ANTOINE BEAUSSANT, expert au ministère de la Défense
A quelle époque a été mise en place la retraite militaire, avec cette particularité de pension à jouissance immédiate ?
Capitaine de frégate Antoine Beaussant.
L’ordonnance de Choiseul (1762) ouvrait, pour la première fois dans l’histoire de France, un droit à pension pour les militaires, qui engageait l’Etat dans une obligation contractuelle à l’égard de ceux qui avaient servi et risqué leur vie pour la nation. Pendant la Révolution, le 23 août 1790, une loi organique met en place la retraite à jouissance immédiate, liée à la durée de service. Les objectifs étant, comme aujourd’hui, d’attirer des candidats à la fonction militaire, tout en assurant un renouvellement permanent de militaires jeunes. Enfin, sous Louis-Philippe, en 1831, on ouvre les droits à bonifications pour services rendus en campagne.
Quels sont aujourd’hui les effectifs concernés par la retraite militaire ?
Il y a 567 000 pensionnés ou ayants cause. Pour les besoins du renouvellement (la moyenne d’âge dans les armées est de 33 ans), 30 000 militaires quittent chaque année les armées, soit 9% des 330 000 personnels d’active. Sur ces 30 000, seulement 13 000 bénéficient d’une retraite militaire. Les deux tiers partent sans droit à pension, parce qu’ils ont moins de 15 ans de service et sont reversés au régime général. Ils doivent donc attendre l’âge normal pour toucher leur pension. Cela contredit l’idée que tous les militaires quittent l’armée en cumulant emploi et retraite, et prouve que beaucoup font une seconde carrière grâce aux compétences et à l’expérience acquise dans les armées.
Le budget des retraites dans les armées va-t-il décroître avec la professionnalisation ?
Ce budget de l’Etat est de 7,5 milliards d’euros et, en valeur absolue, il évoluera peu, comme le montrent les statistiques entre 1991 et 2001. Alors que, pendant cette période, l’effectif des fonctionnaires retraités a augmenté de 19%, celui des retraites militaires est quasiment stable à 3%. Bien plus, le montant des retraites de l’Etat a augmenté en moyenne de 3,7% par an, celles des militaires de 0,9% par an. Autrement dit les armées ne connaîtront pas le papy-boom, et c’est bien normal, puisqu’elles ont toujours géré la pyramide des âges pour conserver des effectifs jeunes.
« Un sergent-chef qui part à 35 ans au lieu de 33 ans n’est pas un vieux. »
Comment la loi Fillon sur l’allongement des durées de cotisation va-t’elle s’accommoder dans une armée qui veut rester jeune ?
Cette loi s’appliquera dans les armées comme dans toute la fonction publique. En même temps, le principe concernant la jeunesse et les spécificités de la retraite militaire a été réaffirmé. Il y aura donc un allongement pour les durées de cotisations et vraisemblablement, pour les annuités de services. Pour les carrières courtes, les droits à retraite à jouissance immédiate restent en l’état, mais une décote sera appliquée entre 15 et 17,5 ans de service pour les sous-officiers, entre 25 et 27,5 ans pour les officiers. Pour les carrières longues, une décote identique à celle des fonctionnaires sera appliquée pour les limites d’âge au-delà de 55 ans. Concernant l’allongement de ces limites d’âge par grade, cela ne relève pas de la loi, mais du statut général des militaires, qui sera revu en fonction de ces nouveaux impératifs. Mais un sergent-chef qui part à 35 ans au lieu de 33 ans n’est pas un vieux.
Propos recueillis par Jean Darriulat.