c’est une action d’une profonde et insigne stupidité. Un débat sur la stratégie de l’Otan en Afghanistan est à l’évidence nécessaire. Peut-être convient-il de le rappeler à certaines personnes, mais dans ce pays des femmes et des hommes meurent chaque jour, les uns civils, victimes d’attentats, de représailles ou des tirs fratricides, et les autres militaires, dans des embuscades, tués ou mutilés par des mines et des engins piégés. Ces morts et ces souffrances sont peut-être nécessaires, mais il faut dire à ce moment pourquoi et définir la meilleure possible des stratégies applicables. La guerre n’est jamais un jeu dans lequel on engage une nation impunément.

Aujourd’hui, avec la montée des pertes militaires, mais aussi des pertes civiles qu’impliquent les bombardements de l’Otan, il est clair que la stratégie élaborée à Washington ne fonctionne pas. Toute tentative pour réprimer et supprimer le débat sur ces questions ne peut que nous enfermer dans une stratégie perdante. Le comportement de bunker que les mesures contre le Général Desportes révèlent nous renvoient à ce vieil aphorisme militaire « dans le béton les plus cons ! ».

En fait, ….

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Cette publication a un commentaire

  1. Domisoldo Diez

    « (…) On peut penser ce que l’on veut de la tribune du général Desportes. (…) Il faut ici signaler qu’il est dans la vocation même du CID (NdT : collège interarmées de défense, dirigé par cet officier général) de mener de tels débats. Le général Desportes était dans sa mission et dans son droit quand il a écrit cette tribune, qui était légitime. (…) ».

    Merci à l’auteur publié par Marianne de rejoindre l’avis déjà exprimé :
    http://adefdromil.org/?p=5131

    Oui, le général Desportes est dans sa mission et dans son droit.

    Il est aussi à quelques jours de son passage en « deuxième section », laquelle, faut-il le rappeler, n’est pas la retraite de tout le monde pour nos « Chers généraux » :
    http://adefdromil.org/?p=4832

    Dans le cas du général Desportes et des limites de la liberté d’expression des militaires, pourquoi ne pas s’autoriser à penser que la prise de risque en matière de sanction a été bien calculée ?

    Et pourquoi pas à plusieurs, un tel calcul ?

    L’hypothèse est permise, « Vincent, vas-y pour nous tous, un blâme et hop, deuxième section. »…

    Le personnel politique moyen ayant un neurone apte à tirer ce genre de conclusion même sans preuve, il serait intéressant de voir cet officier très rapidement placé en… retraite, et non en « deuxième section ».

    Oh, pas question de souhaiter une telle avanie au général Desportes.

    Toutefois, sa mise en retraite pour raison disciplinaire aurait peut-être un effet salutaire sur certains officiers généraux, prompts à sanctionner leurs subordonnés dans le flou statutaire actuel quant à la liberté d’expression. Ce qui les arrange bien, ainsi d’ailleurs que les gouvernements successifs.

    Jusqu’à présent.

    Dans l’attente d’une réécriture sur ce point du statut général des militaires, la décence commande d’avoir une pensée pour notre camarade le chef d’escadron de gendarmerie Matelly, qui, à la quarantaine, s’il possède la maturité du chercheur, n’a en revanche aucun droit à pension militaire de retraite à faire valoir immédiatement.

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